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Madiara Koné-Messou veut faire de la Côte d’Ivoire la « ferme de l’Afrique de l’Ouest » (1/2)

Publié le mercredi 3 octobre 2012 à 23h09min

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Madiara Koné-Messou veut faire de la Côte d’Ivoire la  « ferme de l’Afrique de l’Ouest » (1/2)

La Côte d’Ivoire a été, par le passé, un « miracle » agricole. Félix Houphouët-Boigny ne s’y était pas trompé. Il n’avait eu de cesse de se présenter comme un « président-paysan ». Il disait d’ailleurs, des paysans, qu’ils étaient « ses vrais héros ». Et l’oiseau qu’il préférait était le touraco. « C’est un oiseau-paysan, expliquait-il. Il est gourmand des graines du parasolier qui ne peut prendre racine qu’une fois passée par le tube digestif de l’oiseau ».

A table, il délaissait les plats « occidentaux » pour ne se régaler qu’avec les foutou ou les bouillies d’igname accompagnés de sauce gombo, d’aubergines ou d’autres sauces à base de feuilles. Les autorités coloniales, quant à elles, avaient perçu l’intérêt qu’il y avait à développer une couche bourgeoise intermédiaire entre les colons et le lumpen-prolétariat. C’est pourquoi le Syndicat agricole ivoirien (SAA), créé dès le 9 août 1944 (au lendemain de la publication du décret du gouvernement gaulliste autorisant la création de syndicats dans les colonies) a été le vecteur essentiel de la conquête du pouvoir par un Houphouët-Boigny rapidement devenu le plus grand propriétaire terrien de Côte d’Ivoire : caféiers, cacaoyers, terres à ignames et à manioc, culture du tabac, rizières, etc. ; le café et le cacao étaient alors des productions quasi exclusivement « autochtones ».

Confronté à la faiblesse de ses ressources démographiques, la Basse Côte (ainsi que l’on appelait la Côte d’Ivoire dans les années 1950) devra faire appel au recrutement de travailleurs venant du Nord du territoire, de Haute-Volta et du Soudan français. Raymond Descleres qui fut, dans ces années-là, président de la Chambre d’agriculture et d’industrie, dira que « le développement pris par la culture caféière et cacaoyère a, en quelque sorte, provoqué l’éclatement de la forme traditionnelle des exploitations et les planteurs tendent à devenir des employeurs de main-d’œuvre extérieure. Il y a là un problème social nouveau qui surgit ». La suite prouvera qu’il avait raison avant l’heure…

Houphouët-Boigny, « président-paysan » ayant accédé au pouvoir, s’efforcera d’optimiser la production du café et du cacao, cultures traditionnelles, mais aussi du coton, du palmier à huile, du cocotier, de l’hévéa, du soja, du coprah, de la banane Poyo, de l’ananas, de la canne à sucre… Il décidera, le 13 mars 1965, un « retour à la terre » des cadres du régime : les ministres devaient mettre en valeur au moins 15 ha, les députés 10 ha, les chefs de service 5 ha… Les ministères vont ainsi se constituer en véritables féodalités régionales. L’opération sera coûteuse pour le pays.

A la recherche de scores quantitatifs, se contentant d’une agriculture pluviale, les « planteurs » vont dévaster la forêt et se lancer à corps perdu dans la culture itinérante. Au bout de quelques années, cette pratique coûtera cher non seulement au plan écologique mais aussi au plan économique : les rendements à l’hectare étaient parmi les plus faibles du monde ! Quand les autorités prendront conscience du désastre, il sera trop tard. La réhabilitation et la modernisation de l’agriculture ivoirienne devait d’abord tenir compte de la nécessité de l’aménagement de l’espace rural, d’un remembrement de l’agriculture et d’une restructuration spatiale et temporelle. De quoi heurter les « féodalités » qui avaient assuré leur emprise régionale.
Devenu un pays de « planteurs » dirigé par un « président-paysan », la Côte d’Ivoire cessera d’être un pays d’agriculteurs et d’éleveurs.

Le 10 mai 1964, quelques mois avant que Félix Houphouët-Boigny ne proclame son « retour à la terre » de la classe politique, va naître, à Ferkessédougou, Madiara Koné. Ferké, dans le Nord, est la troisième ville du pays Sénoufo après Korhogo et Boundiali. C’est là que le 3 mars 1949 ont eu lieu les troubles les plus importants de la période coloniale. A Pallaka, les troupes françaises étaient intervenues au petit jour, fauchant d’une rafale de fusil-mitrailleur les paysans qui sortaient précipitamment de leurs cases. Il y aura cinq morts ; le village sera incendié. Le prétexte en était le recouvrement d’une somme de 3.400 francs CFA qui restait due par le chef du village pour ses impôts de l’année 1948. Ferké doit sa richesse initiale aux immenses troupeaux qui sont élevés dans sa région ; la ville a abrité les plus grands abattoirs du pays. C’est aussi à Ferké qu’ont été mis en place les deux complexes Ferké I et Ferké II de transformation de la canne à sucre qui seront mis en production en 1974 et 1978 dans le cadre du controversé projet Sodesucre. Ajoutons que Ferké est, depuis la fin des années 1920, une gare sur la ligne de la Régie Abidjan-Niger (RAN) dont le terminus était alors Ouagadougou.

C’est à Ferké que Madiara va grandir dans une « famille très modeste », être scolarisée, se former au métier d’infirmière, se marier, avoir des enfants (elle en aura huit au total). C’est à Ferké qu’elle va côtoyer le « bois sacré », ce lambeau de forêt primaire dont chaque communauté a su conserver quelques vestiges près des habitations, centre initiatique par excellence pour les Sénoufo, permettant aux enfants d’entrer officiellement dans l’âge adulte et de participer, par l’enseignement du Poro, au travail de cohésion du groupe qui est l’objectif vers lequel chacun dois tendre au cours de son existence terrestre. C’est à Ferké qu’elle va découvrir que l’agriculture est ancrée dans la tradition sénoufo et sert de base au mode d’organisation politique de la communauté. Dynamiques, modernistes sans pour autant renier la tradition, capables au plus haut point d’intégrer leurs expériences passées pour les projeter dans l’avenir, conscients de leur historicité, les Sénoufo peuvent être aussi de redoutables politiques sachant manœuvrer et occuper le terrain quand il le faut. On aime dire que ce peuple de paysans pacifistes est plus qu’aucun autre soucieux de démocratie. Organisés en petits villages vivant en autarcie, ils ont développé une agriculture diversifiée et un élevage abondant.

Madiara, devenue adulte, va être confrontée de plein fouet, à la crise économique qui frappe la République de Côte d’Ivoire. Le 25 mai 1987, celle-ci se déclare insolvable ; sa dette s’élève alors à 4,5 milliards de francs français. Très rapidement la situation sociale va basculer à la suite des événements du 21 février 1990 qui, à Abidjan, vont bouleverser l’université et conduire les syndicats et l’opposition politique à radicaliser leur position. Le 3 mai 1990, Houphouët-Boigny va autoriser le multipartisme. Le 28 octobre 1990, il devra affronter Laurent Gbagbo lors de la première élection présidentielle pluraliste. Le 7 novembre 1990, Alassane D. Ouattara sera nommé Premier ministre. Le 7 décembre 1993, c’est l’annonce officielle de la mort de Félix Houphouët-Boigny qui né un mardi (kouadio en baoulé) meurt un mardi. C’est Henri Konan Bédié qui lui succède, mais la Côte d’Ivoire est entrée dans « le corridor des tentations » et ne va plus en sortir avant longtemps. Les crises vont succéder aux crises.

Une page de l’histoire de la Côte d’Ivoire est tournée. Trop enclin à compter sur un marché mondial qui ne se soucie pas des producteurs, le pays est exsangue. Et le « miracle » agricole ivoirien, qui avait fait de ce pays une tête d’affiche mondiale pour les productions agricoles industrielles : café, cacao, palmier à huile, hévéa… est devenu un mirage. Dans le même temps, la production vivrière n’est plus que l’ombre d’elle-même et l’autosuffisance alimentaire n’est plus une réalité mais seulement un objectif à terme.

Madiara, parce qu’elle est une femme, une épouse, une mère de famille nombreuse, parce qu’elle a l’expérience de l’organisation rurale en pays sénoufo, une conviction acquise dans la religion chrétienne (elle appartient à l’église évangélique « Firebrand » dont elle préside l’association des femmes), va développer une vision personnelle de l’organisation en coopérative de la production et de la commercialisation en milieu rural. Elle entendait ainsi redonner ses lettres de noblesse à la fonction agricole. C’est du côté de Bouaflé, au centre du pays, qu’elle va s’efforcer de mettre en œuvre cette vision.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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