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Daniel Duncan Kablan, premier ministre de Côte d’Ivoire : Au nom de la « cohésion sociale » et de « l’entente parfaite » ?

Publié le vendredi 23 novembre 2012 à 18h54min

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Daniel Duncan Kablan, premier ministre de Côte d’Ivoire : Au nom de la « cohésion sociale » et de « l’entente parfaite » ?

La brutalité politique avec laquelle le gouvernement de Jeannot Ahoussou-Kouadio, en place depuis seulement huit mois (13 mars 2012), a été dégagé en touche le mercredi 14 novembre 2012, laissait penser que l’opération relevait de l’électrochoc. Une semaine plus tard, c’est : « Veuillez nous excuser pour cette interruption momentanée de l’image » comme on disait autrefois à la télé quand ce n’était pas encore une technologie parfaitement maîtrisée.

Le son, lui non plus, n’est pas totalement revenu : le président de la République, Alassane D. Ouattara, n’a encore rien dit, à l’heure qu’il est, de sa motivation. Quant à l’image, si elle est revenue, on ne sait pas s’il s’agit de celle de 2012 ou de 1993 : Daniel Duncan Kablan, nommé premier ministre le 21 novembre 2012, l’avait déjà été le 15 décembre 1993 et son gouvernement conserve, pour l’essentiel, les ministres de son prédécesseur.

Jeannot Ahoussou-Kouadio, lui, avait été un premier ministre tout neuf. Un « politique ». Député PDCI, il avait été le promoteur de la fondation, le mercredi 18 mai 2005, dans les Salons Hoche, à Paris, du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Il avait été aussi, avec Amadou Gon Coulibaly, le co-directeur de campagne de Ouattara, candidat RHDP au second tour de la présidentielle 2010. Cet avocat a été, véritablement, l’homme qui a ressuscité politiquement Henri Konan Bédié. « Il est rare en Afrique de voir un président de la République, victime d’un coup d’Etat absurde, revenir et prendre les rênes de son parti et contribuer à l’approfondissement de la consolidation de la démocratie sans haine, ni rancune. Je crois que le cas du président Bédié est un cas unique en Afrique », avait-il déclaré, en 2008, quelque peu abusivement, au journaliste Akwaba Saint-Clair.

Exit donc Ahoussou-Kouadio. Bienvenue à son aîné Duncan Kablan. Mais il faut prendre en compte, avant de saluer ce départ digne, les dernières déclarations du premier ministre sortant au lendemain de sa… « sortie ». Le samedi 17 novembre 2012, commentant ce départ et sachant qu’il ne serait pas reconduit à la primature, Ahoussou-Kouadio avait déclaré devant les députés PDCI : « Les Ivoiriens ont besoin d’humilité. Soyons humbles […] Nous nous sommes suffisamment offerts en spectacle pour la communauté internationale. Tout le temps, les Ivoiriens se présentent sous un mauvais jour. Il est temps qu’on dise qu’il y a la paix en Côte d’Ivoire, la cohésion sociale en Côte d’Ivoire et l’entente parfaite en Côte d’Ivoire ». La dissolution du gouvernement a pris Ahoussou-Kouadio par surprise. Il aurait pu s’en offusquer ; s’insurger même. Fin septembre 2012, il avait convoqué un séminaire gouvernemental pour « évaluer les actions déjà entreprises ainsi que le chemin restant à parcourir jusqu’à la fin de l’année ». Ce sont d’autres qui vont devoir le parcourir… !

Mais Ahoussou-Kouadio a dit ce qu’il fallait dire : humilité, cohésion sociale, entente. Et son successeur semble avoir entendu le message. On pouvait craindre que technocrate plus que politique, Duncan Kablan enfourche, une fois encore, son « éléphant d’Afrique »*. Il n’en a rien été, pour l’instant (même s’il attend toujours beaucoup du « rôle important » que doit jouer le secteur privé « tant national qu’international »). Dans sa première déclaration, il a dit ce qu’aucun homme politique ne dit jamais concernant ce pays : la moitié de sa population est pauvre et la lutte contre la pauvreté doit être une priorité du gouvernement… !

Les samedi 13-dimanche 14 et mercredi 17 octobre 2012, dans Le Figaro, deux pages de « publi-rédactionnel » évoquaient « les lendemains qui chantent » en Côte d’Ivoire. Un « truc » mieux ficelé que ceux que l’on nous propose, habituellement, dans le cadre de ces opérations : « Je paye (cher) pour vous dire (à l’étranger) que je suis le meilleur ». Et qui, à l’exception de Charles Koffi Diby, alors ministre de l’Economie et des Finances (ce qu’il n’est plus désormais), a fait la part belle aux entrepreneurs plutôt qu’aux ministres. Il y avait une raison à cette opération : du 14 au 17 octobre 2012, se tenait à Abidjan le Forum d’affaires Franco-Ivoirien organisé par Ubifrance et le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire/Cepici (occasion de publier, notamment dans Jeune Afrique, une dizaine de pages de « publi-information » sur « les PME africaines au cœur de la croissance »). Du classique : d’ici 2020, la Côte d’Ivoire, dirigée par un « économiste reconnu », « locomotive de l’Afrique de l’Ouest », « partenaire historique de la France », aura rejoint « le cercle des pays émergents » !

Un mois plus tard, Duncan Kablan, s’il rappelle qu’ADO à « l’ambition […] de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent en 2020 », souligne aussi que « chacun sait » que la période est « difficile en ce sens qu’il y a beaucoup d’actions syndicales qui ont lieu sur le terrain [ah bon, ça grogne dans les entreprises ?]. Il y a beaucoup d’impatience ». S’il annonce une croissance de 8,6 % en 2012, de 9 % en 2013 et « à deux chiffres rapidement à partir de 2014 », la réalité s’impose au gouvernement : « Nous sommes autour d’un taux de 50 % de pauvreté ».

« L’élément important sur lequel a insisté le président de la République, c’est sur le problème de la lutte contre la pauvreté. Quand il veut faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent et qu’il veut une croissance forte, il souhaite que le taux de pauvreté soit réduit […] de moitié, au plus tard dans les cinq années à venir […] Il a demandé qu’on travaille beaucoup sur le dossier de l’emploi, l’emploi des jeunes notamment, de façon à ce que l’espérance revienne au niveau de la jeunesse qui est le fer de lance de la croissance ». Une croissance économique qui n’entraîne pas une évolution sociale perceptible par la population c’est, à coup sûr, la porte ouverte aux tensions. Et la Côte d’Ivoire ne peut pas se le permettre.

Aujourd’hui, est-ce le « départ » d’Ahoussou-Kouadio qui est significatif ou le « retour » de Duncan Kablan ? « L’affaire du 14-novembre » est-elle l’amorce d’une rupture politique entre le PDCI et la présidence de la République ? A quelques rares exceptions (liées à des fusions de portefeuille), le nouveau gouvernement reconduit l’équipe d’Ahoussou-Kouadio. Ce serait donc lui la cible de ce chambardement. Or c’est un politique, député, homme-clé du PDCI, initiateur du RHDP, proche de Bédié. Duncan Kablan est un technocrate (il conserve en tant que premier ministre le portefeuille de l’économie et des finances – avec une ministre déléguée – comme avait procédé Ouattara avec Duncan Kablan quand il avait été nommé premier ministre par le « Vieux »). ADO voudrait ainsi passer du politique au technocratique afin d’échapper à cette « ambiance délétère » qu’il déteste et qui, pour lui, est un rappel aux règlements de compte du passé (1993, 1995 etc.).

Le pouvoir est à la présidence ; pas au gouvernement et encore moins à l’Assemblée nationale. La nomination de Duncan Kablan (considérablement plus proche d’ADO que de Bédié), est le résultat d’un rapport de force qu’ADO a imposé à Bédié : la présidentielle est terminée et le patron c’est lui. Même si, pour sauver les apparences, Bédié est consulté. Duncan Kablan vient de le rappeler : « « Vous me permettrez aussi de remercier le président Henri Konan Bédié, le président du PDCI-RDA, d’avoir accepté qu’on puisse me nommer premier ministre après des discussions avec le président Alassane Ouattara ». Reste à savoir jusqu’où cette présidentialisation du pouvoir pourra être menée, politiquement vis-à-vis du PDCI, socialement vis-à-vis de la population ivoirienne. Un sacré challenge.

* Du 2 au 4 octobre 1995, à la veille du lancement de la campagne pour le présidentielle 1995, a été organisé le colloque « Investir en Côte d’Ivoire » qui aura un formidable succès d’audience au lendemain de la dévaluation du franc CFA. Le pays ambitionnait alors de devenir « l’éléphant d’Afrique », « le meilleur des nouveaux marchés » (on ne parlait encore de marchés « émergents »). Duncan Kablan avait été omniprésent tout au long de ces journées qui restent comme un événement fort de la communication économique de la Côte d’Ivoire.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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