LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Pierre Berger, PDG d’Eiffage, va redéployer son groupe à l’international, principalement en Afrique.

Publié le mardi 11 septembre 2012 à 18h04min

PARTAGER :                          

Une page se tourne. Après bien des péripéties, des atermoiements, une erreur de casting, Jean-François Roverato a passé le témoin à son successeur, Pierre Berger. Roverato, c’est une légende dans le BTP (cf. LDD Eiffage 001/Jeudi 27 novembre 2008).

Ce Dijonais « X-Ponts », fils d’un artisan ébéniste et d’une couturière d’origine italienne, s’était fait remarquer du monde des affaires à la fin des années 1980 quand il avait réussi (avec le concours de Paribas) une opération de RES (rachat par ses salariés) face au géant qu’était alors la Compagnie générale des eaux (CGE), dirigée par un « parrain » du business en France : Guy Dejouany ; ce sera la plus importante de l’histoire du BTP, lui permettant de mettre la main sur l’entreprise Fougerolle où il était entré en 1978 et dont il était PDG en 1987. Roverato imposait alors l’image d’un « empêcheur de tourner en rond » (Le Nouvel Economiste - 31 janvier 1992).

Dans la foulée, il s’introduira dans le capital de la Société auxiliaire d’entreprises (SAE) – entreprise historique dont les origines remontent à 1924 et qui s’est illustrée à l’export en Afrique du Nord et au Proche et Moyen-Orient – et deux ans après, le mardi 28 janvier 1992, réalisera une OPA sur la totalité du capital. La nouvelle entité, SAE-Fougerolle, se retrouvera alors juste derrière le trio de tête des entreprises de construction et de services : Générale des eaux, Lyonnaise-Dumez, Bouygues. « Quelle audace », s’écriera L’Expansion (20 février 1992). « Très joli coup », commentera le groupe Bouygues. Le 30 mars 1993, lors de l’assemblée générale de Fougerolle, le groupe deviendra Eiffage ; ses actionnaires sont alors, essentiellement, la Financière SAE-F pour 56 % (détenue par Paribas pour 49 %, les salariés pour 48 % et Total pour 3 %) et la Compagnie générale des eaux (CGE) pour 34 %, le solde étant dans le public.

Eiffage, c’est Roverato et Millau. Ce coin perdu de l’Aveyron est connu du monde entier (enfin, presque) depuis que le viaduc qui enjambe le Tarn est devenu une attraction touristique (et sportive). Financement sur fonds propres, délais de réalisation intenables…, ils ont été nombreux à annoncer que le viaduc allait faire plonger Eiffage. Le 12 décembre 2004, Jacques Chirac, président de la République, inaugurait l’ouvrage qui est, depuis, devenu un « must » technologique (un viaduc en acier) et architectural (le dessin est signé du Britannique Norman Foster). Et financier aussi ; c’est un producteur de cash : Eiffage a obtenu la concession du trafic pour une durée de soixante-quinze ans ! La légende de Roverato aurait pu s’arrêter-là. Il souhaitera en écrire de nouveaux chapitres. Dont la fin a été incertaine.

La bataille Roverato-Rivero en 2006 perdue par Rivero (Luis del Rivero est le patron du groupe de BTP espagnol Sacyr Vallehermoso ; le colérique ibérique a, depuis, perdu beaucoup de sa superbe suite à l’éclatement de la bulle immobilière) ; l’échec en 2006-2007 de l’opération Benoît Heitz, successeur désigné, couvé, pouponné, choyé, rémunéré (prime nette de départ de 1,7 million d’euros !) mais qui devra jeter l’éponge (ou plus exactement la truelle) après seulement quelques mois à la tête d’Eiffage. En 2010, Roverato remettra le couvert et adoubera un autre dauphin : Pierre Berger. Le 8 décembre 2010, Berger, transfuge du groupe Vinci, sera désigné directeur général délégué à compter du 1er janvier 2011, puis directeur général dès le 1er juillet 2011. Le 29 août 2012, le conseil d’administration a entériné son accession à la présidence du groupe.

Depuis hier, lundi 10 septembre 2012*, Berger est officiellement PDG d’Eiffage, désormais numéro trois de la profession en France derrière Vinci et Bouygues. « X-Ponts », 44 ans, « sportif, exigeant et rigoureux », directeur général de Vinci Construction Grand Projets en 2004 puis président en 2005 (après avoir, au sortir de son stage d’étudiant en Californie, monté son propre bureau d’études – Sigmatec Ingénierie – qu’il revendra à une filiale de Vinci à la fin des années 1990) puis directeur général adjoint de Vinci Construction France chargé des travaux publics en juillet 2007, Berger est un « spécialiste de la construction pure et dure »** avec une bonne connaissance de l’international (notamment au Moyen-Orient) et une réputation de bon financier. Il était, parmi les quatre prétendants au poste audités par un cabinet spécialisé, le seul homme du métier.

D’Eiffage, il a dit que « c’est la haute couture du BTP et [qu’] il faut capitaliser sur cette force avec des chantiers à forte valeur ajoutée » ; il visera aussi les « opérations clés en main et les projets assortis de contrats de performance énergétique » (Les Echos du jeudi 21 avril 2011 – entretien avec Myriam Chauvot). Hier, dans un nouvel entretien avec Chauvot (Les Echos du lundi 10 septembre 2012), il déclarait notamment, et c’est une nouvelle orientation pour Eiffage qui avait renoncé au grand export : « Nous allons aussi entamer, prudemment, un déploiement de notre présence à l’international. Les pays d’Afrique riches en ressources naturelles sont nos cibles prioritaires ainsi, à terme, que l’Afrique du Nord avec des pays comme la Libye, l’Egypte et l’Algérie quand ils seront sécurisés. Nous réalisons aujourd’hui deux milliards d’euros de chiffre d’affaires hors de France [***], essentiellement en Europe. Dans cinq ans, nous pourrions réaliser jusqu’à un milliard d’euros supplémentaires, cette fois au grand export, en Afrique ».

Cette réorientation vers l’export, Berger l’a imprimée depuis son arrivée dans le groupe. Il a ainsi remplacé Jean Guénard, 64 ans, patron d’Eiffage travaux publics, par Jean-Louis Servranckx, 51 ans, ingénieur des mines + MBA Insead, ancien directeur régional Afrique de l’Est de Sogea-Satom, puis directeur du développement international et des projets spéciaux à compter de 1998 avant de rejoindre, en 2005, Vinci Construction Grands Projets en tant que directeur de secteur et directeur opérationnel Bassin méditerranéen, Proche-Orient et hydraulique. Servranckx préside donc Eiffage TP présent à l’export en Allemagne, Espagne et Portugal ainsi qu’au Sénégal avec Eiffage Sénégal dirigée par Gérard Sénac. Selon Servranckx, Eiffage « veut s’implanter sur le pourtour méditerranéen, le golfe de Guinée et l’Afrique de l’Est pour réaliser notamment des routes et des ponts ». Rappelons qu’à l’exception du Sénégal, Fougerolle avait fermé ses activités africaines, « pour des raisons économiques », dans les années 1980-1990, se repliant sur les marchés français et européen (c’est dans ce contexte que Sénac, PDG d’Eiffage Sénégal, avait débarqué à Dakar en 1989 pour, finalement, y rester).

Au Sénégal, Eiffage est le concessionnaire de l’autoroute Dakar-Diamniadio (coût de l’autoroute à péage + concession = 148 milliards de francs CFA). C’est une implantation historique (et sans interruption) : en 1926, Fougerolle y avait assuré l’extension du port de Dakar (môles 5, 6 et 8 soit 6 km de quais au total ; enrochement de 2 millions de tonnes) ; à noter que DP World, l’opérateur du port de Dakar, a confié la réalisation de ses travaux maritimes à Eiffage.

C’est à partir de son implantation dakaroise qu’Eiffage intervient dans la région (Mali, Mauritanie, Guinée…). Ce sont les grands travaux engagés par le président Abdoulaye Wade qui ont permis le maintien de l’activité sénégalaise, le chiffre d’affaires ayant atteint un pic en 2007-2008 (44 milliards de francs CFA contre 14 milliards en 2001) après avoir stagné de 1992 à 2000 pour progresser nettement de 2000 à 2010. Au Sénégal, Eiffage emploie environ 1.000 salariés.

* J-F Roverato a eu, ce jour-là, 68 ans, soit l’âge limite fixé par les statuts (après plusieurs reports) pour diriger le groupe.

** Le groupe Eiffage réalise 27 % de son chiffre d’affaires dans les travaux publics, 24 % dans la construction, 23 % dans l’énergie, 16 % dans les concessions, 6 % dans le métal et 4 % dans l’immobilier.

*** Le chiffre d’affaires global d’Eiffage est de l’ordre de 13 milliards d’euros. Le groupe emploie 72.000 collaborateurs.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)