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Crise ivoirienne : Diversion !

Publié le lundi 6 décembre 2004 à 13h16min

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Thabo M’Béki était de retour en Côte d’ivoire. Mandaté par l’Union africaine (UA) au lendemain de la reprise des hostilités pour circonscrire les dégâts et donner un nouveau souffle à un processus de paix plongé dans une longue agonie, le président sud-africain s’était déjà rendu en effet le 9 novembre à Abidjan pour prendre le pouls de la situation et rencontrer son homologue ivoirien.

Puis, une fois rentré, il a reçu au pas de charge, à Pretoria, Alphonse Djédjé Mady (PDCI-RDA), Alassane Dramane Ouattara (RDR), Elimane Seydou Diarra (Premier ministre), Guillaume Soro (FN) et Blaise Compaoré, le chef de l’Etat burkinabè, réputé être le parrain des insurgés.

A l’issue de ces entretiens croisés, M’Béki avait promis de se rendre "très très rapidement" au pays d’Houphouët pour rencontrer le ban et l’arrière-ban de la classe politique afin de peaufiner son idée pour une sortie négociée de la crise. C’est maintenant chose faite puisqu’après la capitale économique, où il est arrivé jeudi dernier, le négociateur venu du cap a fait hier un break dans l’antre des rebelles, qu’il avait contourné lors de sa précédente venue.

Résultat des courses : l’acceptation samedi par le président Gbagbo d’engager la procédure de révision des conditions d’éligibilité à la présidence, en faisant modifier notamment l’article 35 de la Constitution, qui stipule que tout candidat à la magistrature suprême doit être Ivoirien de naissance, né de père ET de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine. De plus, il ne doit pas s’être déjà prévalu d’une autre nationalité. Alors qu’une loi est censée être impersonnelle et de portée générale, cette disposition avait, on se rappelle, été spécialement édictée par les concepteurs de l’ivoirité et leurs disciples pour écarter Alassane Dramane Ouattara.

Depuis, ce fameux article 35 a toujours été le nœud gordien des turbulences politiques dans lesquelles se débat la Côte d’Ivoire depuis une décennie et qui ont culminé le 19 septembre 2002 avec l’éclatement de la rébellion. Le nouveau texte, qui vient d’atterrir sur le bureau de l’Assemblée, devrait être voté début janvier au cours d’une session extraordinaire, ouvrant ainsi, en principe, une voie à la candidature d’ADO. Il n’y a pourtant pas de quoi pavoiser, et les adversaires de Gbagbo auraient tort de penser que maintenant "ça y est".

Le natif de Mama, qui, pour arriver au palais de Cocody, a surfé sur les vagues dangereuses de l’ivoirité en enfarinant au passage le général Guéi, n’a jamais fait mystère de son hostilité à la relecture de l’article 35. Sans doute pour des raisons idéologiques ou ethniques (c’est comme vous voulez), mais aussi et surtout pour une simple question de lucidité politique : plus que quiconque, il sait en effet que dans une compétition ouverte avec en lice tous les trois Eléphants de la faune politique ivoirienne, s’il ne part pas d’avance vaincu, le pari de conserver son fauteuil, acquis de haute lutte, est à tout le moins risqué.

Pourquoi alors se ferait-il hara-kiri en se convertissant subitement à la mesure charnière de Marcoussis et d’Accra III ? En fait ,"subitement" n’est peut-être pas le mot, car entre-temps, la destruction, le 6 novembre, du potentiel aérien des FANCI par la force Licorne (1) est passée par là. Et le pauvre Gbagbo ne s’était pas encore remis de ce coup de massue militaire que, le 15 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU votait, à l’unanimité de ses 15 membres, sa résolution 1572, instituant un embargo sur les ventes d’armes à la Côte d’Ivoire, avec effet immédiat. Un embargo assorti d’une promesse de geler les avoirs et d’interdire les déplacements à l’extérieur des personnalités des deux camps, qui constitueraient un obstacle à la paix, cela pour compter du 15 décembre 2004 si d’ici là les choses ne bougeaient pas dans la bonne direction.

Et quand on a cette épée d’Annan qui pend sur sa tête, ça peut faire réfléchir surtout quand on a réussi le tour de force de faire l’unanimité contre soi, même parmi ses frères et sœurs en Christ de la Maison Blanche, qui ne sont pourtant pas des amis de Chirac. Cela dit, quand on a en face de soi un maître pâtissier de la trempe de Gbagbo, on est naturellement porté à douter de sa bonne foi, car il peut aussi bien vouloir jouer la montre pour prétendre ensuite qu’il a "tout fait", mais que ce sont les autres qui ne bougent pas.

Et à y regarder de plus près, on se demande si l’évolution récente du dossier ivoirien n’est pas une avancée en trompe-l’œil, dans la mesure où Laurent Gbagbo n’a pas encore formellement renoncé au référendum constitutionnel. Lequel référendum, pense-t-on du côté du FPI, sera rejeté par le peuple, car si ADO plastronne en prétendant que lui et Henri Konan Bédié font quelque 70% de l’électorat ivoirien, il n’est pas sûr que, dans une consultation comme celle-là, le repli identitaire du petit peuple des villes et des campagnes ne lui soit pas fatal.

En effet, dans cette Côte d’Ivoire où on ne peut s’empêcher de parler ethnie, un Baoulé, nonobstant la consigne de HKB, se sent naturellement plus proche d’un Bété, fût-il sa bête noire, que d’un Dioula, et dans le secret de l’isoloir, il peut dire non au nouvel article 35. C’est d’ailleurs cette peur qui fait qu’au RDR et chez les insurgés, on ne veut pas entendre parler de voie référendaire, puisqu’on n’est pas sûr d’avoir les 70% que feraient le RDR et le PDCI malgré le mariage de la carpe et du lapin, célébré il y a quelques mois à Paris.

Gbagbo, qui renâcle depuis janvier 2003 à appliquer l’Accord conclu à Marcoussis et les décisions prises à Kléber, veut donc faire du neuf avec du vieux, et sa "nouvelle position" n’est que pure diversion. Thabo M’Béki pourra toujours repartir à Pretoria avec le sentiment d’avoir relancé une machine en panne, mais sauf miracle, on peut raisonnablement se demander comment en un tour de main, lui réussirait là où les Wade, Bongo, Obasanjo, ATT et même Eyadéma ces derniers temps ont perdu toute illusion de voir le turbulent membre de leur syndicat revenir à la raison. Lui qui était pourtant, jusqu’à une date récente, l’ennemi déclaré de la Côte d’Ivoire pour avoir eu l’outrecuidance, en 2000, de critiquer l’arrivée calamiteuse de Gbagbo au pouvoir.

Il est vrai que cet homme au nationalisme et au panafricanisme sourcilleux avait été choqué et même révolté, de voir les blindés français mettre Abidjan sous coupe réglée dans un décor digne de la période coloniale ; de sorte que, rien que pour cela, il ferait l’impossible pour que la présence tricolore soit moins voyante, et donc que la paix revienne, mais depuis deux ans que la crise perdure, il y a loin de la coupe aux lèvres. Surtout dans ses eaux troubles de la lagune Ebrié, où la pax galus s’est même transformée en conflit ouvert entre la force Licorne et les enragés du Gbagboland.

(1) En réaction au bombardement de son cantonnement de Bouaké, ayant causé la mort de 9 de ses soldats et d’un citoyen américain, et blessé une trentaine d’autres militaires français.

Observateur Paalga

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