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Viabilité des chaînes de télévision privées dans le contexte économique burkinabè

Publié le samedi 18 août 2012 à 10h53min

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Viabilité des chaînes de télévision privées dans le contexte économique burkinabè

Avec une trentaine de télés aujourd’hui fonctionnelles (toutes catégories confondues), le paysage audiovisuel burkinabè s’est enrichi à un point où l’époque où l’unique télévision nationale s’imposait à tous est un lointain souvenir. Un lointain souvenir aussi, le temps où obtenir une fréquence TV relevait presque d’une mission impossible comme on l’a vécu avec le projet TVZ au milieu des années 1990 .
Si l’offre télévisuelle s’est considérablement enrichie, on ne peut pas en dire autant des opérateurs télévisuels eux-mêmes qui peinent véritablement à trouver la formule pour équilibrer leurs comptes.
Après avoir dressé l’état des lieux du paysage télévisuel du Burkina, nous analyserons la question cruciale de la viabilité à travers les modèles économiques qui sont en tâtonnements ici et là.

I. Etat des lieux du paysage télévisuel

Selon les statistiques officielles fournies par le CSC et des enquêtes personnelles, le paysage audiovisuel burkinabè est aujourd’hui riche de 27 télévisions.
Il se décompose ainsi qu’il suit :
-  6 télévisons confessionnelles dont 4 sont fonctionnelles : CVK, Impact TV, TV Maria, TV Al Houda
-  Une télévision associative, fonctionnelle : Sanmatenga Télévision (STV/Kaya)
-  15 télévisons commerciales dont 9 fonctionnelles : Canal 3, BF1, TVZ Africa Ouagadougou, SMTV et ses stations autonomes de Bobo, Dori, Koudougou, Ouahigouya, Banfora.
-  Une télévision internationale : Africable relais
-  2 opérateurs MMDS (qui vendent les bouquets satellitaires) : Nerwaya Multivision (Ouaga et Bobo), DSK Distribution (Ouaga et Bobo).
Il faut souligner que le rapport 2011 du CSC relève que 6 fréquences ont été retirées : TVO+ (qui devait émettre à Ouaga), OSTV+ (à Gaoua), TVS+ (à Bobo-Dioulasso), Savane TV (à Ziniaré), Canal3 (à Boromo, Houndé, Houndé, Koudougou et Banfora) .
Et afin de mieux appréhender le climat concurrentiel et partant, les implications économiques, il est important de noter qu’à côté des télés privées, se déploient deux télés publiques : la TNB Ouagadougou et la TNB Bobo Dioulasso, avec 9 antennes relais à travers le territoire national.

Une telle offre plurielle, même si elle n’est pas toujours pluraliste (car les programmes ne sont pas aussi diversifiés), fait néanmoins le bonheur des téléspectateurs qui, depuis quelques années, ont découvert les joies du zapping et aussi ses malheurs car détenir la télécommande revêt parfois un enjeu socio-politique dans le foyer !
Mais y a-t-il véritablement un marché viable pour toutes ces entreprises ?
Si les télévisions confessionnelles et associatives ont d’autres sources de financement reconnues comme les contributions des fidèles, des partenaires et autres acteurs naturels, les télévisions commerciales affrontent une équation jusqu’ici quasi insoluble pour la plupart : trouver un modèle économique viable .

II. La question du modèle économique

La question de la viabilité renvoie à une autre question essentielle, celle du marché de la publicité et autres sources de financement. Quel est aujourd’hui l’état du marché de la publicité au Burkina ? Il y a malheureusement peu de données précises sur ce sujet. Certains professionnels du secteur de la publicité l’évaluent à environ 15 milliards de francs CFA ; ce qui n’est pas négligeable, si bien sûr on réussit à tirer les marrons du feu. Pour le moment, bien peu y arrivent ; même si un constat rapide pourrait faire croire le contraire : car avec ces sept chaînes diffusant en clair à Ouagadougou, on a autant de télévisions que la France il y a à moins de dix ans, avant l’arrivée de la télévision numérique terrestre ! Et on pourrait aussi ajouter, avec certains observateurs que si malgré tout, ces télévisions survivent, ce qu’elles trouvent de quoi vivre.

Mais de quoi vivent-elles précisément ? Mystère et boule de gomme, pourrait-on dire pour beaucoup. Y a-t-il des financements occultes comme le susurrent certains ? Difficile de répondre ici, personne n’en voulant en parler ouvertement.

En effet, les rapports d’activités soumis au CSC font ressortir, pour la plupart, des comptes déficitaires ; il faut même souligner que toutes les télés n’arrivent même pas à respecter cette obligation prescrite par les textes de déposer chaque année un rapport d’activités ; ce qui est aussi un trait des difficultés de fonctionnement.
Dans un tel climat de débrouillardise, de bricolage financier, quelles solutions de financement, quel modèle économique ?

Quel modèle économique ?

Les modèles de financement des télévisions privées restent étriquées. On peut citer la pub traditionnelle avec les spots, les reportages facturés, les ventes d’espaces pour des émissions spécifiques (surtout confessionnelles dans le cas de Canal 3 par exemple), les messages promotionnels pour certains produits, les bandeaux de textes défilants, etc. En bien sûr, la subvention de l’Etat.

Chaque opérateur, avec plus ou moins de réussite, expérimente certains de ces modèles. Quelques exemples sont illustratifs.
Canal 3 semble aujourd’hui la télé qui réussit le mieux à tirer son épingle du jeu avec un chiffre d’affaires d’environ un quart de milliard. En misant sur la télévision de proximité, une certaine liberté et en allant vers des acteurs non institutionnels, la chaîne s’est plutôt solidement installée dans le paysage médiatique des deux principales villes que sont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Certaines enquêtes même disent que l’audience du JT de Canal3 concurrence sérieusement celle du JT de la nationale dans les villes où les deux sont reçues, même si son chiffre d’affaires reste encore très éloigné des quelque 4 milliards de budget de la RTB.
Selon ses responsables de Canal 3, la chaîne couvre l’essentiel de ses frais depuis 2009 grâces ses propres recettes .

A côté de Canal 3, BF1, autre exemple illustratif, avec un chiffre d’affaires d’environ 150 millions de F CFA, peine à trouver ses marques et reste encore solidement attaché à la mamelle de ses principaux actionnaires. C’est vrai que si la première a très bientôt 10 ans et peut, fait non négligeable, profiter d’une certaine prime à l’ancienneté dans le paysage télévisuel privé, la seconde boucle ses deux ans en ce mois d’août 2012.

Dans le domaine des télés confessionnelles, on a aussi le bon et le moins bon. Si Impact TV qui vient de monter sur le satellite au bout d’à peine 2 ans de fonctionnement, brulant la politesse à certaines de ses grandes sœurs, jouit d’une bonne santé apparente, on pourrait oser une image en disant que TV Maria et quelques autres chaînes confessionnelles, tirent le diable par la queue.

La seule chaîne associative, Sanmatenga Télévision (STV/Kaya) s’en sort plutôt bien aussi grâce à de multiples partenariats et des productions qui lui permettent d’afficher un bilan positif avec une trentaine de millions de FCFA de recettes .

Une conclusion possible avec ces quelques exemples, c’est que tout espoir n’est pas perdu. Il est possible de faire vivre des projets de télévision privée au Burkina. Sans doute à coup de beaucoup d’innovations, d’adaptation au marché local, aux réalités locales avec des produits et des programmes bâties sur la proximité. Et aussi avec un nombre d’acteurs plus réduit.
Mais dans les conditions actuelles, quelles peuvent être les perspectives ?

III. Perspectives

Nous l’avons relevé précédemment, il y a certainement trop d’acteurs sur le marché de la télévision privée. Les cinq télévisions commerciales que l’on enregistre dans la capitale par exemple (Canal 3, TVZ, BF1, SMTV, Africable) peuvent difficilement cohabiter indéfiniment. Une mutualisation des moyens (notamment les équipements ou les budgets de production), un regroupement sous une forme ou une autre, sont-ils envisageables ? La question reste posée aux acteurs, même si on peut en douter fortement car l’esprit de concurrence et les agendas cachés sont parfois plus forts que le réalisme économique ; parce qu’une télé reste aussi et avant tout un média, c’est-à-dire un instrument d’influence qui peut servir des causes autres que la seule rentabilité économique.

Autre piste de solution, il faut peut-être revoir les conditions de délivrance des fréquences dans le sens d’un durcissement pour une sélection plus rigoureuse. En effet, comme le fait remarquer avec justesse un observateur avisé, la multiplication des chaînes, signe de liberté de presse et d’opinion, est sans doute bonne pour la santé démocratique, mais l’est moins pour les enjeux économiques.

Si au début du processus de démocratisation, qui entraînera la libéralisation des ondes, il était difficile d’obtenir une fréquence TV, aujourd’hui, on assiste plutôt à une situation inverse. Le jeu de l’appel à candidature est ouvert à presque tout le monde.

Cet appel à candidature annonce ainsi que « La participation à la concurrence est ouverte aux personnes morales de droit burkinabè régulièrement installées au Burkina Faso, en règle vis à vis de l’administration ». Il est demandé en plus un cautionnement provisoire de soumission d’un montant variant d’un million à 10 millions, selon que c’est une radio associative établie en province ou une télévision commerciale à Ouagadougou .

Ainsi, si l’association des bouchers de Saaba (village à la périphérie de Ouagadougou), appuyée par un consultant d’occasion, peut se faire attribuer une fréquence de télévision, il n’est pas sûr qu’elle ait les compétences, les moyens pour gérer à long terme une telle entreprise. C’est sans doute cela qui explique que certains projets peinent à voir le jour ou que certaines fréquences finissent par être retirées sans avoir jamais pu émettre un seul jour.

L’indice IREX 2010 sur la viabilité des médias burkinabè relève certes la fragilité de l’environnement économique mais aussi un manque de professionnalisme dans le management. Combien d’entreprises média ont des business plan, un service de recherche-développement ?

Par ailleurs, l’environnement institutionnel est aussi à revoir, notamment par la mise en place d’un statut de l’entreprise de presse avec la prise de mesures fiscales adaptées. Mais les promoteurs d’entreprise média, de façon générale, doivent, à leur propre niveau, redoubler de créativité, d’innovation, d’adaptation à leur contexte socio-économique.

Dr Cyriaque PARE
Attaché de recherche (INSS/CRNST)

BIBILOGRAPHIE

1.En 1995, le projet de télévision portée par Moustapha Thiombiano, par ailleurs promoteur de la radio Horizon FM, a été suspendu, la télé interrompue car elle émettait en VHF alors que le gouvernement ne voulait lui accorder qu’une fréquence UHF. C’est en mai 2009 qu’elle a repris ses émissions.
2.Conseil Supérieur de la Communication, Rapport public 2011,p. 24.
3.Sur la problématique du financement des médias au Burkina en général, voir Serge Théophile Balima et Marie-Soleil Frère, Médias et communications sociales au Burkina Faso. Approche socio-économique de la circulation de l’information. L’Harmattan, 2003, 341 pages.
4.Entretien de l’auteur avec Désiré Comboïgo, responsable d’une agence de communication basée à Ouagadougou en août 2012
5.Entretien de l’auteur avec Remis Dandjinou, Directeur général adjoint de Canal3 le 7 août 2012
6. Les chiffres sur les bilans des télévisions sont issus des rapports que nous avons pu consulter auprès du Conseil supérieur de la communication
8. Cf. Avis d’appel à candidature publié le 3 septembre 2009 par le Conseil Supérieur de la Communication
9.Voir http://www.irex.org, consulté le 12 août 2012

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