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Aurélien Yirzigh Somé : « Un transitaire n’est pas forcément millionnaire »

Publié le mercredi 15 août 2012 à 23h46min

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Aurélien Yirzigh Somé n’est plus à présenter dans le milieu du transit au Burkina. Vice-président de l’Association professionnelle des transitaires et commissaires en douane agréés, il est aujourd’hui le gérant de la Société de Transit Services (STS) qu’il a montée par lui-même. Avec ses 17 ans passés dans le métier et son poste, Aurélien Y Somé est rompu aux problèmes que rencontrent les acteurs de ce milieu. Dans cette interview, qu’il nous a accordée le vendredi 10 aout dernier, il parle, en fin connaisseur, du métier du transitaire, des difficultés que ces professionnels de la transaction internationale vivent au quotidien. Dans cet entretien, il nous amène à la découverte d’une profession à la fois connue et méconnue de beaucoup.

Connue parce que tout le monde parle de transitaire mais méconnue parce que peu de personnes peuvent définir correctement le rôle que joue le transitaire dans la chaine d’acheminement des marchandises. Découverte.

Lefaso.net : Qu’est-ce qu’un transitaire ?

Aurélien Yirzigh Somé : Un transitaire est quelqu’un qui intervient dans une chaine d’acheminement de transaction commerciale. Le mot transitaire a beaucoup de contours. Vous avez les transitaires transporteurs, les transitaires commissionnaires agréés en douane. Nous sommes des commissionnaires agréés en douanes et sommes chargés des formalités de douanes parce que mandatés par un agrément de l’Etat qui nous permet d’accomplir ces formalités pour les importateurs et les exportateurs. Le transitaire est donc compétent aussi bien dans les transports routier, aérien que maritime. Pour devenir transitaire, il faut respecter la règlementation qui régit la profession.

La loi stipule que nul ne peut faire office de formalités de douane, pour une valeur de marchandise supérieure à 50 mille francs, pour un opérateur importateur ou exportateur sans avoir été agréé. Dans la réglementation harmonisée de l’Uemoa, il y a aussi un certain nombre de contraintes à remplir avant d’obtenir l’agrément. Par exemple pour l’agrément de transit, nous devons déposer un dossier à la Législation douanière qui regroupe le ministère du Commerce, celui des Finances et l’administration douanière. Cette instance statue sur les dossiers et vous attribue un numéro avec lequel vous intervenez officiellement en tant que transitaire auprès des importateurs et exportateurs. C’est dire donc que tout le monde ne peut pas exercer ce métier. Mais vous entendrez que des gens, que nous appelons ambulants, font du transit. Mais ce n’est pas autorisé.

Pour avoir l’agrément, il faut être une personne morale et déposer 50 millions comme garantie de profession. Si une société veut exercer dans le domaine du transit, elle doit avoir un compte d’exploitation prévisionnelle qui donne accès à un crédit d’enlèvement. Ce crédit octroyé par une banque ou le trésor public permet à la société d’enlever la marchandise et de venir légaliser le paiement. En plus de cela, il est imposé à un commissionnaire en douanes d’avoir un crédit d’au moins 25 millions de francs CFA. Il nous est aussi fait obligation de connecter nos bureaux au serveur de la douane. Seulement une trentaine de sociétés burkinabè obéissent à ce règlement sur les 180 qui exercent au Burkina Faso.

Dans l’accomplissement de sa tâche, le transitaire est appelé à travailler avec les ports. Comment se passe la collaboration avec les ports autonomes ?

Bien. Mais nous avons à plusieurs reprises, et nous profitons de l’occasion, posé le problème. Selon la législation, nous, qui avons des agréments de l’Uemoa, devons exercer directement dans les pays voisins qui ont des corridors. Mais dans la réalité, nous sommes obligés de travailler avec les sociétés qui sont agréées et installées dans ces pays portuaires. Ce qui fait que nous n’avons pas accès aux ports. C’est une difficulté pour nous. Et je crois que si l’intégration était réelle, nous devions avoir la possibilité de le faire. Fort heureusement que le Conseil burkinabè des chargeurs (CBC) défend nos prestations au niveau des ports.

En plus de cela, la distance qui nous sépare des ports est aussi une grosse difficulté. Parce que nous sommes obligés d’échanger avec nos partenaires installés dans les ports par téléphone, internet ou fax. Mais par moment ça ne se passe pas bien. Nous avons eu à échanger avec les responsables des différents ports. Mais l’accessibilité aux ports reste toujours un problème pour nous. Pour cela, nous faisons nos choix en fonction des avantages qu’offre le port.

Quel port vous offre actuellement le plus de facilités ?

La situation est pareille dans tous les ports. Mais nous négocions actuellement la réduction des délais de séjour des marchandises dans ces ports. Parce qu’au-delà des 20 jours, il y a des pénalités qui courent sur les marchandises. Le port autonome d’Abidjan le fait pour un certain de nombre de clients. De manière générale, nous choisissons les ports en fonction des traitements qui nous sont réservés. Vous avez, par exemple des délais courts au port autonome d’Abidjan, mais un trafic plus fluide à partir de Téma au Ghana. Lorsque la route est longue les faux frais dépassent souvent les frais normaux que vous mettez les transactions. Pour donc éviter ces faux frais, certains utilisent, pour le port d’Abidjan, le chemin de fer mais qui se trouve être incapable de transporter une grande quantité de conteneurs.

Alors que la fréquence du train n’est pas aussi régulière.
Avec la crise ivoirienne, nous nous sommes réorientés vers le Ghana. Et je peux dire que nous n’avons pas eu beaucoup de difficultés. La Chambre de commerce du Burkina est même implantée au port autonome du Ghana. Ce port, faut-il le dire, offre beaucoup de possibilités aux clients. Cela le met à la 2e place des corridors les plus fréquentés après Lomé.

A quoi faites-vous allusion lorsque vous parlez de faux frais ?

Je parle des rackets. Ce sont des dépenses supplémentaires qu’on ne peut pas justifier parce que ceux qui le font ne vous donnent des documents. Ces faux frais dépassent même souvent les frais normaux que vous dépensez. A tous les postes de police ou de gendarmerie auxquels tu arrives, tu es obligé de donner de l’argent pour que les marchandises passent.
Parlant du port d’Abidjan, peut-on dire aujourd’hui que la situation s’est normalisée ?
La situation s’est normalisée mais la route coûte chère. 1232km, c’est le trajet le plus long. Il y a aussi des risques de braquage sur la voie. Le chemin de fer n’est pas assez développé. Tout cela pose de véritables problèmes. J’ai des clients dont des conteneurs ont mis 3 semaines pour arriver en Afrique mais ont fait plus de 2 mois en Côte d’Ivoire parce que la remontée des marchandises au Burkina est très difficile. On ne peut pas avancer la crise pour dire que la situation au port ne s’est pas normalisée. L’administration fait son travail mais on a des problèmes pour acheminer les marchandises jusqu’ici.
Malgré toutes ces difficultés, vous continuez à travailler avec les ports.

Quels avantages y gagnez-vous ?

Nous n’avons pas autre choix que de travailler avec les ports. Le transport aérien coûte très cher. Avec une tonne de marchandises par la voie aérienne, je crois que vous travaillerez à perte. Raison pour laquelle les importateurs préfèrent les ports.
Quelques soient les difficultés que nous rencontrons avec les ports, nous poursuivons nos efforts dans l’espoir que les choses vont changer. Nous négocions et plaidons pour des conditions souples. L’association travaille à avoir des correspondances dans les différents ports afin de faire bien le travail.

Certaines personnes sont persuadées que le corps de transitaire est corrompu comme bon nombre de professions au Burkina Faso. Que leur répondez-vous ?

La corruption est dans un système. Elle n’est pas affectée uniquement au transit ou à la douane. Mais nous sommes sensibles à toutes les méthodes qu’on déploie pour lutter contre la corruption. Notre association œuvre aussi à cela et encourage ses membres à connecter leurs structures au serveur de la douane. Parce que si ma société est actuellement connectée au réseau de la douane tout comme beaucoup d’autres sociétés, il y aura moins de contact physique entre les transitaires et les douaniers. La corruption pourrait cesser en ce moment.

Mais il faut qu’on fasse la nuance parce qu’il y a des moments où des gens donnent de l’argent au douanier pour le motiver à travailler ou le récompenser parce qu’il a accepté de travailler au-delà des heures normales de service pour traiter des dossiers ou qu’il a eu à quitter le poste de la douane pour des courses dans le cadre des dossiers. Vous pouvez payer, en ce moment, par la quittance ou lui donner l’argent. Ça ne s’appelle pas de la corruption. Les textes même autorisent ces pratiques. Tout compte fait, on ne peut pas nier que la corruption existe dans notre métier. Elle est là et nous déplorons ce phénomène parce que si le climat est sain, chacun gagne sainement et les choses sont plus faciles. Tout le monde sera tranquille.

Vous est-il déjà arrivé de donner de l’argent à un douanier pour laisser passer vos marchandises ?

Non. Pas pour laisser des marchandises parce que là c’est comme si je ne faisais pas les formalités douanières. Je ne le fais pas parce que les sociétés avec lesquelles je travaille ne sont pas prêtes à se compromettre dans des opérations de nature frauduleuse. Tout dépend de la nature du client. En plus de cela, en rentrant dans ces opérations d’irrégularités, il n’est pas évident que votre client gagne. Une structure qui tient une comptabilité fiable, qui engage de faux frais, s’engouffre dans la perte. Parce que si on la prend, elle paie des amendes et les taxes liées à la valeur réelle de la marchandise.
Je ne l’ai pas fait et je ne conseille pas à nos collaborateurs de le faire.

Devient-on millionnaire en étant transitaire ?

Ce n’est pas évident. En consultant le compte d’un transitaire, vous pouvez y trouver des millions mais ce n’est pas sûr que cette somme lui appartienne. Nous avons un rôle très capital dans la collecte des recettes douanières au Burkina Faso. Puisque nous proposons les déclarations à l’appréciation de l’administration des Douanes au Burkina. Nous avons donc un rôle dans le remplissage des assiettes douanières. Et si on demande à un transitaire de garantir son métier à hauteur de 50 millions de francs Cfa, il y va de soi qu’il palpe des millions. Mails il n’est pas donné à n’importe quelle structure de mobiliser ce montant. En exigeant ce montant, c’est peut-être une manière de nous pousser à nous unir davantage pour être beaucoup plus fort. Mais dire que le transitaire est forcément millionnaire, ce n’est pas très évident. Tout dépendra du volume de travail que tu auras à faire.

Comment est rémunéré un transit ?

C’est là toute la difficulté pour nous qui sommes organisés. J’ai une structure organisée et je pilote une association qui compte en son sein des sociétés de transit organisées. Nous avons un siège et payons les impôts. Mais vous avez au côté des structures organisées, des transitaires ambulants qui exercent. Ils ont souvent de gros marchés mais ne paient pas d’impôts.
Pour la rémunération, nous sommes obligés de tenir compte de certaines charges pour facturer le client. Cela nous met en situation de concurrence déloyale avec ceux qui ne travaillent pas pour des structures. Parce qu’ils n’ont aucune charge, ils peuvent facturer à n’importe quel prix le client.

Sinon la législation burkinabè fixe les honoraires en fonction du palier de la valeur des marchandises que nous déclarons. Ce texte existe. Il est vieux et nous souhaitons qu’il soit revu. Parce qu’il est anormal de mettre le transitaire burkinabè sur le même pied que son homologue ivoirien ou sénégalais qui gagne vachement plus que lui. Cela fait que certains de nos clients estiment que nous sommes chers et s’en voir ailleurs. Ça fait que nous appliquons souvent des tarifs forfaitaires qui se font selon la tête du client ou le contexte dans lequel l’opération s’est menée. Selon le mécanisme, il y a la possibilité de préfinancer toute l’opération et mettre ensuite ces dépenses sur la facture finale du client.

Au regard de ces difficultés que vous rencontrez dans le métier, peut-on dire que c’est la profession de transitaire nourrit son homme au Burkina Faso ?

Le métier nourrit bien son homme. Le métier de transitaire est noble. Peut-être qu’il y a eu des dérives et l’image de la profession a été un peu ternie. Pour moi, selon le volume de travail que tu abats, tout métier nourrit son homme. Si tu exerces un métier qui ne te nourrit pas, il vaut mieux le quitter. Moi je ne me plains parce que je gagne en fonction de ce que je fais comme travail dans le respect de la loi. Je négocie des marchés, j’émets des factures et en fonction du volume et de la qualité du travail que je fais, on me règle mes factures. Cela me permet de m’occuper de ma famille et de faire autre chose.

Vous venez d’égrener un ensemble de problèmes. Que préconisez-vous pour y faire face ?

Le métier est règlementé. Et si la règlementation est appliquée, ceux qui sont autorisés à exercer le métier tireront leur épingle du jeu. La sous-traitance est faite avec des commissaires en douane agréés. Mais ces sociétés finiront par être en situation irrégulière. Soit les opérations sont menées et les factures ne sont pas déposées ou elles sont déposées au nom d’un autre entête que la société qui a fait la déclaration. Tout cela se passe. Mais si la règlementation était appliquée tout serait clair et personne n’aurait un problème. On allait avoir suffisamment de marchés et il ne serait pas exclu que nous soyons des millionnaires en ce moment.

Pour faciliter la libre circulation des personnes et des biens, l’Uemoa a construit des postes de contrôle juxtaposé au niveau des frontières. Pourraient-ils contribuer à solutionner vos problèmes ?

Ces postes contribueront à rendre plus fluides les transports des marchandises. Cela nous facilitera la tâche parce que nous souhaitons que les clients reçoivent rapidement leurs marchandises. Au lieu de remplir des procédures au Togo et au Burkina, il sera très facile pour nous de le faire à un même poste. Cela réduira le délai de traversée des conteneurs.

Cependant des problèmes risquent de voir le jour quand le poste juxtaposé de Cinkansé sera fonctionnel. Les sociétés dont les représentations sont installées à Bitou, seront obligées de fermer leurs portes. Ce sera donc des pertes d’emplois.
En plus de cela, il faudra aussi nous faciliter l’accessibilité des pays portuaires afin que nous puissions avoir la part du marché burkinabè sinon ce sera les sociétés de ces pays qui vont traiter nos dossiers sur place là bas. Et là le transit national ne va plus exister au Burkina. Puisque selon le nouveau système, vous pouvez faire les papiers d’une marchandise depuis Lomé jusqu’à la destination à Ouagadougou avec juste des visas de passage. Cette situation entrainera des pertes d’emplois.

La 3ème édition du Symposium International sur le Transport et la logistique en Afrique (Translog Africa) se tiendra en fin septembre 2012. Que représente une telle rencontre pour vous ?

Nous sommes partants pour toutes les tribunes d’échange. Pour l’intérêt de la profession, il est important, à un moment donné, que tous les acteurs de la transaction commerciale, puissent échanger sur les facilités qu’ils pourraient avoir dans l’exercice du métier. Le monde est un village planétaire. Pour cela, nous nous sentirons bien d’échanger sur l’amélioration du transit avec les transporteurs, les structures portuaires, les douaniers et autres acteurs qui interviennent dans le domaine de la transaction internationale. Un prestataire dans le transit recherche la rapidité dans les opérations d’acheminement. Cela implique du coup les ports, la logistique, le transport. Le symposium peut offrir l’occasion d’échange, de coordination et de partenariat afin que les choses puissent s’améliorer. Le Burkina Faso est essentiellement un pays d’importation. Pour cela, nous voulons professionnaliser le métier, cela va passer par un assainissement du milieu, et pouvoir discuter avec des partenaires au plan international.

L’édition 2012 de Translog Africa se tiendra cette année sous le thème : « Transport en Afrique : comment promouvoir la chaîne logistique dans le contexte économique, financier et technologique actuel ? » qu’attendez-vous spécifiquement de ces assises ?

Tel que le thème est libellé, nous nous sentons d’abord impliqués parce que nous sommes les intermédiaires à toutes les étapes. Pour une marchandise qui est dans la chaîne normale d’acheminement, il est obligatoire qu’un transitaire intervienne. Et nous souhaitons ardemment que la chaîne s’améliore, qu’elle s’assainisse.
Au Burkina, on a l’habitude de ne pas mettre en application les conclusions des rencontres. Nous souhaitons donc que les autorités prennent en compte dans leur politique les conclusions des travaux de Translog Africa 2012 afin qu’elles aient un impact sur la chaîne d’acheminement. Si les choses s’améliorent, l’économie nationale trouvera aussi son compte. Pour la mise en application des recommandations, nous souhaitons que notre association soit prise en compte. Parce que nous intervenons aussi bien en douane qu’en conseil. Et je crois que notre rôle est capital.

Jacques Théodore BALIMA

Lefaso.net

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