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Côte d’Ivoire : Chirac, le nègre de Soro

Publié le mardi 9 novembre 2004 à 07h19min

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Abidjan s’est réveillée lundi matin avec la gueule de bois, complètement groggy.

Pour constater les dégâts d’un week-end de folie marquée par de violentes manifestations des jeunes patriotes et un face-à-face tendu entre les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire, les FANCI, et les éléments du 43e Bataillon d’infanterie de marine (BIMA), stationnés à Port-Bouët, pour le contrôle de l’aéroport.

La nuit de dimanche a certes été relativement calme, mais les Français vivent la peur au ventre, obligés de se cloîtrer dans leurs toilettes ou de se faire interner au 43e BIMA. Maisons pillées, commerces saccagés, sociétés vandalisées, écoles détruites ... voilà le spectacle désolant qu’offre la capitale économique ivoirienne, depuis samedi en proie aux pires mouvements anti-français qu’ait connus le pays depuis le déclenchement de la rébellion le 19 septembre 2002.

Au regard de l’ampleur des dégâts, c’est comme si un cyclone avait soufflé sur la ville, et les émeutes anti-françaises consécutives à la table ronde de Marcoussis et au sommet de Kleber semblent avoir été, en compassion, une petite récréation animée par des enfants de chœur.

A l’origine de cette furie, il y a, on le sait, la neutralisation du potentiel aérien des FANCI après les bombardements samedi du cantonnement de l’opération Licorne à Bouaké, qui ont causé la mort de 9 soldats tricolores et d’un civil américain, et blessé une trentaine d’autres militaires bleu-blanc-rouge.

Bavure militaire ou acte délibéré, le président Jacques Chirac n’a pas en tout cas attendu d’en savoir davantage pour sévir, cela d’autant plus que la veille il avait mis en garde son homologue ivoirien après la reprise des hostilités.

Quinze petites minutes auront suffi au locataire de l’Elysée pour donner l’ordre de clouer au sol les chasseurs Sukhoï et autres MI-24 et 8, soit 60% du potentiel militaire de la Côte d’Ivoire, selon les aveux même d’un officier supérieur du Gbagboland.

Ainsi, il aura fallu la mort de la dizaine de Blancs pour que la force Licorne réagisse, alors que depuis jeudi, les avions de Bouaké passaient par -dessus leurs têtes pour aller pilonner les positions des Forces nouvelles sans que personne daigne réagir devant cette violation flagrante du cessez-le-feu en vigueur depuis le 17 octobre 2002. Simples forces d’observation et non d’interposition, l’ONUCI et Licorne, prétendait-on, n’ont pas de mandat pour intervenir.

Mais les militaires français tués, Chirac a-t-il eu besoin d’un quelconque mandat pour couper les ailes des FANCI ? Le mandat viendra après, si on en a encore besoin. Comme quoi la communauté internationale, autrement dit les puissants de ce monde, sait se faire respecter quand elle le veut.

De ce point de vue, on ne peut qu’être d’accord avec Pascal Affi N’Guessan, le président du FPI, qui déclarait dans une récente interview à Jeune Afrique l’Intelligent, que cette crise lui aura au moins <>.

Car en fait, les mercenaires ukrainiens des Sukhoï n’auraient pas raté leur cible que les FANCI auraient continué à faire pleuvoir le feu sur les rebelles au nez et à la barbe des casques bleus. Tant que ce sont les négrillons qu’on extermine, il n’y a pas de quoi se secouer.

Si fait que pour nombre d’observateurs de la scène politique ivoirienne, c’est bien fait pour la gueule des Français, qui font, pour ainsi dire, le boulot des insurgés Gbagbo cherchait des "assaillants", mais pour son malheur, ce sont des "colons" qu’il est allé débusquer et voici Guillaume Soro se payant sans bourse délier les services d’un nègre de luxe en la personne de Jacques Chirac.

Vu de Bouaké, on peut donc se réjouir de l’heureuse faute des chasseurs de Gbagbo, comme Laurent Bado avait parlé de l’heureuse faute des assassins de Norbert après le drame de Sapouy.

On peut d’ailleurs se demander si ce ne sont pas des considérations sous-régionales qui ont aussi dicté sa décision à Chirac.

Imaginez un peu que de frappe en frappe les bombes de Gbagbo tombent par erreur en territoire burkinabè ou que les rebelles, acculés, replient au Burkina, obligeant les FANCI à les traquer jusque-là.

Blaise Compaoré, qui ne dort pas, c’est sûr, et qui a sans doute déjà renforcé son potentiel militaire à la frontière (comme le ferait n’importe quel chef d’Etat lucide) et qui a réactivé depuis jeudi son cabinet de crise, aurait-il d’autre choix que d’entrer dans la danse au rythme de la canonnière ?

Le Mali a en tout cas d’ores et déjà prévenu qu’il réagirait promptement à toute violation de son espace aérien. En clouant au sol les aéronefs des FANCI, Paris aurait ainsi prévenu du même coup toute extension sous-régionale du conflit. C’est à se demander d’ailleurs si ce n’est pas cette logique du pire (entraîner d’autres personnes dans le bourbier) qui a présidé à la décision de Gbagbo de reprendre les hostilités.

On peut en effet se poser la question de savoir quelle mouche a bien pu le piquer, alors que les musulmans (et donc la majorité du Nord, tenu par les rebelles) entraient dans la dernière ligne droite du jeûne avec comme point d’orgue ce qu’ils appellent en arabe Laylat ul Qadr (1), à sortir ces avions de leur parking alors que, nonobstant les appels pressants de ses partisans à user de tous les moyens, y compris militaires, pour réunifier le territoire, il avait assuré que l’option militaire n’était pas dans ses plans. Ou bien il voulait endormir ses adversaires pour leur porter le coup de Jarnac ou bien cela procède de la technique du boulanger, si chère au maître d’Abidjan.

Voici donc les eaux de la lagune Ebrié plus que jamais troubles, et rarement dirigeant africain aura ainsi réussi l’exploit de faire l’unanimité contre lui. Tant que c’était le statu quo, les avis étaient en effet partagés sur la responsabilité du blocage et l’impossibilité qu’il y avait à respecter l’Accord de Marcoussis et son texte d’application d’Accra III.

Les réformes politiques qui fâchent n’ayant pas été votées à la date-butoir du 30 septembre 2003, les Forces nouvelles avaient naturellement refusé de désarmer à la date convenue du 15 octobre. C’était donc un match nul jusqu’à ce que le fils de Mama ait la mauvaise idée de refaire le coup de feu. Désormais tous les torts sont pour lui.

C’est à se demander d’ailleurs si dans son entourage, certains, en poussant à la roue, ne veulent pas sa perte. Quand on entend en tout cas les éructations d’un Mamadou Koulibaly, on a de la peine à croire qu’il s’agit du président de l’Assemblée nationale et non du général Blé Goudé et de ses sans-culotte.

Plus que jamais donc, le blocage est total et on se demande bien si le Sud-Africain Thabo Mbeki et, peut-être, ses homologues burkinabè et malien, qui devraient être dépêchés incessamment à Yamoussoukro, parviendront à dérouiller et à relancer la machine de Marcousssis et d’Accra III, particulièrement grippée.

Les deux camps sont du reste au moins d’accord sur un point : il faut arrêter de courir de capitale en capitale pour de sempiternelles négociations qui ne débouchent sur rien de concret sur le terrain. Ce serait au moins de l’énergie, de l’argent et du temps de gagner. Et c’est peut-être pourquoi Gbagbo voulait en finir une bonne fois pour toutes, advienne que pourra.

Ousséni Ilboudo
LObservateur

(1) Période au cours de laquelle le Coran aurait été révélé au prophète Mahomet et qui se situe dans les dix derniers jours du Ramadan, marqués de ce fait par une grande piété et d’intenses prières.

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