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Les « Assises nationales » au Burkina Faso : Un an après… (3/3)

Publié le dimanche 16 décembre 2012 à 22h38min

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Les « Assises nationales » au Burkina Faso : Un an après… (3/3)

Un an après les « Assises nationales », le Burkina Faso a réalisé un exercice en vraie grandeur : les « élections couplées » du 2 décembre 2012. Les premières depuis la « grande peur » de 2011. Les premières pour le CDP présidentiel depuis le congrès du parti qui avait vu Assimi Kouanda, directeur de cabinet du président du Faso, en prendre les commandes dans le cadre d’un renouvellement de l’équipe dirigeante. Election des députés et des conseillers municipaux : un déplacement ; deux votes.

Si Ouaga ne semble pas s’être mobilisée pour cette consultation électorale, la province a joué le jeu des élus de « proximité ». Près de 77 % de taux de participation aux législatives (à peine plus de 56 % en 2007) et plus de 75 % pour les municipales (moins de 50 % en 2006) : le succès est probant alors que la présidentielle de 2010 n’avait pas mobilisé les foules (55 %). Mise en place de la biométrie, effet collatéral des événements de 2011, montée en puissance, perceptible dans l’opinion, d’une nouvelle opposition…, il est trop tôt encore pour analyser ce double scrutin mais une chose est sûre : le Burkina Faso a réussi ses toutes premières élections couplées.

D’autant mieux – et ce n’est pas la moindre des contradictions – que le « mégaparti » au pouvoir, le CDP, a perdu non pas sa majorité mais son aspect tentaculaire, ce qui lui redonne une normalité et une crédibilité qu’il avait perdu. 70 sièges sur 127 (et largement plus de 12.000 conseillers sur les 18.645 sièges à pourvoir pour 370 communes) au lieu de 73 sur 111, le CDP obtient une majorité qui est ramenée de 65,76 % de l’Hémicyle à 55,11 % (selon L’Observateur Paalga). Quelques personnalités du régime ont même perdu leur job de député dont Alain Edouard Traoré (porte-parole du gouvernement), Jean de Dieu Somda (ancien ministre)… Plus remarquable encore est la percée de Zéphirin Diabré dont l’UPC parvient à conquérir 19 sièges à l’Assemblée nationale, ce qui en fait le premier parti d’opposition (il bat même d’un siège l’historique ADF/RDA).

Ce qui donne un coup de vieux salutaire (quel que soit, par ailleurs, le jugement que l’on puisse porter sur la ligne politique de Diabré – cf. LDD Burkina Faso 0206/Mercredi 17 mars 2010) aux partis d’opposition en place. « Le discours aux relents indépendantistes et révolutionnaires auquel s’accrochent les partis passéistes et sankaristes ne semblent plus opérants à une époque où la tendance est plutôt à la transparence et au pragmatisme » écrivait l’éditorialiste du quotidien privé Le Pays dans son édition d’hier (lundi 10 décembre 2012).

« Qui ose gagne ». A la devise du 1er RPIma (régiment de parachutistes d’infanterie de marine basé à Bayonne), on peut préférer le tout autant volontariste « Yes we can » de Barack Obama, mais la leçon demeure. Et on peut penser que cette percée de Diabré va motiver une jeunesse qui désespérait voir bouger les lignes au Burkina Faso afin que l’opposition y occupe la place qu’elle mérite compte tenu de la maturité de la vie politique du pays. La « Révolution » et la période post-révolutionnaire, qui appartiennent à la légende dorée du Burkina Faso, « Pays des Hommes intègres », font désormais partie de l’Histoire du pays. Depuis 1991, celui-ci est entré dans le temps de la démocratisation, démarche affichée d’emblée de la « Rectification », même si elle n’a pas toujours été ainsi comprise. La génération des 20, 30, 40 ans est lasse de ces histoires « d’anciens combattants » qui, à ce titre (parfois d’ailleurs totalement galvaudé) continuent d’occuper l’espace politique, économique et social burkinabè.

Mieux formée, plus expérimentée, ouverte, la jeune génération se lasse d’être cantonnée dans l’informel, l’emploi « flexible » (hyper flexible parfois) ou… les diasporas africaine, européenne, américaine ou asiatique, tandis qu’une caste, dont les dérives affairo-politiques sont probantes, bloque leur évolution. Arsène Bongnessan Yé le reconnaissait dans l’entretien qu’il m’a accordé le 27 avril 2012 : « Il y a des générations qui estiment qu’on leur a brûlé la politesse en les mettant à l’écart. Des gens deviennent aigris même si on fait un effort d’ouverture et de modernisation du CDP. Si on en était resté à Karl Marx et Vladimir Illitch Lénine, nous n’allions pas pouvoir intégrer tout ce monde-là. Combien de fois Hermann Yaméogo a-t-il été ministre ? ». Ce n’est pas la question, Hermann est le fils de son père et un « pro » de la politique. La jeunesse ne veut pas s’investir dans le « politique » mais dans « l’économique » et le « social » : le Burkina Faso de 2012 n’est pas celui d’il y a près de trente ans (« Révolution ») ou plus de vingt-cinq ans (« Rectification »).

Revenant à la charge auprès de Yé, il me concédera que le « premier problème des jeunes qu’il faut résoudre, c’est l’emploi ». « De plus en plus, me dit-il, nous avons des jeunes diplômés, leur nombre est croissant, ils sortent avec de nombreux diplômes et, pourtant, ils n’ont pas d’emplois. C’est pourquoi un plan triennal a été mis en place qui vise à créer 54.000 emplois en trois ans. Un jeune qui est diplômé et qui n’a pas de boulot ne peut pas penser participer à la vie de la Nation alors que, à l’inverse, notre génération a accédé très tôt à des responsabilités nationales. Le problème, c’est que l’Etat a des ressources limitées et que, de plus en plus, nous sommes soumis aux règles de bonne gouvernance édictées par les instances régionales. Par ailleurs, la mondialisation nous impose des critères pour être compétitif et dégager une croissance forte ».

Les « Assises nationales », parce qu’elles se sont tenues et qu’elles font l’objet d’un suivi, ont été un progrès dès lors qu’elles ont exprimé la prise de conscience par les autorités qu’il y avait une nécessité de réforme. Mais en se cantonnant aux réformes politiques et en n’abordant que très marginalement, pour ne pas dire pas du tout, les réformes économiques et sociales, elles n’ont pas répondu aux attentes des populations. La première session du comité de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des réformes politiques consensuelles s’est tenue du 15 au 22 juin 2012. Une prochaine session « semestrielle » sera sans doute organisée d’ici la fin de l’année ou le début de l’année 2013 afin de dresser un nouveau bilan. Entre-temps, un forum sur la laïcité a été organisé du 27 au 29 septembre 2012. Yé a fait un gros effort de communication auprès des diasporas (Paris, Lomé, Cotonou, Dakar…) afin de les sensibiliser au projet de Sénat qui les concerne directement. Mais ce ne sont là que des avancées qui concernent, certes, toute la Nation mais ne profitent qu’aux « élites » politiques (modernes et traditionnelles puisque les chefferies coutumières sont désormais constitutionnalisées).

On me rétorquera que la SCADD, qui a été un sujet de conversation omniprésent, au plan national et international, ambitionne justement de répondre aux attentes économiques et sociales de la population. Sauf que, comme le rappelait Thierry Tanoh, alors représentant de la Société financière internationale (SFI), lors de la table ronde organisée à Paris, au début de l’année 2012, pour le lancement de la SCADD, il faut « avoir des ambitions, certes, mais se donner les moyens de les réaliser ». Or, si la classe politique burkinabè et, dans une moindre mesure, l’administration, s’efforcent à plus de visibilité, c’est encore la nuit noire du côté des opérateurs économiques privés. Sans doute parce qu’il n’y a pas encore, dans ce pays (comme dans beaucoup d’autres), d’opérations économiques sans proximité politique et que cette connexion affairo-politique est sujette à caution.

« Nous sommes des sociaux-démocrates, me disait Yé lors de notre dernier entretien. La juste répartition des richesses entre tous les citoyens est une de nos priorités idéologiques ». Il faisait bien de le souligner car, me semble-t-il, le débat idéologique ne fait que (re)démarrer au Burkina Faso grâce à la nouvelle dynamique politique que viennent de formaliser les « élections couplées » du 2 décembre 2012. Le temps du statu quo social est révolu ; la « démocratie » burkinabè sort confortée du débat politique institué par le gouvernement de Luc Adolphe Tiao depuis les événements dramatiques de 2011. Il faut aller plus loin ; le moment est propice… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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