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Adama Zerbo, Directeur général de la propriété industrielle : « Si l’inventeur a des problèmes de communication, c’est peut-être parce qu’il veut jouer un autre rôle que le sien »

Publié le lundi 24 septembre 2012 à 23h34min

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Adama Zerbo, Directeur général de la propriété industrielle : « Si l’inventeur a des problèmes de communication, c’est peut-être parce qu’il veut jouer un autre rôle que le sien »

La 10e édition du Forum national de la recherche scientifique et des innovations se tiendra du 06 au 14 octobre 2012. En prélude à la tenue de cette biennale, nous nous sommes entretenus avec le directeur général de la propriété industrielle (DGPI), Adama Zerbo. Dans cet entretien, il revient sur les attributions de la DGPI, le concept d’innovation technologique, la politique de vulgarisation des résultats de recherche, les conditions d’établissement des brevets, la qualité des inventeurs burkinabè…

Lefaso.net : Présentez-nous la direction générale de la propriété industrielle ?

Adama Zerbo : La propriété industrielle est une branche de la propriété intellectuelle, l’autre branche étant la propriété artistique et littéraire. La direction générale de la propriété industrielle se charge de la gestion d’actifs de propriété industrielle, lesquels actifs peuvent être cités comme suit : les brevets, les marques, les noms commerciaux, les dessins et modèles, les modèles d’utilités, les obtentions végétales et les indications géographiques. Voilà les domaines d’interventions de la direction générale de la propriété industrielle. Elle fait ses interventions en collaboration avec l’organisation africaine de la propriété intellectuelle qui regroupe 16 Etats d’Afrique qui ont décidé de mettre en commun leur énergie pour gérer les questions de propriété intellectuelle. En même temps qu’elle est une organisation supranationale, elle est une organisation nationale en matière de propriété industrielle pour chacun des 16 membres.

Lefaso.net : Vous êtes partie prenante dans l’organisation du FRSIT, vous intervenez dans le volet innovations et inventions, que faut-il entendre par innovations technologiques ?

Adama Zerbo : Le FRSIT qui est à sa 10e édition est une activité biennale organisée conjointement par le ministère en charge de la recherche et de l’innovation et le ministère en charge de l’industrie. L’innovation technologique, dans notre jargon, est la mise en application de ce qui a été trouvé comme invention. A titre d’exemple : la téléphonie mobile est une innovation en matière de téléphonie. Le système de téléphone lui-même existait, lui est une invention. Pour permettre d’améliorer le système, on a innové. Dans l’innovation, soit on intègre, soit on améliore. Il y a donc la notion d’amélioration et la notion d’application de ce qui a été trouvé comme invention.


Lefaso.net : Peut-on dire que les innovateurs burkinabè sont suffisamment nombreux à même d’impacter le développement du Burkina ?

Adama Zerbo : Il ne faut pas voir la question d’innovation en nombre d’innovateurs parce qu’il n’y a pas une fonction d’innovateur, ni une fonction d’inventeur qui existe ou un métier d’inventeur qui existe pour dire qu’il faut quantifier pour savoir le nombre. Si nous caractérisons l’invention comme étant la solution technique à un problème, dès lors qu’il y a un problème qui est posé, il y a des gens qui réfléchissent sur les solutions appropriées à la question. Tout ce monde là, c’est des inventeurs, c’est des chercheurs. Donc parler de nombre d’innovateurs, c’est de prendre en compte tous ceux qui réfléchissent sur des problèmes quotidiens que nous vivons au niveau du Burkina, pour trouver des solutions. A ce titre, nous pouvons dire qu’au niveau du Burkina, il y a un nombre non défini d’innovateurs. Dans beaucoup de domaines, il y a des innovations, il y a des résultats de recherche. En tout cas, au niveau du Burkina, nous avons suffisamment d’innovateurs.

Lefaso.net : Et, que dire de la qualité de ces innovateurs ?

Adama Zerbo : Tout dépend de l’importance que l’on donne au sujet de l’innovation. L’invention étant la solution d’un problème, plus le problème est crucial, plus nous pensons que cette invention a du mérite. Donc, la qualité de l’invention est toujours posée en termes de ce que nous pensons être le mérite de la solution. Pour nous, au Burkina, nous avons suffisamment d’inventions qui sont importantes parce que ces inventions résolvent nos problèmes quotidiens. Je ne pourrai pas m’attacher à l’importance d’une invention tant que cette invention ne résout pas mon problème quotidien. Comme quelqu’un l’a dit : le stylo à bille n’est important que pour quelqu’un qui sait écrire. L’importance d’une invention est donc toujours sujet à discussion. Mais, je me dis qu’il y a suffisamment de bonnes inventions au niveau du Burkina.


Lefaso.net : Parlant de qualité, les inventeurs burkinabè reviennent toujours avec des prix lorsqu’ils prennent part à des compétitions au niveau africain…

Adama Zerbo : C’est vrai, au niveau du Burkina, nous avons toujours la satisfaction de voir nos inventeurs primés au salon africain de l’invention et de l’innovation technologique, organisé tous les deux ans par l’OAPI. A chaque fois que nous avons envoyé des inventeurs burkinabè à des salons, ils sont revenus avec des médailles et plus d’une fois, nous avons eu la plus grande distinction. Par rapport à ça, je ne peux pas dire que les inventeurs burkinabè sont les plus mauvais dans l’espace OAPI. Nous pouvons même être classés parmi les meilleurs. Je ne vais pas faire la fine bouche là-dessus. Il y a des fois quand nous allons à des forums, ce que certains pays amènent comme invention, il se trouve que nous avons dépassé ça il y a longtemps.


Lefaso.net : Mais, est-ce qu’il y a une véritable politique de promotion des innovations au niveau du Burkina pour accompagner ces inventeurs ?

Adama Zerbo : Il y a un temps pas très lointain, il n’y avait pas une politique suffisamment clarifiée dans le cadre de la valorisation ou de la promotion des innovations et des inventions. Mais, depuis un certain temps, il y a eu beaucoup d’actions qui ont été mises en place pour pouvoir faire une bonne promotion des innovations et des inventions et je voudrais parler sous le contrôle des autorités du ministère de la recherche scientifique et de l’innovation où il est actuellement question de la mise en place d’une politique de valorisation des innovations qui est en cours. En tout cas, il y a un certain nombre d’orientations qui sont données par rapport à la valorisation des résultats de recherche.

Lefaso.net : Des chercheurs qui trouvent, des innovateurs qui innovent, des inventeurs qui inventent, on en trouve au Burkina, mais les résultats ne semblent pas toujours bénéficier à l’immense majorité de la population…

Adama Zerbo : C’est un des maillons faibles de ce que nous appelons être dans le système de l’invention et de l’innovation. Je vous ai dis que l’invention est la solution d’un problème. Il faut avoir conscience du problème pour utiliser l’invention. Il faut être conscient que c’est un problème pour utiliser la solution du problème. Quelqu’un qui ne sait pas qu’il est malade ne va pas se soigner. Des fois, il y a des résultats de recherche disponibles, mais les gens n’ont pas conscience que ces résultats là effectivement résolvent leur problème. Nous prenons dans le simple domaine de l’agriculture, vous avez des multitudes de variétés de semences qui ont adaptées à l’ensemble du territoire du Burkina selon les régions, et en espèces et en variétés. Il suffit que les gens acceptent de les utiliser. Mais souvent, pour une simple question de goût, la population n’adopte pas ces variétés.

Lefaso.net : Beaucoup d’inventeurs préfèrent ne pas communiquer sur leurs inventions, comment explique-t-on cet état de fait ?

Adama Zerbo : Le problème de communication de l’inventeur peut être apprécié à divers niveaux. L’inventeur ne va pas pour faire la publicité pour son invention parce que ça coûte cher. Là, ça voudrait dire que c’est l’inventeur lui-même qui a pris la décision de valoriser son invention. Alors que nous disons que dans le cadre de la valorisation de l’invention, il faut que chacun sache quel est le rôle qu’il peut jouer.

L’inventeur a sa tête, il a la possibilité de trouver la solution, mais il n’est pas un bon manager, il n’est pas un bon vendeur, il n’est pas un bon industriel. Si l’inventeur veut être producteur, vendeur, marketeur, il ne peut pas. L’industriel a peut-être l’argent pour investir, il a l’intuition des affaires. Mais, il n’a pas la tête lourde pour trouver la solution à un problème. Il faut qu’il aille vers celui qui a la solution du problème pour mettre à la disposition de ce dernier son argent. Il faut qu’il y ait une complémentarité. Si l’inventeur a des problèmes de communication, c’est peut-être parce qu’il veut jouer un autre rôle que le sien si non, le fait de dire que j’ai trouvé la solution d’un problème n’est pas difficile. Maintenant, pour le faire accepter, pour le valoriser, ça demande de l’argent.

Ensuite, n’oubliez pas que nous sommes dans un domaine de concurrence où la meilleure protection, c’est le secret. Il y a des fois où les gens ne communiquent pas parce qu’ils voudraient garder le secret pour eux.

Et, je vais ai dit plus haut que la première valorisation commence par la protection, la protection pour avoir un titre là-dessus. Mais pour avoir le titre, il faut payer. Quelque fois l’inventeur a des difficultés pour accéder à un financement qui lui permet d’avoir une bonne protection. Mais, il y a des mécanismes qu’il faut utiliser.

Lefaso.net : Quelles sont les conditions pour se faire un brevet ?

Adama Zerbo : La première condition est qu’il faut que votre invention soit brevetable parce que toutes les inventions ne sont pas brevetables. Est brevetable, ce qui est nouveau. La nouveauté, c’est dans l’absolu. Ce n’est pas qu’au Burkina, mais ça veut dire que ce n’est connu ni en Chine, ni au Japon, ni en France, ni nulle part. De deux, il faut qu’il y ait une activité inventive. Il ne faut pas que ce soit par hasard que vous êtes arrivé à la solution, mais que la solution ait été cherchée. C’est pour cela que les découvertes ne sont pas brevetables. Ensuite, il y a certains procédés qui ne sont pas brevetables. En matière de médecine, par exemple le simple fait d’avoir eu l’idée que la maladie est à l’intérieur, qu’on peut ouvrir le ventre et soigner la maladie, c’est un procédé, ce n’est pas brevetable, pourtant c’est une invention. Par contre, l’instrument que vous utilisez pour ouvrir le ventre est brevetable. Les fils que vous utilisez pour coudre les parties ouvertes sont brevetables parce qu’il faut que ce soit des fils qui aient des caractéristiques bien précises.

L’autre question, c’est qu’il faut payer pour être protégé. Là également, c’est un des problèmes. Mais, il y a des solutions. Au niveau de l’OAPI, on a mis en place un système qui permet que l’Etat du Burkina demande une subvention à l’OAPI pour un inventeur économiquement faible pour lui permettre de protéger son invention. Et là, il ne payera qu’à peu près 10%. Au lieu de payer 223 000f pour le dépôt, il ne payera que 23 000f. Ça, c’est des systèmes qui sont là.

Il y a aussi que l’invention ne doit pas être contre la morale. Dès lors que vous remplissez ces critères, on vous octroie le brevet qui est le titre qui permet de protéger votre invention.

Lefaso.net : C’est donc dire que le brevet n’implique en rien la promotion…

Adama Zerbo : La promotion est toute autre. L’utilisation de mon invention dépend de ce que je veux en faire. Une autre promotion qui peut être faite, c’est de mettre les conditions favorables pour l’exploitation. Ce sont ces conditions favorables que nous disons que c’est l’ensemble des politiques de promotion des résultats qu’il faut mettre en place. D’abord, pour permettre aux gens de savoir que la solution existe, de dire qu’en utilisant la solution, il n’y aura pas de problème pour trouver la matière première. Ensuite, qu’il y a derrière, tout un mécanisme qui permet que ce que je vais mettre en place va être vendable parce qu’on ne produit pas pour regarder mais pour vendre. L’ensemble de cette politique doit entrer dans un cadre cohérent et l’on doit pouvoir faire la promotion de l’invention en tenant compte que si l’on veut valoriser telle chose, c’est pour qu’on le produise et si on le produit c’est pour qu’on le vende. Il faut donc que les achats suivent la production.

Il y a tout un mécanisme qui se met en marche et nous, nous sommes un des maillons pour la promotion. D’abord pour encourager ceux qui trouvent à aller vers la protection. Ce n’est que la protection qui peut vous donner une meilleure valorisation. Si ce n’est pas protégé, à tout moment quelqu’un d’autre peut l’utiliser. Alors que quand c’est protégé, tous ceux qui sont intéressés pour l’utiliser doivent se référer à vous pour avoir l’autorisation. C’est vrai que ça restreint le champ d’utilisation pour certains produits. Mais, ça met à l’abri l’inventeur qui, au moins, peut espérer en tirer profit. Si non, il n’y a pas de recherche s’il n’y a pas de retour d’investissement.

Lefaso.net : Les opérateurs économiques doivent jouer un rôle important dans la vulgarisation des résultats de recherche, mais est-ce que vous avez l’impression d’être suivi par les opérateurs économiques burkinabè dans cet élan ?

Adama Zerbo : Pour le moment, nous pouvons avec certitude dire que les opérateurs économiques du Burkina n’utilisent pas suffisamment les résultats de recherche du Burkina, quelque fois par méconnaissance. Quelques fois, les gens vont chercher loin ce qu’ils ont à côté. Là, c’est le problème de communication. Je ne vous demanderai pas de faire l’expérience. Nous allons organiser le FRSIT, faites un tour quotidiennement et essayer de savoir parmi les visiteurs, quels sont ceux qui sont des opérateurs économiques. Vous allez vous rendre compte que c’est des gens qui cherchent à satisfaire leur curiosité qui viennent le plus souvent. Ceux qui viennent pour en tirer quelque chose dans le cadre de leur potentialité d’investissement ne se trouvent pas là-bas. Quelques fois même, ils trouvent que c’est une perte de temps. Il n’y a pas encore cette conscience. C’est peut-être une lacune de nous autres, structure chargée de la promotion et de sensibilisation. Mais, il faut également reconnaître qu’au niveau de nos opérateurs économiques, le développement endogène n’est pas encore encré.

On n’est pas suffisamment suivi, mais ce n’est pas pour autant qu’on perd espoir. Il y a des endroits où ça a fait boule de neige. Aujourd’hui par exemple, vous vous rendrez compte qu’il y a de moins en moins d’importation de yaourt. Les supermarchés qui s’ouvrent ne vont plus tout commander dehors. On sent de plus en plus qu’il y a des pas qui sont franchis dans l’utilisation de nos résultats de recherche (granulé de bouillie, granulé de couscous, yaourt de Koubri, de Comoé…). C’est lent peut-être. C’est ce qui nous fait perdre patience.

Lefaso.net : Quels sont les secteurs où il y a eu le plus d’inventions au Burkina ?

Adama Zerbo : Dans le secteur de la mécanique agricole, il y a eu beaucoup d’inventions. Dans le secteur de l’agriculture, il y a beaucoup de variétés qui ont été mises au point. Il y a également le domaine de l’agro-alimentaire où il y a beaucoup de recherches et beaucoup de résultats. On ne peut même pas dire que ces résultats là appartiennent à quelqu’un. C’est devenu un bien commun. Vous n’avez pas un titulaire qui dit que c’est lui qui a mis au point et qui en a un brevet là-dessus. N’oublions pas les petits outils au niveau de la mécanique. Quasiment chaque mécanicien a un outil qu’il a mis au point pour résoudre un problème particulier sur un moteur. Ce sont des éléments protégeables. Mais, un des éléments difficiles à respecter, c’est la nouveauté.

Lefaso.net : Le mot de la fin ?

Adama Zerbo : Nous vivons quotidiennement de la propriété industrielle. Le monde évolue, le monde change, nous devons nous adapter. Et pour nous adapter, il faut créer. Il faut faire la concurrence. Et pour faire la concurrence, il faut être sûr qu’on est protégé, qu’on va avoir des gains sur ce qu’on a trouvé. Il faut travailler là-dessus parce qu’on vous protège à la seule condition de divulguer ce que vous avez trouvé. Et dès lors que vous divulguez, c’est quelqu’un d’autre qui regarde. L’occasion nous est donc donné d’en parler, si ça peut faire œuvre utile, tant mieux. Tous les moyens sont bons pour nous de parler de ce sujet et de sensibiliser le maximum. Ça rentre dans notre politique de sensibilisation du grand public.

Interview réalisée par Moussa Diallo

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