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Récréâtrales 2012 : Le regretté Pr Jean-Pierre Guingané comme parrain

Publié le jeudi 30 août 2012 à 23h30min

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Récréâtrales 2012 : Le regretté Pr Jean-Pierre Guingané comme parrain

Etienne Minoungou, comédien, dramaturge, metteur en scène, directeur de la Compagnie Falinga n’est plus à présenter dans le monde du théâtre burkinabè. Tant il est aussi le premier responsable des Récréâtrales, Résidences de création, de formation et d’écriture théâtrales panafricaines dont la 7e édition se tiendra du 2 au 8 novembre 2012 à Ouagadougou. A un mois de l’évènement, il évoque dans cette interview qu’il nous a accordée les innovations pour cette édition. Il parle aussi des difficultés qu’il rencontre pour boucler son budget. Pour cette édition, il a décidé de choisir, le Pr Jean-Pierre Guingané, homme de lettres et de théâtre, décédé en 2011 comme parrain des Récréâtrales 2012 qui consacrent aussi les 10 ans de l’évènement.

Lefaso.net : La prochaine édition des Récréâtrales est prévue du 2 au 8 novembre. Quel est aujourd’hui l’état des préparatifs ?

Etienne Minoungou : Nous sommes à l’avant-dernière étape des Récréâtrales qui sont un processus à 4 phases. Les 2 premières phases sont déjà passées. Il y avait la quarantaine qui a consisté à réunir pendant 40 jours à Ouagadougou les auteurs, metteurs en scène et scénographes des principaux projets qui étaient candidats pour les Résidences Récréâtrales. A l’issue de ces 40 jours, nous avons sélectionnés les meilleurs projets professionnels à même de prendre part aux Récréâtrales. En juin dernier, s’est déroulée la seconde étape que nous avons appelée l’Entre-deux. Cette phase est celle des premières répétitions des projets sélectionnés lors de la quarantaine.

L’Entre-deux était aussi un temps de recherche pour les scénographes qui ont pour mission d’aménager le terrain où doit se dérouler le théâtre, c’est-à-dire le quartier Gounghin. Du 1er septembre au 1er novembre, ce sera l’avant-dernière phase consacrée aux résidences de récréation de l’ensemble des projets professionnels. A la fin de cette phase, nous aurons du 2 au 8 novembre la plateforme festival.

Les Récréâtrales souffleront cette année leurs 10 bougies. Quel bilan dressez-vous du chemin parcouru ?

En 10 ans, les Récréâtrales se sont déroulées 7 fois. Une décennie dans la vie d’un évènement culturel en Afrique est déjà beaucoup. En initiant cette manifestation en 2002, je n’avais pas parié sur une dizaine d’années de vie. C’était juste une expérience qu’on menait sans intention de faire une 2e ou une 3e édition. Nous cherchions des solutions à la survie de la création théâtrale en Afrique. Au fur et à mesure que nous avons avancé, nous avons eu la confiance, à la fois des artistes qui avaient reconnu en cet espace comme étant un espace professionnel consacré à leur travail.

Ils l’ont de ce fait investi et lui ont donné toute sa légitimité dans le paysage des évènements culturels sur le continent et notamment dans le paysage des dispositifs consacrés à la création du théâtre. Nous avons aussi eu la confiance des partenaires financiers qui y ont décelé une proposition nouvelle et originale pour résoudre les problèmes liés à la création théâtrale sur le continent. Nous avons noué des partenariats avec d’autres festivals et évènements culturels qui nous font croire que l’avenir du théâtre africain est encore possible. Au regard de tout cela, je peux dire que le bilan du chemin parcouru est satisfaisant. Les Récréâtrales, je le crois, ont participé aux côtés d’autres manifestations culturelles à construire le métier théâtrale, à le consolider et à faire de lui une filière professionnelle.

Je prends par exemple l’émergence de nouveaux auteurs. Les Récréâtrales ont une collection qui édite les œuvres marquantes des différentes éditions. Actuellement, près de 15 titres ont été édités. Nous avons également fait émerger les métiers au tour de la scène. Au lancement des Récréâtrales, on comptait rarement les scénographes, les décorateurs, les costumiers, les techniciens, les créateurs de lumière. Mais aujourd’hui, que ce soit au Bénin, au Mali, en Côte d’Ivoire, au Togo et au Burkina, il y a des regroupements professionnels des métiers autour de la scène grâce au travail de recherche sur la scénographie que nous avons engagé depuis 2006.

Le 3e aspect important est la mise en place cette année de l’Académie régionale de scénographie. Je ne parle pas du nombre d’artistes, auteurs, metteurs en scène qui sont venus aux Récréâtrales en 10 ans. Il y a eu près de 8 artistes qui sont passés à Ouagadougou. Nous avons une quarantaine de créations. Les trois-quarts d’entre elles ont une vie professionnelle dans le circuit de distribution aussi bien en Afrique qu’en Europe. Nous avons aussi contribué à créer près de 400 emplois, même temporaires, pour des comédiens burkinabè et africains.

Pour un festival qui fait son bilant, c’est le lieu d’introspection et de réflexions des acteurs du domaine. Le fait d’avoir implanté les Récréâtrales à Ouagadougou a consacré du même coup la ville comme la capitale du théâtre en Afrique. Après le travail abattu par les regrettés Jean-Pierre Guingané et Amadou Bourou mais aussi par Prosper Kompaoré les Récréâtrales font de Ouagadougou la capitale du théâtre africain.

Vous avez choisi un thème assez évocateur « Insoumissions ». Est-ce pour coller à l’actualité ?

C’est une tradition pour nous de donner toujours un thème à une édition. Il ne s’impose cependant pas aux auteurs comme point d’inspiration pour leurs créations. Le thème est juste comme une boussole pour les réflexions. Il est rare que 300 ou 400 artistes venant d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale ou même d’Europe. A ces occasions, nous parlons de nous, de notre métier mais aussi du monde dans lequel nous vivons. Tout un ensemble d’enjeux du monde interroge les artistes et nourrit leur imaginaire de création. En 2006, nous avions choisi pour thème : « Résistance », en 2008 « transgressions », en 2010 « Indépendantistes » parce que la plupart des pays africains célébraient le cinquantenaire de leur indépendance. Cette année nous avons choisi « Insoumissions ».

Ce thème fait bien sûr référence au Printemps arabe où l’acte d’insoumission par excellence a été posé par Mohamed Bouazizi, en Tunisie. Cet acte individuel, singulier et si fort a fait basculer le monde arabe dans une autre histoire. Le choix du thème veut donc amener les artistes à réfléchir sur la portée vraie de cet acte. Mais au regard de ce qui s’est passé dans le monde arabe, je souhaitais attirer l’attention des artistes sur une autre dimension de l’insoumission. Dans nos villes, il est courant de voir très tôt le matin des femmes souvent même vieilles qui sont allées chercher des fruits, des légumes qu’elles revendent pour gagner leur vie. D’autres vendent des galettes ou autres choses au bord des rues pour gagner leur vie. Ces personnes sont invisibles dans nos sociétés mais Dieu seul sait combien elles sont des grandes figures de l’insoumission parce qu’elles tentent ainsi de se soustraire à la fatalité de leurs conditions. Leurs histoires sont fortes.

Et je voudrais que les artistes puissent en tenir compte dans leurs créations. C’est pareil pour les jeunes qui se mettent au bord avec deux ou trois clés et qui jouent aux mécaniciens pour gagner leur vie. Cela est, en mon sens, aussi de l’insoumission. Il ne s’agit pas seulement d’affronter poitrine débraillée les chars.

Vous avez choisi le regretté Jean-Pierre Guingané comme parrain des Récréâtrales 2012. Pourquoi un tel choix ?

Sa disparition l’année dernière a été un véritable désastre pour moi. Je ne pouvais pas imager que Jean-Pierre parte de façon si brutale. Cela a bouleversé des choses en moi personnellement qui me considère comme un de ses fils spirituels, philosophiques et artistiques. J’ai fait toute ma formation chez lui. Il m’a élevé et m’a appris le théâtre. Il a été le premier à faire confiance au théâtre burkinabè et à lui donner ses lettres de noblesse actuelles. Je cherchais évidemment un jour ou une l’occasion de lui dire merci et lui rendre hommage pour son travail. Mais nous montions les projets ensemble et pour moi ce n’était pas une urgence. Son décès nous a marqués si profondément qu’en montant cette édition, je n’ai pas arrêté de penser à lui. Je veux lui confier cette édition comme un héritage qu’il nous a laissé et lui demander de nous aider à l’assumer. Pour les 10 ans des Récréâtrales, il n’y avait pas meilleur parrain que lui. Voilà un peu le sens de son choix comme parrain.

Du 2 au 8 novembre prochain se déroulera la plateforme festival. Quelles sont les activités inscrites au programme ?

Une dizaine de projets professionnels seront présentés durant le temps du festival. Plusieurs pays seront présents. Nous allons installer les théâtres dans les cours familiales à Gounghin. Nous l’avons du reste déjà fait il y a 2 ans. Il y aura aussi un colloque sur le thème : « Théâtre et démocratie ». Une journée d’hommage à Jean-Pierre Guingané sera organisée et ce sera une sorte d’états généraux sur le théâtre burkinabè. On n’en avait jamais fait de par le passé. Mais après avoir vu des baobabs du théâtre s’écrouler les uns après les autres, je pense qu’il devient nécessaire de nous pencher sur les forces et les faiblesses de notre métier. En parlant de baobabs, je fais allusion à Sotigui Kouyaté, Amadou Bourou, Jean-Pierre Guingané et même des jeunes comme Hubert Kagambèga, Bienvenue Bonkian. Pour cette occasion, nous allons regrouper l’ensemble des acteurs du théâtre pour réfléchir à notre avenir.

Quelles seront les nouveautés à cette édition ?

Nous voulons ailler le plus loin possible dans l’idée que le théâtre est un espace du débat social. Pour cela, nous allons envoyer le théâtre dans les familles. Nous l’avion déjà fait en 2010 mais nous allons l’accentuer cette année. A l’issue des Récréâtrales, la fédération du Cartel va installer une saison théâtrale où les projets présentés seront à l’affiche pendant une certaine période afin de permettre au plus grand public d’en bénéficier. En plus de cela, nous avons un dispositif mobile avec une scène de 400 m2. Cette scène nous permet de créer 7 théâtres différents. Avec toute cette logistique, nous pourrons amener le théâtre à l’intérieur du pays. Les pièces se joueront certes à Ouagadougou mais elles resteront plus longtemps à l’affiche dans les provinces afin de donner au public une habitude du théâtre.

L’argent constitue souvent le problème des initiatives privées au Burkina. Pensez-vous pouvoir boucler votre budget à temps ?

L’édition se déroule dans un contexte assez sévère. Cette sévérité est sans doute la résultante de la crise financière en Europe où se trouvent les principaux partenaires du projet. Dans des crises financières, ce sont les budgets sociaux et culturels qu’on réduit. Et cela se ressent ici en Afrique.

Le 2e contexte est la crise au Mali vers laquelle sont focalisées toutes les attentions. Il est donc évident que les priorités ne sont plus les évènements culturels mais les questions de sécurité et de stabilité. Le 3e aspect est la crise alimentaire qui sévit au Burkina. Ce sont là trois raisons qui font que particulièrement la production des Récréâtrales de cette année peine à boucler son budget. Nous avions réalisé la dernière édition avec 238 millions de francs CFA. Nous avons dû réaménager l’assiette financière cette année et permettre à l’édition de se tenir correctement. Ce n’est pas facile. Je cherche encore 40 millions FCFA et je me bats encore comme un beau diable en tentant d’avoir des rendez-vous avec les autorités burkinabè, des partenaires pour sauver une édition.

Ces difficultés me font prendre conscience que nos évènements culturels ne sont pas viables au-delà de 10 ans si l’Etat n’entre dans son capital pour en garantir sa pérennité. Parce que les partenaires sont dans une logique de 2 ou 3 ans mais pas plus de cinq ans. Ce qui fait qu’au bout de 10 ans, les évènements ne sont plus viables. Ce n’est pas parce que le projet n’est pas fort mais parce qu’il a atteint ses limites selon ses règles de fonctionnement. C’est le cas du FITD, du FITMO et de bien d’autres évènements. La méforme actuelle de ces évènements n’est pas liée à leur qualité mais au dispositif d’appui financier qui les accompagne.

Vous avez eu à appeler les populations burkinabè, au temps de la crise socio-militaire de 2011, à prendre leur responsabilité. Avez-vous l’impression que cet appel vous ferme certaines portes actuellement ?

Je ne crois pas. C’était juste un poème que j’ai publié dans la presse.

Un an après la crise, quel constat faites-vous ?

J’observe qu’il y a eu des dialogues qui ont permis aux gens de dire ce qu’ils avaient sur le cœur. L’apaisement a eu lieu. Les discussions sont entamées. Elles ne sont pas encore finies. Des mesures ont été prises. J’observe aussi que tous les acteurs sont animés d’une bonne foi. Mais le contexte régional n’est pas de nature à dissiper les craintes sur l’avenir. Les gens sont dans l’attente de quelque chose qui les rassure. Je pense que nos dirigeants doivent travailler afin d’atteindre cette finalité afin que nos enfants ne vivent pas ce que les autres pays ont vécu.

Comme tout Burkinabè, je m’attends à vivre dans un pays où le respect de la vie humaine, la dignité, le courage, la solidarité et la fraternité sont les gages de l’avenir de nos enfants.

Vous êtes un acteur engagé sur les questions politiques. Un mot sur la crise au Mali…

Je ne pense pas qu’un acteur est engagé. Un auteur congolais avait dit que : « C’est l’art lui-même qui est engageant ». Juste pour dire que vous choisissez des métiers qui vous engagent. Le poète, ce que je prétends défendre, est celui là qui se pose des questions sur sa société. Il convoque par son travail d’artiste la discussion sociale.
Sur la crise malienne, j’ai un point de vue d’un citoyen qui se sent appartenir à plusieurs espaces. Nous travaillons au Mali. J’observe tout simplement que nos amis maliens qui sont des créateurs ne sont plus en mesure de créer parce que leur pays est en crise. J’espère seulement qu’on n’y fasse pas la guerre. Parce que je préfère qu’on accorde tout le temps nécessaire aux négociations, peu importe le nombre d’années que cela prendra, que d’en découdre par les armes. Car rien de bon ne peut sortir d’un coup de feu.

Jacques Théodore Balima

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