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… et à Nairobi, la France se trouvera fort dépourvue quand, dans la Corne de l’Afrique, la crise sera venue ! (3/3)

Publié le mercredi 29 août 2012 à 17h19min

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En novembre 2010, Paris nomme comme ambassadeur de France à Nairobi (avec la responsabilité d’avoir un œil sur la Somalie voisine) Etienne Montaigne de Poncins. Il est jeune (46 ans) et c’est un parfait spécialiste des questions… européennes. A Paris, il a beaucoup fréquenté les cabinets ministériels et les coins les plus exotiques où il ait été en poste sont Bruxelles, Varsovie et Sofia.

Dans la capitale kenyane, il remplaçait Elisabeth Barbier, aujourd’hui directrice Afrique et océan Indien au Quai d’Orsay (cf. LDD Kenya 004/Lundi 27 août 2012). Notre ambassade à Nairobi a la main sur la relation avec la Somalie. Et Poncins s’est rendu à Mogadiscio le 7 mai 2012 : première visite bilatérale d’un ambassadeur de France dans la capitale somalienne depuis… 2008. La France n’a pourtant pas été absente de ce pays. Le Dr. Daniel Bourzat, zootechnicien spécialiste des petits ruminants, détaché au Kenya par le Centre international de recherche agronomique pour le développement (CIRAD), s’est retrouvé subitement promu conseiller spécial du Premier ministre du TFG, le gouvernement fédéral de transition somalien, Ali Mohamed Gedi, et de l’ambassadeur de Somalie à Paris, Saïd Farah*.

Avec son éternel nœud papillon et ses costumes clairs, on aurait pu prendre Bourzat pour un Tartarin de Tarascon égaré du côté de l’Equateur. Ou un affabulateur. Mais Gedi, vétérinaire, et Bourzat se connaissent depuis 2000 : ils ont travaillé ensemble sur un projet international d’éradication de la mouche tsé-tsé. Quand Gedi apprend, le 3 novembre 2004, qu’il est nommé premier ministre du TFG (début d’une transition qui devait s’achever le 20 août 2012), il s’est rappelé que Bourzat était, lui aussi, à Nairobi (Gedi ne fera son premier séjour à Mogadiscio que le 29 avril 2005). C’est Hubert Fournier qui est alors ambassadeur à Nairobi depuis tout juste quelques mois. Il a 55 ans ; énarque qui a fait toute sa carrière dans la préfectorale, il a été directeur de la sécurité au ministère de l’Intérieur, préfet de Haute-Saône, de La Réunion, du Var, de Basse-Normandie, du Calvados, du Midi-Pyrénées, de la Haute-Garonne avant d’être détaché dans le corps des ministres plénipotentiaires hors classe et de se retrouver ambassadeur à Nairobi. Fournier donne son feu vert à « l’opération nœud pap » et Bourzat va être détaché du CIRAD au Quai d’Orsay.

On croise Bourzat partout où se trouve Gedi. Y compris les « petits déjeuners » organisés à Paris par un organisme aussi officiel qu’Ubi-France. Bourzat fait partie de la « délégation somalienne ». Le Figaro Magazine lui consacrera un reportage (« Chercheur de paix en Somalie ») publié dans le numéro du samedi 12 août 2006. Au lendemain de l’attaque contre l’Amérique, le 11 septembre 2001, la Somalie et l’Afghanistan étaient dans le collimateur de Washington et le groupe de presse de droite cherchait le « bon contact » du côté de Mogadiscio ; il pensera l’avoir trouvé, dans un confortable hôtel d’Addis-Abeba, en la personne de Hussein Mohammed Farah Aïdid, ancien caporal de l’US Army, fils du général Aïdid, un des plus puissants seigneurs de la guerre en Somalie au début de la décennie 1990 (Aïdid est décédé en 1996). Farah Aïdid voulait être « président ou au minimum premier ministre » avait-il déclaré à Patrick Saint-Paul (Le Figaro du 20 février 2002). Il sera vice-premier ministre et ministre des Affaires intérieures quand Bourzat « conseillait » Gedi.

Conscient que sa mission était impossible, Gedi va démissionner de son poste de premier ministre le 29 octobre 2007. Et on n’entendra plus parler de Bourzat. Entre temps, à Nairobi, Elisabeth Barbier a remplacé Hubert Fournier. Quant à Gedi, il serait candidat à la présidentielle 2012 en Somalie et toujours installé dans la capitale kenyane où il aurait le soutien actif de l’ancien président Arap Moï (en poste de 1978 à 2002).

C’est dire que la France a, dans cette région, une situation particulièrement complexe à gérer, bien éloignée de la rigueur constitutionnelle qui régit l’Union européenne dont notre ambassadeur est un spécialiste avéré. Et ce n’est du côté d’Addis-Abeba que Poncins va pouvoir trouver un diplomate français plus apte à démêler l’écheveau particulièrement embrouillé des affaires de la Corne de l’Afrique. Dans la capitale éthiopienne a été nommée, le 27 juin 2012, comme ambassadeur auprès de la République fédérale démocratique d’Ethiopie et représentante permanente auprès de l’Union africaine, une diplomate de carrière : Brigitte Collet. Dont l’expérience africaine est ténue.

Née le 11 octobre 1957, juriste, enseignante (1977-1986) avant de rejoindre l’ENA (promotion « Michel de Montaigne »), nommée et titularisée secrétaire des Affaires étrangères le 1er juin 1998, elle a été en poste à Rabat (1988-1991), Washington (1994-1997), Vienne (1997-2000), New York (2004-2007) avant d’être nommée directrice du cabinet de Rama Yade, secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme (2007-2008). Un poste qui va la propulser ambassadeur en Norvège (2008-2012) puis, depuis quelques mois, en Ethiopie. Où elle prend la suite de personnalités mieux armées. Dont Jean-Christophe Belliard, son prédécesseur, qui avait été en poste au Soudan, en Tanzanie, en Afrique du Sud, sous-directeur d’Afrique centrale et orientale au Quai d’Orsay ; en 2005, il avait été envoyé en Afrique par Javier Solana, secrétaire général du Conseil de l’Union européenne, comme haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune avant de se voir confier, en 2007, une mission d’émissaire européen pour le Zimbabwe.

Que penser également de notre représentation à Asmara, capitale de l’Erythrée ? Dans ce « pays » (un bagne dont s’échappent, quand ils le peuvent, les Erythréens : plus de 20 % de la population s’est « tirée » depuis 2004) où règne depuis 1993, Issayas Afeworki, « un gangster contrôlant un système mafieux » (Léonard Vincent – Les Erythréens – éditions Rivage, Paris, 2012), Nicolas Sarkozy y avait nommé comme ambassadeur, fin 2009, Roger Auque, journaliste free lance qui se veut, avant tout, un « baroudeur », et s’est trouvé sous les feux de l’actualité quand il a été détenu par le Hezbollah au Liban (janvier-novembre 1987). Il a surfé, depuis, sur cette notoriété avant d’être élu en 2008 au conseil municipal du 9ème arrondissement de Paris, sous l’étiquette UMP. Contesté tout autant par ses confrères journalistes que par le Quai d’Orsay (même si personne n’ambitionne d’aller s’enterrer à Asmara), Auque a quitté la capitale érythréenne au cours de l’été 2012 tandis que Paris affirme officiellement avoir « toujours prôné une mise en œuvre progressive des sanctions afin de ne pas radicaliser le régime érythréen [peut-il l’être plus qu’il ne l’est aujourd’hui ?] et d’essayer de le faire sortir de son isolement en l’incitant à réaliser des gestes d’ouverture envers la communauté internationale ».

Alors que la Corne de l’Afrique est plus que jamais en ébullition, que la mort de Meles Zenawi en Ethiopie et la présidentielle de mars 2013 au Kenya sont porteuses d’incertitudes, la France paraît bien démunie dans la région pour avoir une quelconque influence sur une zone (Erythrée + Ethiopie + Kenya + Somalie + Djibouti) qui pèse quand même pas loin de 150 millions d’habitants (bien plus que l’UEMOA) et qui contrôle le Sud de la mer Rouge, le Golfe d’Aden et les rives africaines de l’océan Indien.

* Saïd Farah avait été nommé ambassadeur en France en 1988 par Siad Barré. Diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, Farah va exercer un temps dans le secteur de la presse avant de rejoindre le ministère somalien des Affaires étrangères. Il sera en poste à Paris et à Dakar, en charge de diverses missions en Europe et en Turquie, avant d’être nommé ambassadeur à Dakar puis à Bruxelles et, enfin, à Paris. Alors que le chaos le plus total règne à Mogadiscio, Farah s’accrochera de longues années à son ambassade pour le plus grand bonheur des journalistes français qui consacreront des papiers au « seul ambassadeur au monde d’un Etat… qui n’existe plus ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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