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Côte d’Ivoire 2013 : Gouverner, c’est décider bien sûr ; mais aussi et surtout administrer…

Publié le vendredi 4 janvier 2013 à 17h23min

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Côte d’Ivoire 2013 : Gouverner, c’est décider bien sûr ; mais aussi et surtout administrer…

C’est un drame humain qui touche au sein d’une population démunie des jeunes, des femmes, des enfants à l’instant où ils pensaient participer à une fête, « symbole du renouveau du pays vanté par le régime du président Alassane Ouattara » (pour reprendre les termes d’une dépêche AFP). Une soixantaine de morts, une cinquantaine de blessés : tel est le bilan (approximatif) de la « bousculade » qui a eu lieu dans la nuit du 31 décembre 2012 au 1er janvier 2013 à Abidjan, au Plateau, à l’issue d’un feu d’artifice tiré pour la Saint-Sylvestre. La Croix de ce matin (jeudi 3 janvier 2013) consacre à l’événement une page entière.

Le fait divers devient une affaire politique. « Beaucoup remettent en cause les mesures de sécurité prises par les autorités » écrit Olivier Monnier, correspondant de La Croix à Abidjan. Il cite des témoins qui évoquent « un mélange d’insouciance, de laxisme et de manque de professionnalisme », les secours ayant mis plusieurs heures avant d’intervenir, tandis que le premier ministre, Daniel Duncan Kablan, quant à lui, se contente d’évoquer la malchance et rien d’autre. Il lui faudra trouver d’autres explications car le « symbole » est fort. Ce mardi 1er janvier 2013, alors que le chaos régnait au Plateau, était jour d’anniversaire pour Alassane D. Ouattara : 71 ans !

Mauvais présage diront les mauvaises langues. Ajoutant que le chef de l’Etat venait de prononcer, quelques heures auparavant, un de ces longs discours dont il a le secret et au cours duquel il ne dit rien, « répétant les mêmes phrases mesurées à longueur d’interviews » commentait Sabine Cessou (Libération du mardi 15 février 2011). Le sens de la mesure – certains diront de la retenue – c’est la caractéristique d’ADO, ce qui lui avait fait choisir d’être fonctionnaire international plutôt qu’homme politique. Avant que la politique ne l’ait rattrapé.

« Il est important que les revendications catégorielles ne prennent pas le pas sur la vision d’avenir. Le gouvernement va instaurer un dialogue permanent avec toutes les catégories sociales. Chacun doit être à la tâche en ayant à cœur de participer à l’expansion sociale et économique de notre pays » avait-il dit, la veille au soir, le 31 décembre 2012. « Il est de notre responsabilité de rassembler tous les Ivoiriens, sans distinction, sur les bases de justice et d’équité », avait-il ajouté. « Rien ne doit compromettre ces belles perspectives. Je ne doute pas de la volonté de la très grande majorité d’entre vous de contribuer à réaliser ces promesses qui sont à notre portée. J’invite donc chacun au travail » avait-il conclu. Pas de quoi susciter l’enthousiasme après deux années de mandat même si ADO affirmait que « la Côte d’Ivoire est au travail ». « Notre pays, a-t-il dit, est aujourd’hui un vaste chantier : routes, autoroutes, ponts, hôpitaux, écoles, infrastructures diverses voient le jour et son visibles de tous. Demain, ils seront au service de chacun d’entre nous. Et pourtant, j’entends dire que « l’argent ne circule pas ! » ; sachez cependant que l’argent travaille. Et c’est grâce à cet argent qui est au travail que, chaque jour, la construction d’un pont progresse, qu’un grand axe routier voit le jour… ». On mesure dans ces propos (officiels et publics) le gap qu’il peut y avoir entre le chef de l’Etat et sa population ; vision technocratique d’un « argent qui est au travail » s’opposant à une vision sociale d’un « argent qui ne circule pas ».

« Un mélange d’insouciance, de laxisme et de manque de professionnalisme ». Le propos est terrible mais exprime les difficultés dans lesquelles se débat Ouattara : il ne suffit pas de décider ; il faut aussi administrer. Et après vingt années de laisser-faire, laisser-aller, le mode de fonctionnement du gouvernement et de l’administration n’est pas à la hauteur des ambitions du chef de l’Etat. On endosse les attributs de la fonction (au passage on s’en attribue les avantages collatéraux) sans se soucier d’être sur le terrain autrement qu’en représentation. Hamed Bakayoko, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, sur son site web officiel fait l’impasse sur les « morts de la Saint-Sylvestre ». Il était, le 1er janvier 2013, à Adiaké pour la sortie « officielle » de la… fanfare (info publiée sur son site web). Celui qui revendique (sur ce même site) d’être un « people en phase avec son époque » est déjà dans le collimateur des commentateurs pour son comportement qualifié de « shérif » (il aurait distribué des millions de francs CFA, en jetons et petites coupures, à des policiers qui ont abattu des « gangsters »). Le FPI s’est engouffré dans la brèche dénonçant son « amateurisme » et sa « forfanterie ». Le Patriote, son propre journal, a appelé à « sortir des conclusions hâtives » et à « dépolitiser le drame ».

Hier, mercredi 2 janvier 2013, Bakayoko assistait à Abidjan à la « réunion de la cellule de crise » mise en place par le premier ministre. Vite expédiée : 11 h 40/12 h 30 selon le site officiel du premier ministre. Qui n’a cessé de déplorer un « drame affreux » et de répéter qu’il ne faudrait que « 72 heures » pour en connaître les raisons. On attend. Mais à l’écoute des déclarations de Duncan Kablan sur RFI on risque fort de rester sur sa faim. « Il y avait des troncs d’arbres, et un certain nombre de personnes qui marchaient sont tombées. Il y a eu une sorte de collision et c’est ce qui a entraîné des morts ». 62 morts (et 48 blessés) selon lui, foutue « collision » ! Le premier ministre a « pris note » que l’éclairage « n’était pas suffisant par rapport à ce qu’il était d’habitude ». Il évoque « 2 à 3 millions [sic] de personnes qui se sont déplacées » pour assister à ce feu d’artifice mortel. L’essentiel, selon le premier ministre, aurait été fait : « les forces de l’ordre et de sécurité [ont pris les dispositions] dès lors que l’incident a eu lieu », « le président de la République est parti sur les lieux. Il a décrété trois jours de deuil national »… « Le reste [les responsables], dit-il, on en parlera après ». Quand ?

Ainsi va la Côte d’Ivoire aujourd’hui. Personne ne peut s’en réjouir. Un pays sans responsables et, du même coup, sans coupables. Que la malchance. « Un mélange d’insouciance, de laxisme et de manque de professionnalisme ». Ils ont le costard, la cravate, les pompes cirées et la Mercedes astiquée ; si, en plus, il faut faire le boulot, ça ne vaut pas le coup d’être ministre. Sauf que le boulot, personne ne le fait. Parce que personne n’est motivé pour le faire : chacun veut le costard, la cravate, les pompes cirées et la Mercedes astiquée. Rien d’autre. Et surtout pas être responsable au risque d’être coupable. Les Ivoiriens ont eu leur feu d’artifice ; si, par ailleurs, ils rentrent en « collision » avec des « troncs d’arbres », c’est leur problème.

Qui peut croire que la Côte d’Ivoire souffre d’un déficit « d’élites », de cadres responsables ? 2013 sera l’année du vingtième anniversaire de l’agonie et de la mort de Félix Houphouët-Boigny. Il y a vingt ans, la Côte d’Ivoire était « sûre d’elle et dominatrice ». Abidjan était la plus belle capitale d’Afrique francophone. Le « Vieux » était respecté. Il ne reste pas grand-chose de ce temps-là. « Je me suis personnellement engagé à donner un autre visage à la Côte d’Ivoire » a déclaré Ouattara dans son discours du 31 décembre 2012. C’est vrai. Mais il ne peut pas y arriver seul ; et il n’y arrivera pas, non plus, avec une équipe de « bras cassés » qui refusent d’être responsables et donc, le cas échéant, coupables.

Or, il faut bien dire les choses telles qu’elles sont perçues hors de la sphère gouvernementale ivoirienne, l’équipe actuelle est « un mélange d’insouciance, de laxisme et de manque de professionnalisme ». Si ADO ne sanctionne pas cette légèreté de l’être gouvernemental ivoirien, c’est lui qui sera sanctionné. Par l’histoire et par les Ivoiriens. Ce ne serait pas mérité : il n’a pas voulu ce job pour lequel il pensait n’être pas fait mais a assumé la tâche que l’Histoire (mais aussi « l’insouciance, le laxisme et le manque de professionnalisme » des autres) lui a imposé. Les « morts de la Saint-Sylvestre » ne ressortent pas du fait divers mais du fait politique. Il faut en prendre conscience. D’urgence !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 4 janvier 2013 à 18:46, par Alexio En réponse à : Côte d’Ivoire 2013 : Gouverner, c’est décider bien sûr ; mais aussi et surtout administrer…

    J ai vecu en Cote D Ivoire dans les annees 80. Vivant en Europe aujourd hui,je n arrive plus a reconnaitre ce Pays que le defunt et populaire Tidian Coulibaly faisait des hommages en l encotre de ce pays comme Paris de l Afrique occidentale. L heritage de l apres Houphouet a ete purement sabote par le roublard Gbagbo Laurent. Un inexperimente politicien qui na su maintenir la meme route qui etait deja bitume. En jouant la carte xenophobe contre les etrangers, surtout les Burkinabe qui avait choisi la Cote D Ivoire, comme som pays d acceuil depuis la colonisation francaise, les grands chantiers comme les ports : Grand-Bassam,d Abidjan tous construits par la main d oeuvre Voltaique a bon marche avec la volonte politique des deux pays. Cette ingratitude politique qui a detruit ce pays.Tant que ce pays ne se reconciliera pas avec sa tradition et sa kulture d antan,elle ne sera plus cette coquette.

  • Le 4 janvier 2013 à 19:16, par YAMBA LE MOAGA En réponse à : Côte d’Ivoire 2013 : Gouverner, c’est décider bien sûr ; mais aussi et surtout administrer…

    Très bel article au contenu pertinent ! Merci et encore merci !

  • Le 4 janvier 2013 à 19:53, par Ahmed En réponse à : Côte d’Ivoire 2013 : Gouverner, c’est décider bien sûr ; mais aussi et surtout administrer…

    Monsieur BEJOT vous rédigez vos articles de façon professionnelle et sans subjectivité aucune. De nombreux journalistes devraient s’inspirer de votre style tant on souffre en lisant certains journaux. Le constat amer est que notre presse écrite est devenue une presse militante et cela au détriment du professionnalisme.
    Bonne continuation à vous. Et faites nous toujours profiter de vos analyses pertinentes !

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