LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Le « sommet de Ouagadougou » permettra-t-il de trouver une porte de sortie à la crise malienne ? (4/5)

Publié le dimanche 16 décembre 2012 à 22h36min

PARTAGER :                          
Le « sommet de Ouagadougou » permettra-t-il de trouver une porte de sortie à la crise malienne ? (4/5)

La « crise malo-malienne » nourrit les discours des leaders de l’Afrique de l’Ouest, des rives de l’Atlantique à celles de la Méditerranée. Mais aucun des pays frontaliers du Mali (Sénégal, Mauritanie, Algérie, Niger, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée) n’est aussi impliqué dans la résolution de cette crise que le Burkina Faso. C’est que Mauritanie, Algérie et Niger sont essentiellement frontaliers des zones « désertiques » du Mali.

Sénégal, Guinée et Côte d’Ivoire sont frontaliers du Sud mais sur de faibles distances. Il n’est que le Burkina Faso qui soit tout à la fois frontalier du Sud-Mali « urbain » et du Nord-Mali « désertique ». Kadiolo, Sikasso, Koutiala, San, Djenné, Mopti, Sévaré, Bandiagara, Douentza, Gao, ces villes maliennes se trouvent à moins de 200 km de la frontière avec le Burkina Faso. Les populations sont les mêmes de part et d’autre de la frontière. Il y a donc nécessité pour Ouaga de s’investir dans la résolution de cette crise. Le « dialogue inter-malien », que s’efforce d’instaurer le Burkina Faso, est plus essentiel que ne l’a été, par le passé, le « dialogue inter-togolais » ou même le « dialogue inter-ivoirien ».

La « crise ivoiro-ivoirienne » avait un impact économique du fait de l’arrêt du trafic entre Ouaga et Abidjan, premier port « burkinabè » ; elle avait un impact diplomatico-politique lié à la controverse sur la nationalité d’Alassane D. Ouattara et les accusations d’implication du Burkina Faso dans la déstabilisation des régimes de Henri Konan Bédié et, surtout, de Laurent Gbagbo ; elle avait un impact politico-social du fait de l’importance de la diaspora burkinabè installée, depuis plusieurs décennies, en Côte d’Ivoire. Mais les protagonistes, des Ivoiriens et des « politiques », étaient identifiés ; la crise était une lutte pour le pouvoir instrumentalisant des données « ethniques ». Au Mali, au contraire, des ethnies instrumentalisent la lutte pour le pouvoir à Bamako et une autre vision de la religion dominante pour assurer leur hégémonie.

C’est dire que l’engagement de Ouaga auprès de Bamako dans la recherche d’une porte de sortie à la crise (qui ne soit pas qu’une issue de secours) a des raisons objectives : le savoir-faire burkinabè en matière de résolution des crises, mais également subjectives : il n’est pas un autre pays dans la région qui connaisse mieux la « culture politique » malienne qu’il s’agisse du Sud-Mali ou du Nord-Mali. Pendant que les uns et les autres vocifèrent dès lors qu’on leur tend un micro, appelant dans l’urgence à la guerre (alors que leurs propres armées sont dans un état de déliquescence totale et bien souvent incapables d’assurer la sécurité de leur propre territoire national), le Burkina Faso s’efforce d’avancer pas à pas après s’être assuré qu’elle ne mettait pas le pied dans la… « merde ».

Et la « merde » au Mali ne manque pas. Bien avant le 17 janvier et le 22 mars 2012. Même Maurice Freund, président de la compagnie aérienne Point-Afrique et icône de tous les « routards » de la planète Sahel, le disait dans Le Journal du Dimanche du 3 octobre 2010 : « Il existe, dans les sphères dirigeantes de ce pays, de vrais complicités avec la nébuleuse des trafiquants et d’AQMI ». La « communauté internationale » pouvait bien dénoncer le laxisme d’Amadou Toumani Touré (ATT) dans sa lutte contre AQMI, quand il s’est agit d’échanger le Français Pierre Camatte contre quatre membres d’AQMI détenus au Mali, Paris a mis la pression sur Bamako et Nicolas Sarkozy avait fait, depuis Libreville où il était en visite, le déplacement jusqu’à la capitale du Mali, pour y saluer l’intervention d’ATT.

« Nous tenons à remercier, et je veux le faire du fond du cœur, le président du Mali qui a été un homme courageux, un homme humain, et qui a accepté que la vie d’un homme, en l’occurrence Pierre Camatte, méritait un certain nombre d’efforts, de prise de responsabilité… ». ATT félicité pour un acte « courageux » et « humain » alors qu’on le fustigeait, dans le même temps, pour son inaction face aux « terroristes » (à la suite de la libération de Camatte dans les conditions que l’on sait, la Mauritanie et l’Algérie avaient rappelé leurs ambassadeurs). De quoi y perdre son latin ; enfin, plus exactement son tamashek. Car si la question du « terrorisme » dans le Nord du Mali était à l’ordre du jour, personne ne voulait soulever le voile (bleu) sur la situation faite aux Touareg. Pas même ATT d’ailleurs même s’il tenait, voici deux ans, un langage qui, aujourd’hui, vaut son pesant d’or.

Le chef de l’Etat malien, exaspéré par les critiques dont il faisait l’objet, avait alors multiplié les entretiens avec les médias français : TV5-Monde, RFI, Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Humanité (cf. LDD Mali 004/Lundi 11 octobre 2010). « Tout compte fait, les terroristes sont dans le désert parce que nous n’y sommes pas. Les terroristes de servent du déficit de développement, de la précarité, du désœuvrement des jeunes. Pour les combattre, il va falloir que les ressources du trafic soient coupées et mettre en place un développement local […] Ces populations du Nord vivent dans une grande précarité. Les jeunes n’ont pas accès à l’éducation. Ils n’ont pas de travail, pas d’avenir […] Nous devons mener, auprès d’elles, une lutte idéologique avec la promotion d’un autre islam, plus tolérant, plus humain que celui prêché par les terroristes. Pour cela, il faut créer dans la région des « zones de développement et de paix » […] Le problème du Sahara concerne d’abord les pays riverains […] Mais si nous ne trouvons pas une solution nous-mêmes aux problèmes du Sahel, d’autres viendront le faire à notre place. Et cela serait dommage ».

Le problème c’est que tout cela, ce n’est pas moi qui le dit mais ATT, président de la République du Mali. Et il le disait déjà bien des années auparavant dans un entretien avec Stephen Smith et Jean-Pierre Tuquoi publié dans Le Monde (daté du jeudi 12 septembre 2002), tout juste un an après les événements du « 11-septembre » : « Pour nous aussi, [le terrorisme] c’est une menace, d’autant que la faible capacité institutionnelle de nos Etats nous rend très vulnérables. Mais, surtout, parce que la pauvreté est un terreau fertile pour le terrorisme. Quand vous n’avez plus rien à perdre, vous êtes prêts pour toutes les aventures […] Contre la menace du désespoir, on ne pourra rien ». ATT était-il meilleur analyste politique qu’homme politique ? Et, surtout, qu’homme d’action ? La réponse à ces questions a été apportée le 22 mars 2012. Dommage. Car il y avait trois constantes dans le discours « sécuritaire » d’ATT qui le demeurent aujourd’hui : 1 – La négociation vaut mieux que la répression qui pourrait provoquer une insurrection généralisée des populations touarègues ; 2 – Les pratiques mafieuses auxquelles s’adonnent une partie des populations touarègues au Nord du Mali en connexion avec AQMI sont liées aux conditions de sous-développement dans lesquelles vivent les peuples de la région ; 3 – Les menaces auxquelles est soumis le corridor sahélo-saharien sont transnationales ; elles nécessitent donc une coopération régionale.

ATT avait fait, avec clairvoyance, le diagnostic d’une chute annoncée : la sienne. Elle sera rapide et brutale le 22 mars 2012. Il laissera derrière lui un Etat en faillite et une nation en ruine à quelques semaines d’une présidentielle (29 avril 2012) à laquelle il n’était pas candidat. Nul ne sait quelle aurait été l’évolution de la situation au Mali si quelques officiers et une partie de l’armée n’avait fait le choix de virer le président de la République. Une seule certitude : rien ne pouvait être entrepris au Nord-Mali tant que la situation n’était pas été normalisée à Bamako. C’est la tâche prioritaire à laquelle s’est attelée la médiation burkinabè. Non sans mal. Mais avec détermination : évacuation du devant de la scène politique de la junte militaire ; restauration d’une République « intérimaire » ; instauration du « dialogue inter-malien ». Autant d’actions qui valent mieux que les proclamations tonitruantes sans suite de beaucoup d’autres dont l’attentisme est bien plus de l’opportunisme que du pragmatisme.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche DIplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Attentat à Bamako : La réaction du gouvernement malien