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Gbagbo met KO la diplomatie française en Afrique noire francophone

Publié le mercredi 10 novembre 2004 à 07h32min

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"La diplomatie revient toujours, même si elle emprunte parfois des chemins de traverse, à trouver un compromis entre les objectifs ultimes de différents Etats.

Elle implique donc d’évaluer avec le plus d’exactitude possible les rapports de force, mais aussi la détermination de chacun, qui est fonction d’intérêts objectifs, de calculs, de courage et de vision".

Cette citation est extraite du livre de Bruno Le Maire. J’ai déjà évoqué son récent ouvrage : Le Ministre (cf LDD Spécial Week-End 0149/Samedi 30-dimanche 31 octobre 2004). Elle mérite d’être méditée par tous, aujourd’hui, au lendemain d’un week-end qui va marquer durablement l’histoire des relations franco-ivoiriennes et, plus encore, l’histoire de la diplomatie française en Afrique noire francophone. Il faut dire les choses telles qu’elles sont : ceux qui pensent aujourd’hui que Gbagbo a perdu son pari sont ceux qui pensaient, au lendemain du coup de force du 24 décembre 1999, que Alassane Ouattara avait gagné le sien ! Ils se préparent à une somptueuse désillusion. Une de plus !

La lecture de la presse nationale et régionale française, l’écoute des radios, sont édifiantes. Trois mots dominent les commentaires : "piège", "bourbier" et "confusion". Et ce n’est qu’un commentaire à chaud d’événements dramatiques. Quand, avec le temps, les analystes auront pris pleinement conscience de ce qui vient de se passer, ils se demanderont comment cela a pu se faire. C’est Le Maire qui donne la réponse. "Evaluer les rapports de force et la détermination de chacun". Ce qui n’est pas dans les capacités de la diplomatie française. Et Renaud Girard, dans l’éditorial du quotidien Le Figaro, explique pourquoi : c’est parce que la politique étrangère de la France se décide exclusivement à l’Elysée sous le prétexte que, dans la Constitution de la Vème République, c’est" le domaine réservé" du chef de l’Etat (ce qui est une lecture abusive de la Constitution) ; il souhaite que l’Assemblée nationale participe au débat sur les engagements diplomatiques de la France.

Il n’a pas tort. D’autant plus qu’en ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la facture commence à chiffrer. 9 morts ce week-end. Qui viennent s’ajouter aux morts accidentelles et aux multiples exactions subies par l’armée française en Côte d’Ivoire. Et un effectif désormais porté à 5.200 hommes. Pour quel résultat ? "Piège", "bourbier" et "confusion" ! Et une communauté française en Côte d’Ivoire qui est, périodiquement, mise à mal sans que jamais personne prenne en compte les conséquences durables des actions qui ont été menées contre elle ; on n’évoque le drame des Français de Côte d’Ivoire que lors des faits mais que deviennent les femmes violées, les entrepreneurs ruinés, les enfants traumatisés ?

Ce matin c’est un peu la gueule de bois. Et chacun a bien du mal à s’y retrouver. L’amoncellement des faits et la profusion des commentaires ne facilitent pas une appréhension claire et sereine de la situation ivoirienne. Une crise franco-ivoirienne s’ajoute à la crise ivoirienne, ce qui ne manque pas de compliquer les choses. Mais cela était inscrit dans la stratégie de Gbagbo : je ne cesse de l’écrire !

Gbagbo a atteint ses objectifs : humilier la diplomatie française ; lancer un pavé dans la vitrine de la Francophonie (qui va se réunir à... Ouagadougou à la fin du mois de novembre 2004) ; rester maître du jeu. La "détermination" qu’évoque Bruno Le Maire se trouve de son côté. Et, aujourd’hui, le "fauteur de troubles" est devenu la France qui, dans la crise ivoirienne, a manqué de "courage et de vision". Et quand je dis la France, je suis au-delà du cercle des responsabilités. Personne ne peut nier que Paris a eu raison de s’engager sur le terrain ivoirien, au plan diplomatique et militaire, au lendemain du coup de force du 19 septembre 2002. Ne pas le faire aurait été criminel et irresponsable. Personne ne peut nier que Marcoussis ait posé le vrai problème : la solution à la crise ivoirienne ne peut pas être le fait des instigateurs de la crise ; Marcoussis visait à mettre Gbagbo sur la touche, à suspendre la Constitution et l’Assemblée nationale et à nommer un gouvernement d’union nationale et de reconstruction sur un mandat précis. Marcoussis avait, plus encore, l’avantage d’être un projet multilatéral : France et Côte d’Ivoire mais aussi l’ensemble des chefs d’Etat africains, les institutions internationales et les bailleurs de fonds.

Il fallait s’en tenir aux engagements pris et non pas chercher des aménagements en coulisse. Le loup doit être maintenu hors de la bergerie ; il est ridicule de négocier sa présence auprès des brebis ! Dominique de Villepin l’avait compris ; pas Chirac qui pensait pouvoir manipuler Gbagbo à sa guise. Erreur. Erreur d’autant plus condamnable que dans le camp même du chef de l’Etat, plusieurs voix s’étaient élevées pour "annoncer la couleur". Dans Le Figaro daté du 18 octobre 2002, le député UMP Axel Poniatowski n’avait pas manqué de conseiller à Gbagbo de "se démettre" et d’annoncer des "élections libres", "faute de quoi, écrivait-il, la Côte d’Ivoire se dirige soit vers la guerre civile, soit vers une solution militaire forcément provisoire" (cf LDD Côte d’Ivoire 041/Mercredi 23 octobre 2002).

Il faut, deux ans plus tard, se rendre à l’évidence : la "solution militaire" est "forcément
provisoire" ; et "la guerre civile" (serait-elle "froide" comme disait Raymond Aron) est une réalité quasi quotidienne. Il n’en demeure pas moins qu’il faut trouver la porte de sortie de cette crise. Ce qui nécessite d’avoir le courage de regarder la réalité en face. La réalité, c’est la nature du régime mis en place par Gbagbo (s’il n’est pas le meilleur, Gbagbo n’est sans doute pas le pire. Mamadou Koulibaly, le président "boum. boum. boum" de l’Assemblée nationale, n’est pas mal dans le genre caricatural). Ce n’est pas qu’il soit incapable de s’impliquer dans une solution politique de la crise ; c’est qu’il ne le veut pas. Le fondement même de ce régime est l’exclusion des autres ; c’est inhérent à la structure bété de ce pouvoir (cf LDD Côte d’Ivoire 0125/Jeudi 26 août 2004) et au parcours politique qui a été celui de Gbagbo.

Aujourd’hui, nous sommes revenus à la case départ. Mais avec moins de cartes en main. Et un réel contentieux franco-ivoirien. Tenter de relancer le dialogue avec Gbagbo ne servira à rien. C’est ce que la communauté internationale et la communauté africaine s’efforcent de faire depuis plusieurs années. En vain. Il est donc urgent que Paris, New York et très bientôt Ouagadougou (où va se tenir le sommet de la Francophonie dans quelques jours) ainsi que les autres capitales africaines (à commencer par Addis Abeba où se trouve le siège de l’Union africaine) se penchent sur la question et proposent des solutions qu’aucun des acteurs (ou supposés tels) de la crise ivoirienne ne semble être capable, actuellement, de formuler.

La diplomatie française a été mise KO au cours du week-end. La meilleure preuve en est que c’est, essentiellement, la ministre de la Défense qui s’est exprimée. La balle est dans le camp des Nations unies et de l’Union africaine. A l’une et à l’autre de formuler une proposition qui garantisse le présent de la Côte d’Ivoire et, plus encore, son avenir. Des formules juridiques existent. Elles ont été appliquées en ex-Yougoslavie. Si la Côte d’Ivoire n’est pas capable de trouver en son sein une solution, c’est à la communauté internationale de la lui imposer. Si elle ne le fait pas, c’est l’Histoire qui dictera sa loi. Après tout, pourquoi l’Afrique ferait-elle l’économie des crises sociales, des guerres civiles, des révolutions et des conflits sous-régionaux et continentaux qui ont marqué l’Histoire de l’Europe et du reste du monde ? Mais pour cela, elle n’a pas besoin de la France !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique (8/11/04)

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Vos commentaires

  • Le 13 novembre 2004 à 22:50, par Jean-jacques sPrunelle En réponse à : > Gbagbo met KO la diplomatie française en Afrique noire francophone

    "Après tout, pourquoi l’Afrique ferait-elle l’économie des crises sociales, des guerres civiles, des révolutions et des conflits sous-régionaux et continentaux qui ont marqué l’Histoire de l’Europe et du reste du monde ? Mais pour cela, elle n’a pas besoin de la France !"

    Vous n’etes qu’un individu cynique et sans moralite. Comment pouvez-vous decenmment ecrire des choses comme ca ? Vous serez donc content de voir les Africains se massacrer sous pretexte que l’Afrique ne saurait "faire l’economie de conflits" ? Vous faites sans doute partie de ces miserables mecenaires de la plume pour qui les Africaions ne sont que de la chair a canon, tout juste bons a se faire massacrer. Vous me faites vomir avec votre machiavelisme a la noix.

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