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Frank Timis, « l’homme qui parle à l’oreille des chefs d’Etat africains », peut-il ressusciter le projet d’exploitation du manganèse de Tambao ? (2/2)

Publié le mardi 18 septembre 2012 à 23h10min

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Frank Timis, « l’homme qui parle à l’oreille des chefs d’Etat africains », peut-il ressusciter le projet d’exploitation du manganèse de Tambao ? (2/2)

Il y a dix ans personne, jamais, n’avait entendu parler de Frank Timis. Certes, il était présent, depuis une décennie, dans du business lié aux secteurs minier et pétrolier, mais c’était un homme… d’affaires, rien d’autre. Surtout pas un entrepreneur. Et ses « affaires » le menaient dans des pays glauques : Roumanie, Bulgarie, Kazakhstan et… Sierra Leone. Des pays où tout est possible dès lors que l’on n’a pas froid aux yeux ; ni d’états d’âme.

Timis sait tisser des relations « d’affaires » (qui sont aussi des relations politiques ; sans oublier la connexion avec des « services » sans lesquels rien n’est possible) et lever des fonds sur les marchés financiers grâce à ces relations/connexions. Et ça marche. Il débarque en Sierra Leone en 2004. La guerre civile a ravagé ce pays pendant une décennie (1991-2001). Le contrôle du secteur minier a été un des enjeux de la guerre ; notamment pour ce qui est des diamants, facilement transportables, facilement négociables. Mais la Sierra Leone regorge d’autres ressources minérales. Sauf, et c’est la grande idée de Timis, que lorsque la guerre civile fait rage il n’est guère possible d’exploiter les mines existantes et d’évacuer leur production quand pour cela il faut des routes et des ports.

Timis sait aussi que la corruption banalisée, l’absence d’infrastructures, l’insécurité chronique… n’incitent pas les grandes compagnies minières à mettre le nez dans des affaires qui ne sentent pas bon (Timis dira qu’en Sierra-Leone « Il fallait avoir le cœur bien accroché ! » ; entretien avec Christophe Le Bec – Jeune Afrique du 23 janvier 2011). Timis va trouver, à Freetown, l’homme qu’il faut à la place qu’il faut : Gibril Bangura. Bangura, formé au Junior College d’Atlanta (Georgie) et à l’American College au Caire, est proche du président Ahmad Tejan Kabbah qui, alors, régnait à Freetown. Il a fondé Sierra Leone Diamant Co. Ltd devenue, en août 2007, de façon plus neutre, African Minerals Ltd (AML). Il en est le directeur exécutif ; il est également directeur général de ses filiales en Sierra-Leone. Timis en devient le président.

En Sierra-Leone, en 2004, Timis et Bangura, à la recherche de sites de diamants alluviaux vont recenser les sites miniers inexploités du fait de la guerre (Timis appelle cela : « la cartographie minière de l’ensemble du territoire sierra-léonais pas encore sous licence, soit 42.000 km² »). En échange, ils obtiennent les droits d’exploration sur la zone. C’est ainsi qu’ils vont mettre le doigt sur le gisement de… minerai de fer de Tonkolili, présenté comme le plus important de tout le continent avec des réserves de 12,8 milliards de tonnes. Cela tombe bien : la région, au centre de la Sierra Leone, est un fief de la famille Bangura (et, accessoirement, celui de Foday Sankoh, l’ancien chef du RUF). Tonkolili va permettre de lever des fonds considérables sur le marché financier et d’entrer en tractations avec Shandong Iron and Steel Group (SISG), société d’Etat chinoise qui, en mars 2012, va entrer dans le capital de la société d’exploitation. La contribution de SISG (1,5 milliard $) va permettre de rembourser une partie des facilités bancaires sur lesquelles AML avait fondé jusqu’alors son développement.
L’affaire Tonkolili bouclée sur le papier (il reste encore à démontrer que le projet est viable pour les investisseurs et, d’ores et déjà, quelques soubresauts agitent le conseil d’administration obligeant Timis à reprendre du service actif en Sierra Leone), Timis pouvait s’intéresser à d’autres horizons africains. Ils ne manquent pas !

« On ne prête qu’aux riches ». En Afrique comme ailleurs. Dès que Timis débarque, c’est l’emballement médiatique. « Homme d’affaires exceptionnel », « Associé de J.P. Morgan », « Une fortune de près de 14 milliards d’euros dont 3 milliards en liquide », « Le plus grand investisseur en Afrique de l’Ouest », etc. En décembre 2011, il était à Dakar, s’était installé (« furtivement » commentera la presse locale) au merveilleux Radisson Blu pour y rencontrer Pierre Goudiaby Atepa, éminence grise et missi dominici d’Abdoulaye Wade, et Samuel Sarr, amateur de berlines allemandes (de luxe), ancien directeur général de Sénélec, ex-ministre de l’Energie promu ministre d’Etat et conseiller financier du chef de l’Etat abandonnant ainsi son portefeuille à Karim Wade. Conseillé par Djibril Amadou Kanouté, directeur général de Petrosen (aujourd’hui débarqué), Timis avait jeté son dévolu sur l’offshore sénégalais. Quelques jours auparavant, le 28 novembre 2011, African Petroleum Corporation Limited, société de la nébuleuse Timis, avait annoncé que sa filiale African Petroleum Senegal Limited avait obtenu deux permis d’exploration : Rufisque Offshore Profond et Sénégal Offshore Sud Profond.

African Petroleum (présidée par Anthony « Tony » Sage, comptable anglo-italien reconverti dans la finance et installé en Australie) est opérateur sur les deux blocs dont elle détient 90 %. Le communiqué publié ce jour-là par « Tony » comparait habilement les potentialités de ces deux permis au gisement Jubilee, récemment mis en exploitation au Ghana, également dans l’offshore profond, « un des plus gros champs de pétrole découverts au large des côtes d’Afrique de l’Ouest depuis dix ans », et au gisement Mercury en Sierra Leone (nettement moins prometteur : 450 millions de barils contre 1,8 milliard pour Jubilee). La démarche est simple : il y a du pétrole au Ghana et en Sierra Leone, tout laisse espérer que l’on peut en découvrir ailleurs dans l’offshore profond « qui présente à priori les mêmes caractéristiques géologiques ». Sur la base de cette réflexion, African Petroleum Corporation Limited est présent au Liberia, en Sierra Leone, en Gambie, en Guinée… et, désormais, au Sénégal. Et en Côte d’Ivoire.

Le samedi 17 décembre 2011, Timis était à Dakar pour y rencontrer Abdoulaye Wade et l’informer de son ambition de faire du Sénégal un pays pétrolier ; le lundi 19 décembre 2011, il signait à Abidjan un contrat de partage de production concernant le bloc CI-513, un offshore profond au large de Sassandra et San-Pedro. Signature en présence d’Adama Toungara, ministre des Mines, du Pétrole et de l’Energie, et de Charles Koffi Diby, ministre de l’Economie et des Finances. Sur ce bloc, Africa Petroleum sera opérateur et détiendra 90 % des parts contre 10 % pour la compagnie nationale ivoirienne Petroci. 17 décembre 2011 au Sénégal, 19 décembre 2011 en Côte d’Ivoire. Les deux dates sont significatives ; et la précipitation de Timis l’est tout autant. Au Sénégal, la fin de l’année 2011 est celle de tous les dangers. Wade entend être candidat à sa succession ; l’opposition et aussi la rue entendent faire barrage à cette candidature.

La campagne pour la présidentielle 2012 va être rude. Le débarquement de Timis est présenté par la presse sénégalaise comme « un soutien au financement de sa campagne électorale ». En Côte d’Ivoire, fin 2011, Alassane D. Ouattara, élu un an auparavant mais n’ayant accédé au pouvoir que bien des mois plus tard, en est encore à établir l’état des lieux. Plus exactement, celui des décombres. Son équipe, enthousiaste et déterminée, veut aller plus vite, plus loin. Les investisseurs sont accueillis à bras ouverts. Au sortir d’une guerre civile particulièrement meurtrière, à Abidjan on rêve les yeux ouverts… Et Timis sait vendre du rêve.

Jusqu’où cela peut-il aller ? « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard » a écrit Stéphane Mallarmé. Jusqu’alors, le hasard a servi Timis, roi des joueurs. Mais, inexorablement, les dés roulent. La nébuleuse Timis, au fil des ans, se charge d’affaires mal ficelées ou ficelées trop vite. En Roumanie, le « groupe », malgré ses connexion politiques (ou à cause d’elles et des facilités liées à la corruption de la classe politique) accumule les difficultés : après le projet Rosia Montana, c’est le projet de mine d’or Certej qui est dans le collimateur. A Londres et ailleurs, des questions se posent autour de ces projets miniers pharaoniques qui permettent à Timis de mobiliser sur le marché financier des millions de dollars. Dans une conjoncture mondiale en repli, les jours du flamboyant « empereur de l’Afrique de l’Ouest » seraient-ils comptés ?

Jean-Pierre Bejot
La Dépêche Diplomatique

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