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Affaire Torno SPA contre Etat du Burkina Faso : Le Burkina gagne le procès

Publié le mercredi 17 novembre 2004 à 12h18min

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L’opinion publique est mémorative quà l’occasion de la réalisation du barrage de Bagré, un contentieux est né entre la société attributaire dudit marché de travaux, Torno SPA (en liquidation depuis) et l’Etat burkinabé.

Un bref rappel des faits permet de dire que l’Etat burkinabé était resté redevable vis-à-vis de la société Torno, d’arrière de paiements d’un montant estimé à 6,787 milliards de FCFA en 1995. Par la suite, la société Torno a cédé sa créance à la société OMEGA le 05 juin 1998 à Milan en Italie et a signifié cette cession de créance le 03 juillet 1998 par acte d’huissier, à l’Etat burkinabé. La société OMEGA, a donc pu entreprendre des négociations avec le Burkina Faso qui ont abouti à la signature le 11 juin 1999 d’un protocole d’accord fixant les modalités de règlement de la créance cédée. Sur la base de ce protocole d’accord, le Burkina Faso a procédé au règlement de sa dette entre les mains de la société OMEGA. Par la suite, le liquidateur de la société Torno va protester par lettre de mise en demeure datée du 3 février 2000 et demander le paiement de la créance dans les 90 jours. Après qu’on lui a signifié que sa mise en demeure était sans objet du fait de la cession de la créance, la société Torno SPA , saisira la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce international (CCI) pour connaître du litige et délivrer sa sentence. Pour étayer sa demande d’arbitrage, la société Torno soutenait que l’Etat burkinabé a considéré la société OMEGA comme cessionnaire plein et exclusif de la créance, en convenant avec celle-ci des modalités de règlement de ladite créance, sans jamais la consulter et sans connaître le détail des limitations et des conditions de l’accord de cession de créance. Pour cela, elle prétend que l’accord prévoyait une condition à la charge de OMEGA qui ne l’a jamais respecté, et qui garantissait son droit de recouvrement d’une partie de la créance. Pour elle donc l’accord a cessé d’être efficace pour compter du 31 décembre 1999 à cause du non-accomplissement par OMEGA de ses obligations contractuelles. Torno évaluait ses prétentions à 30 605 677,85 euros. Soit environ 20,076 milliards FCFA non compris les frais de la procédure arbitrale .

Une victoire collective

Pour sa part, le Burkina Faso estimait avoir valablement négocié avec la société OMEGA et effectue un paiement libératoire. Il estime aussi que Torno qui n’a plus d’intérêt ni de qualité pour agir est irrecevable dans sa demande du fait de l’intervention de la cession de créance dont la validité ne peut être contestée. Le Burkina a rappelé que dans le cadre de l’exécution de ce marché conclu en juin 1989 ,pour un montant initial de 6,291 milliards de FCFA, les paiements effectués du fait notamment des travaux supplémentaires et des intérêts moratoires se sont élevés à environ 20 milliards de FCFA au 30 novembre 1993. Malgré cela, notre pays restait devoir à Torno la somme de 6,787 milliards de FCFA en 1998 mais, c’est à bon droit que cette dette reliquaire a fait l’objet de renégociation et de paiement pour solde de tout compte d’un montant de 2,326 milliards de FCFA. Si malgré tout, la demande de Torno venait à être examinée favorablement, le Burkina Faso demandait que le paiement fait à OMEGA soit soustrait de ses arrièrés vis-à-vis de Torno. En outre, l’Etat burkinabé demandait à voir Torno condamné à lui payer des dommages-intérêts pour atteinte à son crédit d’un montant de 1 000 000 d’euros et l’intégralité des frais liés à la présente procédure soit environ 1 500 000 euros. Pour faire droit à ses prétentions, l’Etat burkinabé a constitué à ses côtés, les cabinets de Maître Harouna Sawadogo, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina Faso et de Maître Alain Fenéon du Barreau de Paris, spécialiste en contentieux et arbitrage en Afrique. Le collège des arbitres était composé de Maître Serge Lazarreff pour Torno, du professeur Robert Badiuter pour le Burkina Faso et du professeur Pierre Lalive, président du tribunal arbitral. Après avoir procédé à l’audition des témoins des deux parties et les plaidoiries des parties, la sentence arbitrale a finalement été rendue en début septembre 2004 en faveur du Burkina Faso. Le tribunal arbitral statuant à l’unanimité a déclaré la demande de Torno "irrecevable faute d’intérêt à agir", et au surplus mal fondée dans la mesure où elle serait recevable. En conséquence, il a rejeté les demandes principales et subsidiaires de Torno et déclaré que chaque parie supportera ses propres frais d’avocats, les frais de l’arbitrage arrêtés par la Cour à la somme de 390 000 dollars US étant à la charge de Torno seule. Une victoire dont le Burkina Faso peut se réjouir si tant est qu’elle lui fait économiser 23 milliards de FCFA et traduit tout le sérieux et le professionnalisme avec lesquels le Burkina Faso se familiarise avec les procédures internationales de règlement des litiges.

Quelques enseignements

Le mérite en revient à la Direction des affaires contentieuses et de recouvrement des créances de l’Etat, mais, surtout aux cabinets Fenéon et Sawadogo, qui ont usé de leur connaissance pointue des litiges commerciaux et de la procédure devant les juridictions arbitrales pour faire pièce aux prétentions de Torno. Une expertise appuyée par un travail de fourmi et une reconstitution quasi-générale du dossier les éléments mis à leur disposition par l’administration étant parcellaires.

Tirant les enseignements de cette affaire, Maître Alain Fenéon a souhaité que le Burkina Faso soit à l’avenir "très vigilant" dans la passation de ses contrats internationaux et qu’il gère au mieux ses contentieux. Pour ce faire, il importerait de "former au mieux" les agents chargés de son contentieux international. Même son de cloche chez le Maître Harouna Sawadogo, lequel a surtout insisté sur la nécessité pour notre administration publique de disposer d’une "mémoire fiable" dans tous les domaines. S’ils ont eu des difficultés dans leur travail, notamment dans la reconstitution des faits, cela est à imputer à cette absence de données claires et précises, ce d’autant que le contentieux est né dix ans après l’achèvement des travaux à Bagré.

Néanmoins, cette affaire a permis selon lui "de bâtir une confiance entre l’administration et les avocats", la première ayant compris le rôle et l’importance des seconds dans le cadre de l’édification de l’Etat de droit. "Nous sommes un mal nécessaire" a ironisé Maître Harouna Sawadogo qui a indiqué que malgré le fait que lui et son collègue Fenéon aient fait économiser 23 milliards à l’Etat burkinabé, ils n’ont pas demandé une majoration de leurs honoraires. Par ailleurs, Maître Sawadogo a insisté sur le "crédit" dont jouissait le Burkina Faso auprès du tribunal arbitral dont la bonne gouvernance politique a permis de faire droit à ses prétentions sans trop problème. Il a néanmoins appelé à la "conscience professionnelle, à la loyauté et au patriotisme de tous" pour qu’il en soit toujours ainsi. Don’t act Monsieur le Bâtonnier.

Boubacar Sy (djabamagnan@yahoo.fr)
Sidwaya

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