LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Mélégué Traoré, ancien président de l’Assemblée nationale : « Les élites africaines aiment qu’on les flatte »

Publié le mercredi 24 octobre 2012 à 23h13min

PARTAGER :                          
Mélégué Traoré, ancien président de l’Assemblée nationale : « Les élites africaines aiment qu’on les flatte »

Profitant d’une « pause-café » observée par les participants à la 2e session ordinaire de l’année 2012 du Comité interparlementaire de l’UEMOA (CIP) tenue du 15 au 22 août dernier à Ouaga 2000, nous avons souhaité comprendre davantage les mécanismes de fonctionnement du CIP, son Conseil parlementaire pour la paix en Afrique et les nouveaux concepts en vogue que sont les parlements communautaires… Entre deux boules de riz au soumbala, le président du comité d’organisation des travaux, Mélégué Traoré, a bien voulu répondre à nos questions. Au passage, l’ancien président de l’Assemblée nationale du Burkina s’est aussi prononcé sur des sujets politiques tout aussi actuels que majeurs.

Sidwaya (S.) : Il y a eu au mois d’août dernier, un ballet de parlementaires africains à Ouagadougou. Qu’est-ce qui explique ce rendez-vous des députés africains ?

Mélégué Traoré (M.T.) : Les parlementaires africains qui étaient présents à Ouagadougou au mois d’août dernier sont des élus nationaux appartenant au Comité interparlementaire (CIP) de l’UEMOA, dont le siège se trouve à Bamako au Mali. Le CIP tient des sessions ordinaires deux fois par an. Donc les parlementaires étaient à Ouagadougou pour participer à la 2ème session ordinaire de l’année 2012 du CIP : il s’agit de la 30ème session. A côté de ces rencontres ordinaires, se tiennent les sessions extraordinaires qui ont également lieu deux fois par an. Depuis les années 1990, l’une des caractéristiques du régionalisme africain est l’apparition des parlements communautaires, appelés en droit parlementaire, parlements internationaux.

Ils sont créés par des traités intergouvernementaux. Les parlements communautaires sont complètement différents des organisations interparlementaires comme l’Union parlementaire africaine, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie… ou autres qui sont, elles, créées par accord entre les parlements sous forme de résolution ou de statuts. Il y a aussi que depuis l’apparition des parlements communautaires en Afrique, l’activité politique et diplomatique sur tout le contient est marquée régulièrement par une intense activité des parlementaires des différents pays. Il existe six parlements communautaires en Afrique.

S. : Un foisonnement de parlements africains dont l’impact ne semble pas visible dans les prises de décisions de l’exécutif ?

M.T. : Le foisonnement dont vous parlez n’est pas fondamentalement dû aux parlements : il est la conséquence de la multiplicité des organisations sous-régionales. C’est là que réside le problème. Car désormais, toute organisation internationale digne de ce nom ou qui veut apparaître comme telle, tient à se doter d’une branche parlementaire. Le principe de la spécialisation des fonctions politiques à l’intérieur des Etats est également projeté hors des frontières, c’est-à-dire au niveau des organismes. L’exécutif a la responsabilité des politiques publiques et de la gestion de l’Etat.

En revanche, il revient au parlement de doter l’Etat de normes législatives indispensables au développement et à l’épanouissement, tant des communautés que des citoyens. L’Etat, dit-on, est un espace social normalisé, il est organisé grâce à la législation qu’établit le parlement. C’est aussi grâce au parlement, à travers le vote du budget, que l’Etat est doté de ressources nécessaires à son fonctionnement. Parfois, le privé est lui aussi concerné par l’allocation des ressources qu’opère l’Assemblée nationale chaque année. Enfin, il y a le contrôle de l’action gouvernementale. Seuls les chefs d’Etat échappent au contrôle parlementaire courant ; celui-ci n’atteint le président que dans les cas rares et improbables, de haute trahison là où elle existe, à la destitution par le parlement, là où l’impeachment existe. Avec les parlements communautaires, chacun de ces niveaux d’intervention des assemblées est touché : une partie en est transférée au plan des organisations régionales.

Ce n’est pas du tout facile. Il est déjà difficile pour les parlements de contrôler les exécutifs nationaux ; c’est encore plus ardu de faire accepter le contrôle des exécutifs à l’UEMOA, à la CEDEAO ou à l’Union africaine. Or, comme la plupart des décisions des organisations régionales échappent aux parlements nationaux, surtout depuis l’instauration du système des actes additionnels à l’UEMOA, l’unique résolution est que le Parlement communautaire joue pleinement son rôle. Le CIP a introduit deux innovations majeures en matière d’action parlementaire internationale. Il s’agit d’abord de l’observation des processus électoraux dans les Etats membres et ce, à partir de 2005. L’UEMOA est l’unique organisation internationale où le parlement a le monopole de l’observation électorale. La seconde innovation, extrêmement importante, est l’action du Conseil parlementaire pour la paix, le « CPP – UEMOA », créé par le CIP en 2004 dans le sillage de la crise ivoirienne.

S. : Le Sénat n’a jamais été un des leviers des régimes constitutionnalistes au Burkina Faso. Pourquoi un Sénat sous la IVème République marquée par un régime présidentiel ?

M.T. : Le régime burkinabè n’est pas un régime présidentiel ; c’est un régime semi-présidentiel ou si vous voulez, semi-parlementaire. Au Burkina Faso, le parlement a toujours été de type monocaméral. Jusqu’à la IVème République en effet, nous n’avons pas pensé à créer une deuxième Chambre. Au sortir de la Révolution et à l’entame de l’ère de la démocratie au début des années 1990, il a paru important de créer une seconde Chambre : la Chambre des représentants pour permettre aux sensibilités sociales spécifiques de participer au débat démocratique.

Mais l’expérience de la deuxième Chambre aurait été plus concluante si on avait donné, entre autres, à ses membres, des attributions à même de leur permettre de faire des propositions de loi. La proposition a été faite en 2000 mais elle n’a pas été retenue. En fait, son avènement est resté comme une symphonie inachevée. La Chambre des représentants a été supprimée au mois de janvier 2002. La démocratie représentative adoptée maintenant par tous les pays africains ne peut vraiment s’épanouir que si tous les segments de la société se reconnaissent dans le parlement. La création du Sénat répond d’abord à ce souci. C’est l’exigence de la représentation inclusive du parlement. C’est en tout cas le principal argument utilisé pour créer les sénats.

S. : Les récentes dispositions introduites dans la Constitution précisent qu’en cas de vacance de pouvoir prolongée, il revient désormais au président du Sénat de présider aux destinées du pays. Du coup, une certaine opinion dit que cette inversion des charges a été intentionnellement glissée pour amenuiser les prérogatives de l’Assemblée nationale et celles de son actuel président ?

M.T. : (Rires). Il s’agit de l’intérim et non de la vacance prolongée comme vous dites. D’abord, sachez que les dispositions dont vous parlez ne concernent pas le président de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré, ce d’autant plus qu’il ne sera certainement pas le prochain président du parlement national. Il n’est pas candidat à la députation. Donc en quoi les nouvelles dispositions visent Roch Kaboré ? Le projet de création d’un Sénat n’a jamais pris forme autour de la question du départ ou non du président de l’Assemblée nationale. Je peux vous le garantir, j’y ai été mêlé. Roch a fait un travail formidable pendant deux législatures ; alors, ne mélangeons pas les problèmes. Dans de nombreux pays africains, c’est le président du Sénat qui devient le dauphin constitutionnel du chef de l’Etat. Il n’y a pas de lien automatique entre le suffrage universel et l’intérim de la présidence.

S. : Vous faites partie de ceux qu’on appelle les « conseillers politiques nationaux » au sein du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). On parle, avec insistance, de la création imminente d’un front de refus interne, pour ne pas dire un parti politique dissident qui serait dirigé par les « camarades » mis subtilement à la touche lors du dernier congrès du CDP.

M.T. :J’attends de voir la création de ce parti dont vous parlez pour espérer vous répondre… On ne m’a jamais contacté pour la création d’un nouveau parti. En tout cas, j’ignore tout d’un tel projet s’il existe. Il faut éviter de diaboliser aussi les « anciens ». Cela dit, ce n’est pas en ajoutant un parti de plus à la centaine que nous avons, qui nous fera avancer. En tout cas, je maintiens que c’est débile d’avoir 150 partis politiques au Burkina. Ce n’est pas la pléthore des partis qui résoudra nos problèmes. Et cessons de faire des comparaisons qui n’ont aucun sens, avec d’autres pays.

S. : Le nom de Salif Diallo est cité pourtant dans certains milieux politiques comme la tête de proue du parti… ?

M.T. : Ecoutez ! Je vous suggère d’aller voir Salif Diallo pour en discuter avec lui ! Peut-être, avez-vous des informations dont je ne dispose pas. Après tout, c’est votre métier de nous informer, alors faites votre travail. Il vous répondra avec son franc-parler habituel. Il est consultant maintenant.

S. : Mais au fait, que renferme la notion de « conseillers politiques » ?

M.T. : Chaque parti est le siège d’un aménagement politique permanent qui ne peut pas être, évidement, le même dans la durée. Et c’est un tel aménagement qui est intervenu au congrès de mars pour le CDP. Qu’il n’ait pas été agréable pour nombre de personnalités parmi nous, cela est une toute autre paire de manches. De toutes les façons, chacun d’entre nous, pris individuellement, est conscient de ses limites au Burkina ; c’est parce que nous sommes ensemble que nous pesons depuis vingt ans. L’éclatement du parti dont on parle, est annoncé depuis vingt ans. Rien jusque-là !

Même si certains de nos adversaires le souhaitent avec une délectation imprudemment anticipée ! Les conseillers nationaux sont des militants d’envergure et d’expérience placés auprès du secrétaire exécutif national du parti pour l’appuyer et le conseiller. C’est une bonne formule. Le même système existe au sein du National democratic congress (le NDC de feu John Evans Atta-Mills au Ghana ), et au Rassemblement du peuple togolais (l’ex-RPT au Togo) où les conseillers sont appelés les « sages » du parti.

S. : Pensez-vous que l’actuel mandat du président du Faso pourrait être celui de l’alternance politique sous la IVème République ?

M.T. : Nous ne sommes pas en train de parler en bwamu, en pular, en dioula, en mooré ou en senar (le senoufo), mais en français. Alors, gardons aux mots leur sens. Il n’y a d’alternance que quand par l’élection, le peuple choisit un projet politique alternatif à celui en place. Il n’y a d’alternance que quand se succèdent au pouvoir deux tendances politiques opposées ou fortement marquées. Il n’y a pas alternance s’il ne s’agit que de changement de dirigeants.

A supposer que Blaise Compaoré ne se représente plus en 2015 et que le CDP porte son choix, par exemple sur Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré, Arsène Bongnessan, Assimi Kouanda, François Compaoré, Salif Diallo, Naboho Kanidoua ou enfin, Mélégué Traoré, et si la personne gagne l’élection, cela ne sera pas de l’alternance politique. On aura une mutation du personnel politique, mais cela n’est pas de l’alternance. Il y aura alternance quand les Burkinabè voteront pour un autre projet politique pour le Burkina, différent de celui du parti au pouvoir par exemple, celui des sankaristes.

En ce qui concerne le président du Faso, le parti politique auquel j’appartiens a pris position depuis quelque quatre ans sur la question du l’article 37 : la position du CDP n’a pas formellement changé, donc ma position reste celle du parti. Cependant, il importe aujourd’hui de tenir compte de plusieurs facteurs quand on parle d’alternance au Burkina. Et je le dis encore, le problème du Burkina, c’est l’incurie de notre élite. Nous sommes, y compris moi-même, inconséquents. La stabilité politique est essentielle dans un pays qui comme nous, n’a pas de ressources. Regardez par exemple la puissance diplomatique du Burkina dont on vante l’exemplarité : elle est le résultat de l’influence diplomatique de Blaise Compaoré. Traditionnellement, il y a quatre pôles diplomatiques en Afrique de l’Ouest : Accra au Ghana, Dakar au Sénégal, Abidjan en Côte d’Ivoire et Abuja au Nigeria. Le Burkina Faso a bouleversé ce schéma grâce à Blaise Compaoré mais grâce aussi, et surtout à sa longévité au pouvoir.

Nul ne peut parier sur la solidité de cette influence diplomatique du Burkina au-delà du président, le jour où il ne sera pas aux affaires. On ne remplace pas au pied levé, quelqu’un qui a exercé le pouvoir pendant 25 ans. L’alternance, aussi intellectuellement séduisante soit – elle, n’est pas une fin en soi, elle n’est pas sa propre légitimation. La réalité est que nul n’a dans ce pays, sérieusement préparé la succession de Blaise Compaoré, si on laisse de côté le jeu politicien et ses effets déclaratoires. De plus, l’histoire politique du pays a montré toute la fragilité du système et des intentions des acteurs politiques ou sociaux, qu’ils soient civils ou militaires. Nul n’a toutes les données avec certitude sur ce plan. De toutes façons, vous avez, je crois, beaucoup d’occasions de sonder le chef de l’Etat. Faites-le.

S. : L’inextricable crise malienne semble avoir surpris les observateurs de la scène politique africaine les plus avisés, ce d’autant plus que le Mali était présenté comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest ?

M.T. : La démocratie n’est pas un but en soi ! La démocratie malienne que l’on présentait comme un modèle comme vous dites, c’est celle où les populations triment dans les villages ? Ou bien c’est celle où l’on organise régulièrement des élections avec des changements de présidents ? Ce qui se passe au Mali montre bien que nos sociétés et nos Etats sont en situation extrêmement fragile. Nous n’avons probablement pas pris encore toute la mesure de la fragilité de nos Etats et de nos systèmes politiques, qui, à la moindre secousse, craquellent et s’écroulent. On se rend compte aujourd’hui que ce que l’on croyait être la démocratie au Mali, n’est rien d’autre qu’une façade. Les élites africaines aiment qu’on les flatte. Un fait frappant dans les conférences internationales, c’est que chaque délégation est fière de présenter son pays comme spécial…

Regardez l’incroyable inconséquence de la classe politique malienne. Alors que le Nord-Mali est occupé par des groupes armés fanatisés par un islam d’un autre âge, les politiques maliens, eux, se querellent pour des postes ministériels à Bamako ! C’est sidérant ! Et puis, il y a cette crispation sur une improbable « souveraineté nationale » dont on ne voit pas bien le contenu. L’objectif premier de la démocratie, c’est le développement. A chaque phase de l’histoire, les Occidentaux créent de nouveaux concepts qu’ils transfèrent en Afrique. Ce sont des mots d’ordre que nous ingurgitons de l’extérieur. L’Afrique est la seule région au monde où des Etats luttent fièrement pour être qualifié de « pauvres ». La rengaine, c’est la lutte contre la pauvreté. C’est incroyable que des pays qui ambitionnent de passer au statut de pays émergents, se plaisent à être pauvres avec le label « PPTE », Pays pauvres très endettés. Non, soyons sérieux ! L’émergence ne se proclame pas !

Si vous êtes émergents, ça se voit, on ne s’autoproclame pas émergent. Pour revenir au cas du Mali, on pourrait, étant donné les réticences de certaines franges de la classe politique et des militaires à l’égard des initiatives extérieures, presque se contenter d’observer la scène si toute l’Afrique de l’Ouest n’était pas menacée. Il faut être naïf pour croire que même au Burkina, la laïcité ne pourrait pas être un jour menacée. L’Afghanistan est plus proche de nous que vous ne le croyez.

S. : L’organisation des primaires pour la désignation des candidats à la candidature aux législatives de décembre 2012 au sein du CDP a donné lieu à de vives contestations internes visibles ...

M.T : L’ambiance se prête à ce type de questions. Mais, entendons-nous bien, il ne s’agit pas de vrais primaires. De véritables primaires supposeraient que les militants eux-mêmes se prononcent sur les candidatures. Non, il s’est toujours agi au CDP de collèges d’appréciation, composés pour l’essentiel de responsables des structures du parti. Mais chaque élection diffère de la précédente à cause du contexte. Cette fois-ci, l’après – congrès marque beaucoup le contexte. Dans l’ensemble, le parti a suivi sa démarche traditionnelle. Remarquez que nous sommes le seul parti à ainsi organiser ce type de consultation à la base en l’espace de quarante – huit heures, toutes les 45 provinces ont organisé les séances d’appréciation.

En revanche pour le contenu, on peut s’interroger sur la manière dont l’appréciation est perçue. En l’espèce d’ailleurs, la presse a relevé les dérives de l’exercice. Il y a eu trop de manipulations, d’achats de gens, de pratiques de bas-ventre, de règlements de comptes… On parle même de motos distribuées dans l’une ou l’autre des provinces. Cela explique des situations cocasses frisant parfois le ridicule. Comment expliquer sérieusement qu’à la question de savoir si Mélégué ou Yonli Ernest ou Léonce Koné sont connus dans leurs provinces, les réponses sont, "non" ! C’est de la plaisanterie !

Cela dit, il faut revenir aux fondamentaux et aux principes cardinaux du parti. Il ne s’agit que de séances d’appréciation. Les collèges n’avaient pas mandat, ni pour noter avec chiffrage, ni pour classer les candidats à la candidature. Ils n’ont pas compétence pour choisir les candidats. C’est le parti, à travers sa direction, qui choisit et investit les candidats, car c’est en son nom et grâce à ses moyens qu’ils se présentent et sont soumis au suffrage des citoyens. L’essentiel demeure la cohésion du parti autour de la direction, son implantation et son enracinement dans la population.

Entretien réalisé parIdrissa NOGO (idrissanogo@yahoo.fr)

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique