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L’axe Malabo-Brazzaville s’affirme à nouveau comme un recours face à la mauvaise gestion régionale de l’axe Yaoundé-Libreville.

Publié le mardi 4 septembre 2012 à 22h51min

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Le 29 novembre 2009, Obiang Nguema Mbasogo était réélu à la présidence de la Guinée équatoriale pour un nouveau septennat. Au début de l’année 2010, à l’occasion d’un sommet de la CEMAC, l’organisation régionale dont la présidence allait tomber dans l’escarcelle de Denis Sassou Nguesso, président du Congo, il était mis fin au protocole de Fort-Lamy (1973) qui organisait l’hégémonie des Gabonais et des Camerounais au sein des institutions régionales.

A Bangui, en 2010, ce sera le début de la déroute de l’axe Yaoundé-Libreville et l’affirmation d’un nouveau tandem : Malabo-Brazzaville. Et le triomphe d’Obiang Nguema qui, depuis plusieurs années, ne cessait d’affirmer qu’il convenait de réformer la CEMAC et la BEAC dès lors que « la région a changé [et] doit affronter les questions extrêmement difficiles du développement et de la globalisation économique ». C’est Obiang Nguema qui avait présidé le comité de pilotage des réformes ; et son rapport avait été approuvé lors du sommet de Ndjamena en avril 2007, mais les résistances restaient fortes à son entrée en application. Des puissances régionales anciennes – qui n’ont pas fait grand-chose de leur puissance économique et financière – entendaient sauvegarder des situations privilégiées alors que la mondialisation et la globalisation imposaient une vision plus dynamique des rapports politiques, économique et sociaux dans la région.

En 2010, lors du sommet de la CEMAC à Bangui, le Gabonais Philippe Andzembe, gouverneur de la BEAC, épinglé pour sa mauvaise gestion (19 milliards de francs CFA s’étaient évaporés), était débarqué. Libreville pensait récupérer le job au profit d’Alexandre Barro Chambrier. Mais c’est l’Equato-Guinéen Lucas Abaga Nchama qui sera nommé gouverneur tandis que le Congolais Rigobert Roger Andely obtiendra le poste de vice-gouverneur. Deux ans plus tard, c’est la gestion du Camerounais Antoine Ntsimi, président de la Commission de la CEMAC, qui est stigmatisée. Ntsimi, qui en bon « carambouilleur » camerounais ne voit le mal en rien dès lors qu’il lui profite, souhaitait refaire un tour de manège à la tête de la Commission de la CEMAC (avec, dit-on, un salaire mensuel de 25 millions de francs CFA, ce qui ne lui ôtera pas l’envie de « carambouiller », et 1 milliard de francs CFA d’indemnité de départ). Mauvais calcul (une fois encore). Ntsimi est dégagé en touche et, lors du dernier sommet de la CEMAC, c’est le Congolais Pierre Moussa qui récupère la présidence de la Commission avec pour vice-présidente une jeune Equato-Guinéenne (33 ans) : Madame Rosario Mbasogo Kung Nguidang. Le nouveau tandem, qui prendra officiellement ses fonctions demain, mercredi 5 septembre 2012, exprime mieux que tout la proximité qui existe aujourd’hui entre Malabo et Brazzaville.

Et, surtout, le fait que, régionalement, c’est désormais la Guinée équatoriale qui donne le tempo (et nomme les hommes et… les femmes) après des décennies où elle regardait faire les autres. Georges Dongueli, envoyé spécial de Jeune Afrique au sommet de la CEMAC, le 25 juillet 2012, va même jusqu’à écrire : « Au bout du compte, la Guinée équatoriale se sera taillé la part du lion. Elle récupère le gouvernorat de la BEAC, la vice-présidence de la Commission de la CEMAC, la présidence de la Cosumaf, la direction générale de l’Institut sous-régional multisectoriel de technologie appliquée, de planification et d’évaluation des projets (ISTA) et celle de l’Institut de l’économie et des finances (IEF) ».

Le tandem formé par Pierre Moussa (71 ans) et Rosario Mbasogo Kung Nguidang (33 ans) est des plus inattendus pour diriger la CEMAC lors des cinq prochaines années. On ne sait pas grand-chose de la vice-présidente : elle était, jusqu’alors, directrice général de l’Intégration à Malabo, et a siégé de 2006 à 2010 à la cellule permanente du Programme de réforme institutionnelle de la CEMAC. Autrement dit : elle connaît la « maison ». Quant à Moussa, c’est une tête d’affiche congolaise depuis plus de trente ans : planificateur formé à Brazzaville et à Dakar mais aussi à Clermont-Ferrand et Paris en un temps où les « plans » étaient la voie royale du développement, Moussa va être le ministre du Plan (après avoir été secrétaire général du Plan au temps de Marien Ngouabi) dès l’accession au pouvoir de Denis Sassou Nguesso en 1979. Il va être le père du plan quinquennal 1982-1986, « le premier plan quinquennal de développement économique, social et culturel de la République populaire du Congo ».

L’économie congolaise était alors, pour l’essentiel, y compris dans les secteurs de l’agriculture et du commerce, étatisée ; il s’agissait de construire « une société socialiste » en « rupture avec le système néo-colonial ». Par la suite, à compter de 1987, Moussa ajoutera l’économie et les finances à son portefeuille de ministre du Plan et se verra décerné le titre de ministre d’Etat ; il va accéder en 1989 au bureau politique du PCT afin de démontrer que « l’idéologie n’est désormais plus que la cinquième roue du carrosse » et que l’économique l’emporte sur le politique. Lors des soubresauts politiques de la fin de la décennie 1980, il va assurer l’intérim de la primature pendant quelques semaines (décembre 1990-janvier 1991) à la suite du départ d’Alphone Poaty-Souchalaty. C’est sous son autorité que la loi 027/90 va réinstaurer le multipartisme le 29 décembre 1990. Quand, le 14 janvier 1991, Louis-Sylvain Goma obtiendra le poste de premier ministre, Moussa retournera sans broncher au plan et à l’économie.

Il gardera ce portefeuille quelques mois encore, jusqu’à l’élection, par la Conférence nationale souveraine, d’André Milongo au poste de premier ministre du gouvernement de transition (8 juin 1991). Le 16 août 1992, après bien des atermoiements, Pascal Lissouba va être élu à la présidence de la République. Moussa quitte tout naturellement la scène politique pour s’occuper de son business. « Pour vivre heureux, vivons caché » : Moussa n’est pas homme à rechercher la lumière des projecteurs. Il reviendra sur la scène politique, discrètement malgré son extrême proximité avec Sassou Nguesso, le 2 novembre 1997, dans le premier gouvernement d’union nationale formé après la chute de Lissouba (15 octobre 1997 : quinze ans déjà dans à peine plus d’un mois !) et une guerre civile qui a ravagé le pays. Moussa est ministre de l’Aménagement du territoire et du développement régional au titre du PCT (ex-parti unique) et des FDP (Forces démocratiques et patriotiques, la nouvelle formation politique de Sassou Nguesso). Personnalité incontournable du gouvernement, Moussa va également devenir député d’Owando (où il est né le 24 juillet 1941) à l’issue des législatives de 2002 (il a été réélu en 2007 mais n’a pas été investi pour 2012). Il sera ministre de la Planification, de la Planification urbaine et régionale et de l’Intégration économique, ministre d’Etat au Plan, à la Planification urbaine et régionale, à l’Intégration économique et du NEPAD. A la suite de la présidentielle de 2009 qui a vu la victoire de Sassou Nguesso, Moussa deviendra (15 septembre 2009) un des quatre ministres d’Etat ayant par ailleurs le titre de « coordonateur de pôle », son pôle d’intervention étant bien évidement l’économie avec en charge le plan, l’aménagement du territoire et l’intégration.

Moussa connaît bien la CEMAC. Il n’a cessé, à l’issue des différents sommets, de dénoncer le « manque de communication des animateurs » et le « manque d’infrastructures de base capables de promouvoir un développement accéléré ». Il s’était opposé également aux rentes de situation liées à l’attribution permanente des jobs et avait prôné la « rotation généralisée et automatique du système CEMAC » qui, dira-t-il, « concerne toutes les institutions et tous les organes de la communauté ». C’est lui, désormais, le patron avec l’onction de Sassou Nguesso et d’Obiang Mbasogo, deux chefs d’Etat qui veulent que la CEMAC aille plus vite, plus loin. Il a cinq ans pour montrer ce qu’il est capable de faire ; et que la CEMAC peut bouger, enfin !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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