LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Assassinat de Norbert Zongo : 6 ans après, Colombo cherche toujours

Publié le lundi 13 décembre 2004 à 07h40min

PARTAGER :                          

Cela fait six ans que ça dure. Six ans depuis ce jour maudit de 1998 quand des mains invisibles ont décidé de réduire au silence le directeur de publication de l’Indépendant. Mais plus que le crime lui-même, c’est la barbarie avec laquelle le forfait a été commis qui allait révulser les Burkinabè.

Norbert Zongo sera en effet retrouvé calciné quelque part en rade de Sapouy et avec lui, ses trois compagnons d’infortune dont un de ses frères.

On savait depuis les révolutionnaires d’août 83 qu’on pouvait tuer quelqu’un pour ses opinions, ses convictions, ses idées mais jamais crime n’aura été exécuté avec autant de cruauté et de haine. Le Burkina venait ainsi de faire un pas de plus vers l’abîme de la violence en politique. Car, il ne faisait pas l’ombre d’un doute que c’est pour ses activités de journaliste que notre confrère a été boucané, donnant ipso facto naissance à la crise la plus grave que notre pays ait connu et dont nous continuons encore à solder les comptes.

Qui a pu faire ça et pour quelles raisons ? Question saugrenue s’il en est pour une frange de l’opinion embarquée dans une enquête à la Colombo où les assassins et leurs commanditaires étaient d’avance connus. Les mobiles aussi. Pour beaucoup, il ne faisait en effet l’ombre d’aucun doute que ce sont des éléments du régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui avaient accompli la basse besogne sur ordre de François Compaoré. Lesdits kodos n’étaient-ils déjà pas impliqués dans la torture, jusqu’à ce que mort s’ensuive, de David Ouédraogo, chauffeur de François, accusé de vol d’argent sur fond d’une histoire obscure d’atteinte à la sûreté de l’Etat ? Et Norbert, on le sait, en avait fait son affaire, ce qui agaçait de plus en plus la famille présidentielle, à commencer par le frère cadet de Blaise Compaoré.

Ce serait donc ses investigations sur l’affaire David qui aurait valu à notre confrère le triste sort qu’on lui a réservé. Trop simple ? Trop évident pour être vrai ? En tout cas, il ne suffisait pas pour les Colombo de tenir leurs assassins, encore fallait-il les confondre par des preuves irréfutables ; et c’est souvent ce qui complique la tâche du célèbre lieutenant de police dans la mesure où de simples certitudes et des présomptions de culpabilité, encore moins le flair, ne suffisent pas.

Sur fond de manifestations violentes, de répressions policières et d’une récupération politique somme toute légitime, une Commission d’enquête indépendante (CEI) a certes été constituée qui a déniché six "suspects sérieux" (tous du RSP) après quelques mois d’enquête mais depuis, plus rien. Ou plutôt si. Un des six "SS" a fini par être inculpé le 2 février 2001 pour "assassinats et destructions de biens mobiliers".

L’adjudant Marcel Kafando, qui est, pour ainsi dire, "monté en garde" en passant de suspect sérieux à inculpé, avait déjà été jugé et condamné par le tribunal militaire de Ouagadougou à 20 ans de prison ferme dans l’affaire David. Le juge d’instruction Wenceslas Ilboudo qui avait pris le relais de la CEI avait donc enfin mis quelqu’un en examen, lui que ses contempteurs disaient au mieux endormi, au pire pleutre ou incompétent.

Il n’était cependant pas au bout de ses peines et voici ce que nous écrivions après ce réveil du dossier : "Loin d’être un aboutissement, cette nouvelle donne judiciaire inaugure les vraies angoisses du juge d’instruction qui n’a plus d’autre choix que d’aller plus loin, ne serait-ce que pour montrer aux justiciables qu’il n’a pas pris cette décision pour amuser la galerie et se donner du temps.

De deux choses l’une : ou Kafando se met rapidement à table s’il a quelque chose à se reprocher et l’on pourra remonter facilement à ses cosicaires et, éventuellement, à celui qui leur aurait passé le marché ; ou malgré les contradictions et incohérences de ses dépositions il "tilte" et là le juge d’instruction n’est pas sorti de l’auberge à moins d’avoir des indices moins frêles et moins contestables et démontables d’un strict point de vue judiciaire.

Autant dire que maintenant les choses peuvent aller très vite comme elles peuvent marquer un coup d’arrêt ou traîner". Nous ne pensions pas si bien dire dans la mesure où à ces considérations est venue se greffer la santé fragile du monsieur qui n’est même plus détenu à la MACO mais gardé à la maison ; toute chose qui freine le travail du magistrat instructeur alors que le nouveau statut du suspect sérieux lui permettaient dorénavant de faire des interrogatoires de fond ou de procéder à des confrontations.

Si ans après la boucherie de Sapouy, c’est donc le statu quo car :
- si la CEI avait établi une relation de cause à effet entre les affaires David et Norbert ;
- si cette CEI a "relevé des contradictions et des incohérences dans les auditions d’un certain nombre de personnes suspectées, en relation avec leur emploi du temps du 13 décembre 1998" ;
- si la même CEI a déniché six suspect sérieux ;
- si l’un des "SS" est finalement, et pour l’instant, présumé coupable du crime dans le cadre de la procédure judiciaire ;
si... Colombo est toujours à la recherche des preuves irréfutables qui accableront les assassins et leurs commanditaires.

Faut-il se passer de cela et boucler le dossier au risque de le bâcler, toute chose qui permettrait à nos coupables désignés de s’en tirer à bon compte si l’accusation ne parvient pas à administrer la preuve de leur culpabilité ? Confier le dossier à un collège de juges d’instruction comme l’idée a été émise entre-temps ou à l’un de ces magistrats "courageux, honnêtes, intègres indépendants" dont on entend souvent parler sans en avoir le répertoire ? On ne le sait trop. Quoi qu’il en soit, 6 ans c’est long et plus le temps passe, plus les chances de dénouer cet écheveau judiciaire s’amincissent même si on ne désespère pas de voir la vérité éclater un jour, tôt ou tard.

En attendant, si la crise n’est pas derrière nous, les passions sont néanmoins retombées et le Burkina qui a flirté avec l’abîme entre 1999 et 2001 a renoué avec la sérénité ; cette sérénité qui a peut-être manqué au traitement du dossier. Mais pouvait-il vraiment avoir sérénité vu l’état de choc dans lequel l’autodafé de Sapouy a plongé les Burkinabè ? On peut en douter.

Observateur Paalga

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique