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La presse et l’argent : Rapport incestueux ou mariage de raison ?

Publié le mardi 9 novembre 2004 à 06h27min

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Un débat sous forme de panel sur le thème combien sensible de « La presse burkinabé et l’argent » s’est tenu le 4 novembre 2004 au Centre culturel français Georges-Méliès entre 20 heures et 23 heures.

A son évocation, le thème de ce débat faisait marrer plus d’un homme de médias. Au sein des rédactions, la question d’argent entraîne des débats si récurrents que les journalistes, qui ont l’imagination fertile, lui ont trouvé une terminologie à l’africaine, le gombo. Cet état de fait explique certainement la forte présence de journalistes dans la salle « Petit Méliès » du centre culturel français, pendant cette soirée du 4 novembre.

Les organisateurs de cette conférence ont mis une touche particulière dans son animation. Des tables formant un V renversé façon première classe pour le panel d’animateurs, des questions manuscrites sur des bouts de papier en lieu et place de questions posées oralement, et enfin deux modérateurs, Daniel Fra de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, et Salif Koala, enseignant en communication.

Les panélistes, quant à eux, avaient pour noms Michel Ouédraogo et Chérif Sy, respectivement directeur de publication de Sidwaya et de Bendré ; Charlemagne Abissi de Savane FM ; Ousséni Ilboudo, rédacteur en chef de l’Observateur paalga ; Rémy Djandjinon, directeur des programmes de Canal 3 ; Ali Kabré de Ouaga FM et Victor Sanou du Conseil supérieur de l’information (CSI).

Le premier intervenant, M. Salif Koala, a passé en revue la situation de la presse au Burkina, s’inspirant d’un document intitulé « Médias et communications sociales », du professeur Serge Théophile Balima et de Marie-Soleil Frère.

Une situation qui n’est pas des plus roses. Une presse écrite qui travaille d’une façon artisanale et avec du matériel artisanal, des radios dont les systèmes de gestion sont informels et improvisés et une télévision nationale qui n’arrive pas à assurer et sa production et son statut de service public.

Ce qui lui fera dire que la presse burkinabé vit donc dans des conditions très difficiles. Cela expose naturellement les professionnels à des tentations de toutes sortes, d’où la question de l’autonomie de la presse. Installer et pérenniser un organe de presse exigent donc beaucoup de moyens. Un tour de table permettra de se faire une petite idée.

Un minimum de 20 millions pour ériger une radio, 5 millions pour un journal et des centaines de briques pour une télé, à l’image de Canal 3, dont l’installation a nécessité de la part du groupe Fadoul une mise de base de 350 millions. Les frais de fonctionnement également sont un casse-tête chinois. M. Abissi donnera l’exemple de radio Savane FM, qui a besoin d’au minimum 5 millions par mois pour fonctionner.

De l’origine du « gombo »

Pour exister, les médias ne peuvent donc pas éviter de verser souvent dans le communicationnel, en crachant sur les subventions, et la publicité quand il y en a et les reportages payants appelés dans le jargon du métier, publi-reportages. C’est donc un mal nécessaire, même si pour un peu conjurer le sort, un équilibre doit être trouvé.

D’abord entre espace publicitaire et rédactionnel avec le respect de la fameuse règle des « un tiers - deux tiers » ; ensuite pour ne pas induire le lecteur dans l’erreur, il faut préciser de façon claire et nette qu’il s’agit d’un publi-reportage, ce qui n’est pas toujours le cas. Car ici, ce qui est en cause, c’est moins le fait de prendre de l’argent pour un reportage que de ne pas le spécifier.

Faisant l’historique de la facturation systématique des reportages à laquelle se livrent aujourd’hui les médias, le rédacteur en chef de l’Observateur paalga a rappelé qu’elle a commencé dans les années 80, précisément sous la Révolution, quand pour l’effort de propagande révolutionnaire, les médias d’Etat ont commencé par réclamer une aide en nature sous forme d’essence, de cassettes, de piles, etc. Puis, petit à petit, on en est venu aux espèces sonnantes et trébuchantes pour s’enfoncer, l’âme en paix, dans une espèce de vénalisation.

Ce rapport quasi incestueux entre la presse et l’argent s’est accentué au début des années 90 au point qu’aujourd’hui, on a l’impression que tout peut s’acheter et se vendre dans un journal. Il est vrai que la facturation ne touche pas à des domaines sensibles comme la politique ou le marché des opinions, les médias s’abstenant de facturer les partis politiques, les syndicats, les mouvements des droits de l’homme, etc.

Convention collective, début d’antidote contre la « gomboïte »

Concernant la subvention de l’Etat, une bonne partie des animateurs trouvera qu’en dehors de sa petitesse, l’Etat la donne d’une main pour la retirer de l’autre, du faite de l’existence d’une fiscalité qui tire les organes de presse par le bas. Ces problèmes de trésorerie ont amené le panel à aborder la question portant sur le traitement des journalistes.

On trouvera que la plupart vivotent avec un salaire de misère et dans une insécurité sociale totale. De sorte qu’il faut résoudre une fois pour toutes le problème de la convention collective qui va réglementer les rapports entre employeurs et employés : salaire plancher ou SMIG, plan de carrière, avancement, couverture sociale, etc.

C’est le premier antidote contre la course aux gombos. Quand un patron de presse donne 30.000 FCFA par mois à un journaliste, en ayant même le toupet de lui dire qu’il pourra toujours compléter ses revenus par les extras illégaux, anti- éthiques et anti-déontologiques, peut-on s’étonner que ce pisse-copie devienne un gombiste de classe exceptionnelle ? Certes, ce n’est pas parce les communicateurs auront des salaires décents, voire confortables qu’ils ne prendront plus de gombos, mais on leur ôterait au moins une des raisons qui les pousse à se « gombiser »

Pour conclure, un dernier tour de table permettra aux différents animateurs de donner leurs points de vue sur la crédibilité ou non de la presse burkinabé. La conclusion qui s’est dégagée est qu’elle est assez crédible, malgré son autonomie qui est mise à mal par son indigence financière et les procès en sorcellerie qui lui sont souvent faits.

Toujours est-il que malgré la pertinence du sujet, le journaliste lambda qui s’est déplacé pour cette conférence est resté sur sa faim ce soir-là et en est reparti même un peu dépité.

Les hommes de médias s’attendaient plutôt à un débat ouvert et à bâtons rompus avec les animateurs présents, sur un phénomène que les journalistes vivent quotidiennement. D’abord quelques questions sur une trentaine ont été effleurées.

Lesquelles questions, nous l’avons fait remarquer plus haut, étaient écrites sur des bouts de papier, ce qui empêchait tout débat contradictoire. Ensuite, les questions intéressaient plutôt les directeurs de publication ou les promoteurs de radio-télé, du genre « combien faut-il pour lancer un journal ? » ou « d’où proviennent vos recettes et vos sources de financement ? ».

Si fait qu’un des animateurs, Sy Chérif pour ne pas le nommer, a même qualifié ces colles de « questions policières ». Certains ont pensé à une enquête pour une étude, et d’autres susurraient que le thème aurait dû plutôt être intitulé :« Editeurs de presse- promoteurs de l’audio visuel et l’argent ».

Un joli sujet qui n’a été que débroussaillé en somme. Osons donc espérer que courant 2005, un atelier de deux jours par exemple pourrait être organisé sur le même thème et regroupera les différentes parties concernées (journalistes, patrons de presse, annonceurs, agences de conseil en communication, etc.) autour d’une même table pour dégager des solutions hardies sur les questions abordées l’autre soir au CCF.

Issa K. Barry
L’Observateur

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