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John Kerry, prochain patron du Département d’Etat US (2/2)

Publié le vendredi 21 décembre 2012 à 19h03min

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John Kerry, prochain patron du Département d’Etat US (2/2)

Le jeudi 30 septembre 2004, lors du débat sur la politique étrangère entre le président sortant, le Républicain George W. Bush, et le candidat Démocrate, Kerry accusera « W » d’avoir « fait une colossale erreur de jugement » : la guerre contre le terrorisme devait être menée en Afghanistan et non en Irak ; l’objectif, c’était Oussama Ben Laden. L’US Army devait donc intervenir massivement à Tora Bora et ne pas s’appuyer, pour cela, sur les chefs de guerre afghans.

« C’est une faute » de l’avoir fait, dira-t-il. « L’Irak n’est même pas le point central de la guerre contre le terrorisme, avait-il déclaré. Le centre de cette guerre est en Afghanistan. L’Afghanistan où il y a plus de morts américains cette année que l’année précédente ; où la production d’opium représente 75 % de la production mondiale ; où l’opium représente 40 à 60 % de l’économie du pays ; où les élections ont été reportées à trois reprises ». Kerry reprochera à « W » d’avoir « fait éclater les alliances dans le monde ».

Résultat : « Aujourd’hui, nous supportons 90 % des pertes humaines et 90 % des coûts en Irak ». Kerry prendra même à témoin Papa Bush pour montrer que « W » n’est ni « malin » ni « intelligent » dans sa guerre contre le terrorisme. Kerry expliquait : « Vous savez, le père du président n’est pas arrivé à Bagdad, il n’a pas dépassé Bassora et, comme il l’a écrit dans son livre*, c’est parce qu’il savait qu’il n’y avait de stratégie de sortie viable. Il avait déclaré que nos troupes seraient des occupants dans un pays hostile, et c’est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Cela est ressenti comme une sorte d’occupation américaine ».

Que préconisait Kerry pour sortir de l’impasse irakienne voici huit ans ? « Faire mieux que cela », avait-il répondu. C’est à dire « gagner cette bataille [maintenant que] nos troupes […] sont là-bas. Nous devons réussir, nous ne pouvons quitter l’Irak sur un échec ». Et pour gagner, il fallait reconstituer une coalition avec les pays qui « ont aussi des intérêts dans cette lutte : les pays arabes pour éviter une guerre civile ; les pays européens pour éviter le chaos à leur porte ». Et après ? « Je ferai la chasse aux terroristes, je les tuerai, où qu’ils soient ». Pour le reste, Kerry était d’accord avec « W » : la prolifération nucléaire était la menace la plus grave qui pesait sur la sécurité américaine ; il y avait un génocide au Darfour et les troupes US devaient y être aux côtés de l’Union africaine ; il rappelait, concernant « la guerre préventive », « qu’aucun président dans l’histoire n’a cédé ce droit afin de protéger les Etats-Unis », précisant cependant : il faut « prouver au monde qu’on le fait pour des raisons légitimes »**

« W » va l’emporter le 2 novembre 2004 face à Kerry. 286 grands électeurs et 58,4 millions de voix contre 252 grands électeurs et 54,8 millions de voix. « Le brillant, complexe et distant John Kerry n’était que « l’anti-Bush », et n’a pas su créer autour de sa personne un capital de sympathie et de confiance suffisant pour rassurer une opinion inquiète des changements du monde », écrira Bruno Tertrais***. Il précisera que Kerry : « a obtenu la confiance de la majorité des Afro-Américains (à plus de 80 %), des Hispaniques, des jeunes et des célibataires. Ceux qui se préoccupaient essentiellement de l’économie, de la santé et de la guerre en Irak ont voté pour lui. Les Etats qui ont majoritairement voté pour Kerry sont des Etats riches, contributeurs nets au budget fédéral, dans lesquels la peine de mort est peu appliquée, le port des armes contrôlé et l’avortement libéralisé. La campagne présidentielle de 2004 a bien été, à de nombreux égard, un clash des civilisations ».

2004-2012. La donne géopolitique mondiale a changé. Le capitalisme occidental est en crise du fait des coups de boutoir que lui assènent les « émergents », les héros de la mondialisation. Hillary Clinton première dame, a vécu à la Maison Blanche (1993-2001) la fin d’une époque ; qui n’était pas encore le début d’une autre. Secrétaire d’Etat de Barack Obama (2008-2012), elle a été confrontée aux prémices de ce nouveau monde : crise financière puis économique ; crise européenne ; « révolutions arabes ». John Kerry va devoir gérer la diplomatie US dans un monde en plein bouleversement : « l’Occident » va perdre un leadership de plus de 500 ans. Sortant du Moyen Age, l’Europe a découvert l’Amérique (12 octobre 1492) et le Reste du Monde ; et va se les approprier. Après la Première guerre mondiale, l’Amérique, ex-colonie des puissances européennes, devient première puissance mondiale.

En 1945, à la suite de la Deuxième guerre mondiale, ce leadership sera remis en cause par l’URSS. Mais la « guerre froide » tournera court en 1990 et l’Amérique va se rêver en « hyperpuissance ». « Il y a quinze ans, nous pensions les Etats-Unis comme l’élément central du système. Mais 2001 et 2008 ont accouché d’un monde nouveau ». L’homme qui s’exprime ainsi est le Dr Matthew Burrows. Il est l’auteur de « Global Trends 2030 : Alternative Worlds » rapport du National Intelligence Council, officine dépendant de la DNI, la Direction nationale du renseignement US.

Selon ce rapport, publié le lundi 10 décembre 2012, « nous sommes à un point d’inflexion historique » comme l’ont été « 1789, 1848, 1919, 1945 et 1989 ». Barrows évoque des « changements tectoniques ». C’est la fin du « moment unipolaire » consacrant la puissance économique et militaire US et, du même coup, l’avènement d’une ère post-occidentale dominée par la Chine, première puissance mondiale devant l’ensemble Amérique du Nord + Europe. La Chine sera talonnée (PIB, population, dépenses militaires, investissements technologiques…) par l’Inde qui, en 2030, pourrait lui souffler la première place. Mais le déclin de l’Amérique du Nord, de l’Europe et de la Russie entraînera, dans le même temps, le ralentissement de la croissance chinoise, ne lui permettant pas de devenir « une puissance hégémonique » à l’instar des Etats-Unis. La gestion étatique deviendra difficile du fait des compagnies dont l’innovation technologique leur assurera le contrôle « d’une montagne de données et bien plus d’informations en temps réel que la plupart des gouvernements ».

Mégatendances : autonomisation des individus ; diffusion du pouvoir mondial ; risques liés à l’environnement (alimentation, eau, énergie) et au cyber-terrorisme. Donnée majeure : le capitalisme européen s’est développé aux XIXème et XXème siècles dans des pays à faible démographie accédant à des ressources naturelles nombreuses et bon marché ; le capitalisme asiatique se développe en quelques décennies dans des pays surpeuplés et dans un contexte de ressources naturelles rares et chères.
La conclusion importe : le leadership mondial, nous explique Burrows, n’ira pas au plus fort mais au plus habile, c’est-à-dire celui qui saura mobiliser autour de son action un soutien international. Le nouveau monde sera un monde de réseaux et de coalitions dans un espace multipolaire.

* Il s’agit de « A la Maison Blanche. 4 ans pour changer le monde », publié en janvier 1999 par les éditions Odile Jacob. Bush père écrivait : « Toute occupation de l’Irak aurait eu instantanément pour effet de faire voler notre coalition en éclats et de dresser le monde arabe contre nous en permettant à un tyran renversé de se muer en un héros contemporain de la cause arabe : non seulement cela nous aurait conduits à violer la loi internationale représentée par les résolutions du Conseil de sécurité, mais la tâche qu’il nous aurait fallu alors assigner à nos jeunes soldats (la recherche vouée à l’échec d’un dictateur solidement retranché) les aurait condamnés à livrer cette forme de guerre ingagnable que constitue la guérilla urbaine ».

** Pour démontrer le bien fondé de son point de vue, John Kerry avait appelé Charles De Gaulle à la rescousse. « Nous nous souvenons de la crise cubaine avec Kennedy. Il a envoyé son secrétaire d’Etat à Paris pour rencontrer De Gaulle. Il a parlé des missiles cubains et a montré les photos. De Gaulle lui a dit : « Non, non, non. La parole du président des Etats-Unis me suffit ». Ce qui n’est pas tout à fait exact (cf. LDD Etats-Unis 014/Lundi 4 octobre 2004). Cette référence à la France, en 2004, va faire hurler les Républicains. En meeting en Pennsylvanie, « W » s’en emparera : « Le recours aux troupes pour défendre l’Amérique ne doit jamais être soumis au véto de pays comme la France », déclarera-t-il. Le président US fera huer la France pour discréditer Kerry et notre ambassadeur à Washington, Jean-David Levitte, prendra son téléphone pour appeler la Maison Blanche.

*** « Quatre ans pour changer le monde. L’Amérique de Bush 2005-2008 » (Editions Autrement, Paris, 2005)

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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