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La rébellion au Mali n’a rien de la révolution promise. C’est juste un constat d’échec… général (2/2)

Publié le lundi 29 octobre 2012 à 13h54min

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La rébellion au Mali n’a rien de la révolution promise. C’est juste un constat d’échec… général (2/2)

Faut-il accorder autant d’importance à ce qui se passe au Mali et notamment dans le Nord ? (sait-on d’ailleurs « vraiment » ce qui s’y passe ?). Les diplomates ont fait de ce dossier le thème de leurs rencontres et les médias en font leur « une » jour après jour. Sans que grand-chose ne bouge. Et plus de huit mois après le déclenchement de la « guerre » contre Bamako par le MNLA, tout ce qui a été entrepris jusqu’à présent apparait totalement stérile.

Cette « rébellion », mal préparée et plus mal menée encore, n’a pas été la « révolution » promise qui devait éradiquer un régime corrompu qui était en connexion avec les groupes terroristes et les organisations mafieuses qui, déjà, sévissaient dans le Nord du Mali ; cette « révolution » qui entendait mettre un terme à l’ostracisme de Bamako à l’égard des Touareg, pendant malien de celui en vigueur en Guinée à l’encontre des Peuls, en Côte d’Ivoire vis-à-vis des Dioula… Mais l’échec du MNLA n’a pas été racheté par la réussite d’Amadou Toumani Touré. Face à la crise, il a préféré se boucher les oreilles et faire « comme si » tout allait bien, affirmant que le Mali allait poursuivre son petit bonhomme de chemin jusqu’à l’élection présidentielle à laquelle toutes les « élites » du pays étaient candidates.

Le MNLA a échoué, ATT a échoué. Que dire de ces officiers subalternes qui ont voulu, eux aussi, nous laisser croire qu’ils prenaient le pouvoir pour aller combattre la « rébellion » qui avait pris possession du Nord. On allait voir ce qu’on allait voir. On n’a rien vu du tout. Le MNLA a échoué, ATT a échoué, la junte a échoué. Mais il restait encore du monde pour nous faire croire que cela n’allait pas durer. La Cédéao, qui venait tout juste de renouveler ses dirigeants (un président ivoirien et un président de Commission burkinabè, difficile de rêver mieux dans le contexte d’alors), s’emparait du dossier et annonçait à tout va que demain serait un autre jour. Demain c’était hier ; et même avant-hier ! Là encore, on n’a rien vu.

Le MNLA a échoué, ATT a échoué, la junte a échoué, la Cédéao a échoué. Pas grave. Il y a du monde en réserve. Les Mauritaniens et les Algériens concernés, au premier chef nous disait-on, par ce qui se passe dans ce foutu « corridor sahélo-saharien ». Concernés mais pas tant que ça et le sommet de l’Union africaine s’est déroulé sans qu’aucune solution concrète n’apparaisse à l’horizon. Alors, bien sûr, dans ces cas-là, quand on ne sait plus quoi faire, on va faire un tour à New York, du côté des Nations unies et on s’enthousiasme soudainement pour la France – Paris étant un hub aérien pour se rendre depuis l’Afrique aux Etats-Unis (la géopolitique est aussi formatée par les réseaux aériens). « Cela a été un moment fort de voir un membre permanent du Conseil de sécurité intervenir avec autant de détermination et de clarté. Je me suis dit que c’est le début de la fin pour la crise au Mali ».

Celui qui se prend ainsi de passion pour la diplomatie française aux Nations unies s’appelle Cheick Modibo Diarra ; il est Premier ministre du Mali. Il a été « vraiment frappé par le leadership dont le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et le président François Hollande ont fait preuve à New York ». Ouuaaah, j’en suis tout retourné et mon passeport français (pardon, européen), en frétille de bonheur. Diarra voit déjà la France faire « le premier pas », les « Mirage français s’engager » et nos « forces spéciales » se joindre aux forces armées maliennes. « Tout est ouvert », affirme Diarra sans rire.

Toujours sans rire, Diarra va continuer dans la même veine : « Le leadership d’une nation se mesure aussi à sa capacité de ne pas se faire prendre tout entier en otage. Sans oublier ses otages, la République française est en train d’assurer son rôle de leader mondial. D’autres Etats se seraient recroquevillés, AQMI aurait dicté sa politique étrangère. Le fait que le président Hollande ait rejeté cela est remarquable et applaudi partout dans le monde »*. On aurait aimé que tant de détermination politico-militaire soit aussi le fait de la République malienne concernée au premier chef par cette affaire. Quoi qu’il en soit, Jean de La Fontaine a déjà dit au XVIIème siècle ce qu’il en était des « flattés » et des « flatteurs ».

Tout ce beau monde parlant français, on se demande où Diarra trouve ses infos** ; et si Paris – ce qui n’est pas, actuellement, le cas – était déterminé à entrer en guerre au Mali, y aurait-il intérêt à aller le clamer du haut des minarets ? Par ailleurs, pourquoi donc Diarra refuse de prendre en compte la réalité : sans affirmer que les « terroristes » sont, au Nord du Mali, comme des « poissons dans l’eau », ils y sont, globalement, mieux perçus que les « gens de Bamako » qui n’ont jamais rien fait pour Gao, Tombouctou, Kidal… Paris cherche d’ailleurs à se défaire de cette image de « va-t-en guerre » que lui collent Bamako et Abidjan, en s’efforçant non seulement de gagner du temps (ce n’est pas le plus difficile, on est loin encore du vote d’une résolution du Conseil de sécurité et celle-ci votée il faudra des mois pour que les militaires bougent) mais, aussi, en « mouillant » l’Union européenne. Le terrorisme y est une préoccupation mais pas une obsession : Bruxelles sait que la situation au Mali n’est pas celle décrite par Diarra ; il y a un problème pendant qui est celui des Touareg et un problème politique qui est celui de la fiabilité de la classe dirigeante. Autrement dit : au Nord-Mali, il n’y a pas que des « terroristes », il y a aussi des populations qui en ont assez d’être les laissés pour compte de gouvernements gangrénés par la corruption.

La question cruciale est de savoir ce que Bamako veut faire du Nord-Mali au-delà de l’humiliation que subit la République, l’Etat, la Nation de voir son territoire conquis par des forces dont nul ne sait la véritable finalité (la création d’un califat musulman dans le « corridor sahélo-saharien » ne saurait être un objectif crédible***). Le MNLA, qui a poussé le pion trop loin (mais pouvait-il en être autrement compte tenu de ce qu’est la nébuleuse touarègue), disait vouloir plus de justice et d’équité, plus de développement dans le Nord pour, justement, éviter que les « islamistes radicaux » ne soient un débouché assuré pour la jeunesse.

L’échec, tout autant de sa tactique que de sa stratégie, a cependant obligé les « islamistes radicaux » a sortir du bois (enfin, plus exactement, de derrière la dune) ; ce qui n’est pas la meilleure chose pour eux. Mais en tirant un trait sur les revendications exprimées par les Touareg et jamais satisfaites par aucun gouvernement malien, et en ne prenant en compte que la présence des « terroristes », Diarra « injurie l’avenir » mais aussi le présent. Et fait le jeu de ces mêmes « terroristes » qui jouent les recruteurs. De son côté, le MNLA portera dans l’Histoire de ce pays (et de la région) la responsabilité d’avoir prôné une révolution ; mais d’avoir échoué dans l’aboutissement de sa rébellion, cédant ainsi, sans vraiment combattre, le terrain à la pire « réaction ».

* Toutes ces citations sont extraites d’un papier signé Christophe Châtelot publié dans Le Monde daté du 30 septembre-1er octobre 2012, papier titré : « Pour une intervention française malgré les otages », extrait de l’entretien plus général accordé par Cheick Modibo Diarra et publié dans ce même numéro.

** Cheick Modibo Diarra a compris rapidement que l’équipe politique en place en France étant nouvelle, elle aurait tendance à se hausser du col sur la scène internationale, d’où les déclarations péremptoires des uns et des autres dont il sait tirer parti. François Hollande décrit ainsi une situation dans le Nord-Mali « insupportable, inadmissible, inacceptable » et Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, la compare à celle de l’Afghanistan, jugeant une intervention militaire « inéluctable ». Ce qui laisse penser, effectivement, que Paris est prêt à s’engager sur le terrain ; ce qui n’est pas le cas.

*** Le renforcement de l’ancrage d’AQMI en Afrique de l’Ouest a été un axe stratégique d’Al-Qaïda défini début 2006 par Abou Azzam dans la revue Sadâ Al-Jihad (« Al-Qaïda se dirige vers l’Afrique »), l’objectif final n’étant pas la conquête de l’Afrique mais l’affaiblissement de l’Europe des « croisés ». Et face à cette menace, Alger, Paris – et plus généralement l’UE – ainsi que Washington ont entrepris de déployer des moyens considérables en matière de renseignement et « d’actions spéciales »

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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