LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Le « sommet de Ouagadougou » permettra-t-il de trouver une porte de sortie à la crise malienne ? (3/5)

Publié le vendredi 14 décembre 2012 à 17h40min

PARTAGER :                          
Le « sommet de Ouagadougou » permettra-t-il de trouver une porte de sortie à la crise malienne ? (3/5)

Pendant quelques jours, le Laïco, le « palace » de Ouagadougou, a été le pôle d’ancrage de tous ceux qui ont eu à participer, à préparer, à organiser, à gérer ou à commenter le « sommet de Ouagadougou ». Les Maliens de Bamako y croisaient les Maliens du Nord-Mali. L’heure étant désormais au dialogue, celle de l’invective est dépassée. Il y a une réalité malienne sur laquelle le « sommet de Ouagadougou » a nécessairement fait l’impasse : c’est qu’avant de « battre le blé », il faut « séparer le bon grain de l’ivraie ».

On dit aussi qu’il faut « diviser pour régner » ; ce qui revient au même. Exit donc les « terroristes », les « réseaux mafieux », « Al-Qaïda », « AQMI », « Boko Aram », « MUJAO »… ne restent que les « bonnes volontés » du Nord et du Sud : le costume occidental pour les uns ; la tenue traditionnelle pour les autres. « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Les méchants sont restés dans le Nord-Mali. L’objectif étant de les isoler avant de les éradiquer. Et chacun sait, enfin ceux qui réfléchissent, que ce n’est pas une force inter-africaine qui pourra faire la part des choses entre « le bon grain » et « l’ivraie ». L’objectif est donc d’extraire de la « nébuleuse islamiste » ses composantes « maliennes » - politiques - afin d’isoler les connections « étrangères » - terroristes -, de les identifier, de les cibler et de les frapper (une démarche qui a été celle des Mauritaniens).

Le problème, c’est que la tendance a été, jusqu’à présent, de mettre tout le monde dans le même sac : celui du « terrorisme islamique ». Parce que Bamako (au temps d’ATT puis du capitaine Amadou Sanogo) n’était pas crédible et que le MNLA (celui qui revendiquait l’indépendance de l’Azawad) ne l’était pas plus. Et cela même si le problème malien avait un vrai fondement : la corruption régnant dans les rangs de la classe politique au pouvoir à Bamako et l’inattention apportée aux revendications basiques des Touareg dans le Nord-Mali. Ce qui s’est passé le 17 janvier puis le 22 mars a servi de révélateur de l’état de délabrement d’un pays pourtant considéré unanimement comme un modèle d’évolution « démocratique ». Mais le MNLA n’a pas réussi son OPA sur l’Azawad : mauvaise analyse des rapports de force, mauvais timing, mauvaise préparation. Résultat : le chaos à Bamako et l’hégémonie des « islamistes radicaux » au Nord-Mali.

Le MNLA n’étant plus le vainqueur sur le terrain, il était bien évident que la radicalisation des comportements allait séduire de plus en plus de Touareg maliens. Du même coup, la tendance a été à simplifier la donne et bien des capitales africaines ont enfourché un cheval de bataille que les « occidentaux » ont su dresser comme il le faut : la guerre contre le « terrorisme islamique » ! Un discours qui, sur le papier, fait l’unanimité. Enfin, presque. C’est que le Nord-Mali n’est pas la Syrie ni même le Kivu. Et que chacun a bien du mal à identifier qui est « l’ennemi ».

Le « sommet de Ouagadougou » vient clarifier la donne. Et ce n’est pas le moindre de ses mérites. Il y a des partisans du dialogue au sein du gouvernement malien, du MNLA et d’Ansar Dine. Et comme me le disait tout à l’heure, avant son retour à Abidjan, Ally Coulibaly, ministre ivoirien de l’Intégration africaine : « le dialogue vaut mieux que la guerre ». Ouaga est une étape : la première sur la longue route des « dialogues inter-machin » dont le Burkina Faso s’est fait une spécialité, le « machin » étant toujours un Etat foireux où la classe politique au pouvoir comme celles dans l’opposition sont incapables de s’entendre pour le mieux-être de leur pays.
A Ouaga, on demeure circonspect quant à la situation du Mali. « Les retrouvailles de Ouagadougou tendent à montrer que, contrairement aux apparences, le rapport des forces change continuellement de camp » a écrit, ce matin (mercredi 5 décembre 2012), Le Pays dans son éditorial. Les Burkinabè, exaspérés (et directement concernés) voici peu encore par la « crise ivoiro-ivoirienne », le sont plus encore par la « crise malo-malienne » (qui ne les concerne pas moins diplomatiquement mais moins « impactante » politiquement et économiquement). Le Pays, quotidien privé, estime que « la rencontre de Ouagadougou constitue incontestablement un pas dans la bonne direction » à condition qu’il soit suivi d’autres aussi rapidement que possible. Il ajoute : « Mieux vaut se calmer et négocier sérieusement la paix et l’entente autour de l’essentiel : la préservation de l’intégrité du territoire national et l’unité du peuple malien. Il ne sert à rien de faire du brouhaha, de tenter de divertir l’opinion en désignant des boucs émissaires pour masquer ses faiblesses. Les habitants du Nord-Mali sont fatigués de subir autant la répression que les propos démagogiques ».

Le « sommet de Ouagadougou », au lendemain des « élections couplées » qui sans changer la donne changent (semble-t-il à l’heure où j’écris) la physionomie (le même parti mais pas les mêmes hommes) du Burkina Faso, n’a pas fait la « une » des médias. Le grand raout attendu par les observateurs n’a duré que 90 minutes. Mais ce « sommet » est « un bâton dans les roues » du char des « va-t-en guerre », ce qui n’arrange pas la lisibilité de l’action de la Cédéao où les partisans de la force sont légion. Des partisans de la force qui font soumission aux Nations unies et à un soutien militaire « occidental » significatif tandis que la… force du « sommet de Ouagadougou » est, justement, de n’avoir rassemblé que des Africains (hormis la présence de représentants de l’OCI justifiée, selon moi, pour ce cas d’espèce).

Le « retour des réfugiés et des personnes déplacées », inscrit dans le communiqué final du « sommet de Ouagadougou », est une priorité pour le gouvernement burkinabè qui (et ce n’est pas le cas de beaucoup des « va-t-en guerre ») accueille sur son territoire, dans des conditions difficiles, des populations en situation de détresse. L’aide internationale est insuffisante à résoudre les problèmes humanitaires, notamment ceux liés à « l’habitat » des populations déplacées : les camps de réfugiés ne bénéficient que d’installations précaires mal adaptées à la « mauvaise saison » à venir… ! Dans l’analyse de la situation du Nord-Mali, il ne faut jamais perdre de vue que le Burkina Faso, lui aussi, accueille sur son territoire une population touarègue qui pour être minoritaire n’en n’est pas moins significative. Le « problème touareg » est une composante de la vie politique et sociale du Burkina Faso même s’il n’a pas la même ampleur ici qu’au Mali ou au Niger. Mais Ouaga ne peut pas faire l’impasse sur cette donnée et n’en n’a d’ailleurs jamais eu l’intention.

De la même façon que Ouaga ne peut pas faire l’impasse sur une bonne relation de voisinage avec Bamako. Le Mali est le pays avec lequel le Burkina Faso a la plus longue frontière ; une frontière avec le Sud-Mali et avec le Nord-Mali. Et Tombouctou, Gao, Kidal sont plus proches de Ouagadougou que de Bamako. Prise en compte de cette proximité : pendant le « sommet de Ouagadougou » se déroulait hier et aujourd’hui (mardi 4 et mercredi 5 décembre 2012) la 5ème réunion du comité mixte de suivi de l’accord de coopération militaire et technique Burkina-Mali. Une rencontre qui s’inscrit dans le cadre de l’accord de coopération militaire signé entre les deux pays le 24 mars 2006 à Koulikoro. Accord classique : formation, perfectionnement, recyclage des personnels militaires, assistance technique, missions de sécurité, réalisation d’infrastructures spécialisées…

Mais ainsi que le soulignait Jaunasse Yaro, ce matin (mercredi 5 décembre 2012) dans L’Observateur Paalga : « La particularité de cette cinquième rencontre du comité de suivi de l’accord est sans conteste le contexte sécuritaire dans lequel il se tient. De ce point de vue, le comité de suivi qui a également pour rôle de faire des recommandations pour améliorer la mise en œuvre de l’accord, selon son directeur, Lucien Honoré Nombré, pourrait donc faire des propositions allant dans le sens d’une assistance sécuritaire dans le cadre de la crise au Nord Mali ».

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Attentat à Bamako : La réaction du gouvernement malien