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Ablassé Ouédraogo, président de « Faso Autrement » : « Les élections couplées Législatives-Municipales ont été entachées de fraude méthodiquement organisée, de corruption et d’achat de conscience des électeurs »

Publié le jeudi 6 décembre 2012 à 00h39min

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Ablassé Ouédraogo, président de « Faso Autrement » : « Les élections couplées Législatives-Municipales ont été entachées de fraude méthodiquement organisée, de corruption et d’achat de conscience des électeurs »

A la suite du président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), Zéphirin Diabré, qui a dénoncé des « manœuvres politiciennes » pour lui voler sa victoire dans le Kadiogo et qui a, du même coup, dénoncé des fraudes, c’est au tour de celui du jeune parti de 14 mois, « Le Faso Autrement », Ablassé Ouédraogo de monter au créneau. Dans cette interview, il dénonce une « organisation méthodique de la fraude, la corruption et l’achat de conscience des électeurs par le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti au pouvoir lors de ces scrutins. Présent seulement dans seulement 15 provinces sur les 45 que compte le pays, Ablassé Ouédraogo est sûr que son parti aura des postes de conseillers municipaux.

Mais « pour les députés, je ne peux plus rien dire parce qu’avec l’organisation méthodique de la fraude et l’achat inconsidéré des consciences par le CDP… », affirme-t-il. Lisez plutôt.

Lefaso.net : Les élections couplées Législatives-Municipales viennent de se dérouler, quelle appréciation faites-vous du processus ?

Ablassé Ouédraogo : Je considère que la démocratie fait son bonhomme de chemin au Burkina Faso et que la population y adhère sans réserve. Nous pensons que le fait qu’il n’y ait pas eu de violence particulière sauf dans deux ou trois endroits notamment à Banfora, pendant le déroulement du scrutin en est une parfaite illustration. Cependant, je pense qu’il faut reconnaitre que nous avons enregistré un certain nombre d’écueils qu’il faut impérativement corriger pour les prochains scrutins si on veut vraiment donner au peuple l’occasion de s’exprimer en toute conscience à travers les urnes.

De quels écueils parlez-vous ?

Avant d’évoquer les écueils, je voudrais redire que du point de vue de « Le Faso Autrement », le Burkina Faso aurait pu prendre un peu plus de temps pour peaufiner l’organisation matérielle des élections et cela était, d’autant plus, possible vu que le mandat des députés va jusqu’en juin 2013. Le 2 décembre n’était donc pas une date butoir pour l’organisation d’une élection et tout le monde en convient que nous n’étions pas fin prêts. Pour illustrer mes propos, je dis avec force que l’enrôlement des électeurs pendant l’hivernage a laissé de côté une moitié de la population burkinabè concernée par les élections du 2 décembre. On aurait pu, avec un décalage dans la date de la tenue des élections, diminuer le nombre de ces Burkinabè laissés au bord de la route.

La 2e observation est que les difficultés que nous avons enregistrées ça et là, notamment l’ouverture avec retard ou la non ouverture de certains bureaux de vote, le non acheminement du matériel dans certains bureaux de vote, entachent la crédibilité de la consultation. Parce que des citoyens ont été empêchés de jouir de leurs droits de voter. Pour ce qui est des élections elles-mêmes, au Faso Autrement, nous avons été choqués par deux faits majeurs. Il s’agit premièrement de l’achat massif de conscience des électeurs. C’est triste et écœurant de le dire. L’achat des consciences s’est fait avec une distribution d’argent qui a été faite de façon inconsidérée par le CDP pour s’assurer le vote d’honnêtes citoyens. La question qui me perturbe est de savoir d’où provient cet argent déversé sur le Burkina Faso pendant cette période ?

Le Burkina Faso finance son développement à partir de l’aide extérieure. Et il est incompréhensible qu’il y ait autant d’argent dans notre pays et qu’on ait encore besoin de se tourner vers la communauté internationale pour résoudre des questions cruciales comme la lutte contre la famine que notre pays a connue l’année dernière. Cet argent pouvait être utilisé à cette fin. Malheureusement, la population n’avait pas le choix, au regard de l’état de pauvreté dans lequel elle est plongée, que de monnayer leurs voies contre un billet de 1000 ou 2000 francs CFA ou même contre un tee-shirt. Ce fait est triste et démontre à souhait que l’intégrité n’est plus de mise au Burkina Faso.

La 2e chose qui est écœurante est l’organisation méthodique de la fraude par le parti au pouvoir. Les Burkinabè ont maintenant les yeux ouverts et ils savent que les résultats annoncés ne reflètent pas réellement les sentiments de la population vis-à-vis du CDP.

Parlez-vous des projections faites par le CDP ?

Non. Mêmes les tendances qui sont déjà données par certains médias. Les estimations actuellement publiées, compte tenu de sentiments de fatigue générale exprimée par la population à l’endroit du parti au pouvoir, ne reflètent pas la réalité. Je donne un exemple que j’ai, moi-même, vécu dans mon village à Dabaré qui est situé à 30 km de Ouagadougou. Le jour du scrutin, des électeurs sont venus de Ouagadougou pour voter à Dabaré alors qu’ils n’ont rien à voir ni de près ou de loin avec le village surtout que c’étaient des élections purement locales. J’ai dû rougir l’œil et retirer leurs cartes d’électeurs. J’en ferai des preuves pour les recours qui viendront. Malheureusement ces individus avaient déjà voté et cela a certainement influé sur les résultats du scrutin. En me renseignant, j’ai appris que c’est un militant CDP qui les avait fait enrôler à Dabaré contre une rétribution financière.

J’ai été complètement ahuri par cela. J’ai été chanceux parce que je suis tombé sur ces cas mais je suis certain que ces manœuvres se sont produites dans d’autres localités. Le fait d’utiliser la misère de la population pour satisfaire ses ambitions politiques n’est vraiment pas une manière de rendre service au Burkina Faso. L’autre illustration est le cas de l’arrondissement 4 de Ouagadougou où manifestement rien n’a été fait pour éviter la fraude. Dans cette opération de fraude, le maire sortant a joué le rôle capital. On l’a vu le jour du scrutin en compagnie de Arthur P. Kafando, tête de liste du CDP dans le Kadiogo et François Compaoré. Ce qui s’est passé dans l’arrondissement 4 n’est pas accidentel. Ce sont des actes pensés et mis en œuvre pour maintenir le CDP aux affaires. L’écœurement et les frustrations que les populations peuvent avoir comme sentiment est à l’origine des situations de conflit qui naissent souvent après certaines élections. En tant que président de parti, je trouve que ce qui se passe ailleurs peut bien arriver au Burkina Faso et que tout le monde doit faire attention à ses actes.

On se rappelle tous du printemps arabe l’année dernière qui avait commencé par des situations banales de frustration et qui avait vite pris de l’ampleur. Si je compare le cas du Burkina à celui d’autres pays, le fait que la population soit fatiguée du CDP peut provoquer des troubles à n’importe quel moment pour peu qu’il y ait une étincelle. Pour ces élections qui ont été entachées de fraude et de corruption, si l’on n’y prend garde, on peut arriver à une situation difficile pour le pays.

Que proposez-vous pour les résultats de l’arrondissement 4 de Ouagadougou ?

Nous préparons actuellement un mémoire en défense pour présenter un recours en annulation auprès du Tribunal administratif et du Conseil constitutionnel pour les deux scrutins. Dès ce soir (NDLR, 5 décembre 2012), nous déposerons le recours contre les résultats de l’arrondissement 4. Et si le droit est dit, car tout le monde est conscient des fraudes qui ont eu lieu, pour l’arrondissement 4, la solution pour faire baisser la tension au sein de la population serait d’annuler les résultats et de recommencer.

Le président de l’UPC a indiqué qu’on veut voler sa victoire dans le Kadiogo. Un commentaire…

Je voudrais féliciter l’UPC et les autres partis de l’opposition qui ont participé effectivement aux consultations électorales du 2 décembre 2012 et réalisé de bons résultats. J’en profite pour les inviter à se regrouper pour consolider les chances d’une alternance au Burkina Faso. Pour répondre à votre question, si le président de l’UPC le dit, il doit savoir de quoi il parle. Je ne sais pas quel dispositif il a mis en place pour avoir toutes les informations à sa possession. S’il dénonce une telle situation avec force, il doit être sûr de ce qu’il dit. Il est un homme responsable. Je constate juste que les élections de cette année ont été malheureusement teintées de fraudes, de corruption et d’achat de conscience à tel point que les frustrations d’une grande partie de la population sont profondes.

Selon ses estimations, le CDP pense qu’il aura 4 députés sur 9 dans le Kadiogo. Pensez-vous la même chose ?

Comme on ne dispose d’aucune information sur les résultats, il m’est difficile de me prononcer. S’ils le disent, je pense qu’ils savent ce dont ils parlent. Mais si ces résultats venaient à être confirmés, ils ne reflèteront pas les aspirations réelles de la population qui aspire profondément au changement. C’est pour cela que je dis avec insistance qu’à force de vouloir perpétuer ces genres de situation, on finit par allumer l’étincelle fatale.
L’UPC prévient de ne pas pouvoir empêcher ses militants de se faire entendre si toutefois les résultats n’étaient pas conformes à la réalité. Au niveau du Faso Autrement, brandissez-vous les mêmes menaces ?
Ce ne sont pas des menaces.

C’est plutôt la réalité du terrain et les gens du CDP doivent avoir plus d’informations que nous parce qu’ils disposent des services de renseignement du pays. Malheureusement les élections ne se sont pas déroulées dans les conditions de transparence et d’équité comme les gens le souhaitent. Il y a eu beaucoup de fraudes, d’achat de conscience et un volume extraordinaire d’argent, venu de je ne sais où, et déversé sur des citoyens honnêtes pour arracher leurs votes. Les conséquences de telles pratiques sont imprévisibles.

A partir des chiffres dont vous disposez, à combien de députés vous attendez-vous ?

Je suis à l’aise pour dire ceci : pour le parti « Le Faso Autrement » qui n’a que 14 mois d’existence, tout ce qui sortira des urnes comme résultat sera comme du bonus pour nous. Ma satisfaction profonde est que tous les militants ont travaillé avec des moyens très limités. Nous en sommes fiers. Nous accepterons tous les résultats qui sortiront des urnes car les élections du 2 décembre n’ont été qu’une étape pour nous. Notre objectif principal étant la présidentielle de novembre 2015. Les élections couplées ont été un cadre de formation pour nous. Nous aurons certainement des conseillers municipaux mais pour les députés, je ne peux plus rien dire parce qu’avec l’organisation méthodique de la fraude et l’achat inconsidéré des consciences par le CDP, je me demande si les résultats finaux que nous aurons reflèteront la réalité du terrain. Tout le monde sait que Le Faso Autrement a beaucoup de militants qui adhèrent à sa vision et si d’aventure nous n’avons pas de députés, ce ne sera pas la fin du monde. Nous nous préparerons pour les prochaines échéances.

Jacques Théodore Balima

Lefaso.net

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