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PAUL MARIE COMPAORÉ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SONABHY : « La Sonabel et l’Etat, doivent beaucoup d’argent à la Sonabhy »

Publié le mercredi 8 août 2012 à 08h41min

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Créée en 1988 pour assurer l’approvisionnement du Burkina en produits pétroliers, la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY) assure bon an mal an, ses missions au rythme des jojos de la conjoncture. Aujourd’hui, la société tente de se remettre de deux ans de pertes consécutives estimées à 42 milliards de F CFA dues à une politique de blocage des prix à la pompe, alors que sur le marché mondial, le cours du baril continuait de flamber. Avec le soutien de l’Etat, une partie a été prise en charge. Il reste cependant à compenser un gap de 23 milliards de F CFA. Nommé à la tête de cette institution stratégique en 2011, le directeur général de la Sonabhy, Paul Marie Compaoré passe en revue la situation de la société dont il a la charge.

Sidwaya (S.) : Un an après votre prise de fonction, comment se porte l’institution Sonabhy ?

Paul Marie Compaoré (P.M.C.) : J’ai pris mes fonctions dans un contexte sociopolitique difficile. Je suis arrivé à un moment où les cours du baril étaient en hausse continue. La situation nationale d’alors faisait qu’il était inopportun d’envisager une quelconque hausse des prix. J’ai trouvé une société aussi à l’intérieur de laquelle le climat de travail était délétère. Il a fallu dans l’immédiat mobiliser les agents car les défis sont immenses. Les travailleurs ont compris ce message et ont suivi. Il y avait des problèmes financiers, de rentabilité de l’entreprise. Je ne suis pas arrivé sous de meilleurs auspices (rires).

S. : Vous avez tout de même réussi à redresser un tant soit peu, la situation ?

P.M.C. : Arriver à un moment de crise a plutôt été un atout pour moi. En tous les cas, la Sonabhy est toujours débout. Nous avons pu résister à toutes ces difficultés auxquelles la Sonabhy devait faire face. Il faut maintenant travailler à consolider les acquis. Nous avons bénéficié d’un soutien énorme de l’Etat. Nous devons mobiliser nos énergies pour maintenir la société à flot, parce que les hydrocarbures sont stratégiques pour notre pays.

S : Quel est le grand défi de la Sonabhy, à l’heure actuelle ?

P.M.C. : La Sonabhy n’est pas encore sortie de la zone de turbulence. Même si nous avons pu résister jusque-là, il est temps d’en finir avec le cycle des tensions de trésorerie. Le blocage des prix a sérieusement dégradé les finances de la société. C’est pourquoi, nous devons travailler à retrouver une certaine rentabilité. Il est vrai que l’Etat a volé à notre secours en prenant en charge les moins-values de 2011 qui s’élèvent à 42 milliards de F CFA. Mais le combat n’est pas encore gagné, dans la mesure où les prix continuent d’augmenter. Nous avons un total de 23 milliards de F CFA de pertes qui ne sont pas toujours pris en charge.

S. : Comment comptez-vous résorber cette situation ? En quoi cela porte-t-il un coup à l’approvisionnement, notamment aux stocks ?

P.M.C.? : C’est difficile de résoudre un problème de cette ampleur. La Sonabhy met tout en œuvre pour limiter ses frais de fonctionnement. Nous allons différer certains investissements à cause de ces difficultés sus-citées. Nous sommes obligés de limiter nos stocks. Si nous ne retrouvons pas une rentabilité, l’Etat va devoir encore mettre la main à la poche.

Il faut dire que le cycle infernal des tensions de trésorerie fait que nous avons des tensions de stock. La marge de sécurité imposée par l’Etat est en principe de 4 mois, soit 120 jours de stock. Actuellement, notre trésorerie ne nous permet pas d’avoir un stock couvrant ce délai. Nous vivons de découverts que nous remboursons très chèrement auprès des banques. Le niveau actuel des découverts fait que nos frais financiers seront multipliés par quatre. Déjà au premier trimestre de cette année, nous avons atteint les dotations en ce qui concerne les frais financiers. Cela voudrait dire que nous sommes à près de 60 milliards de découverts. Malgré toutes ces difficultés, nous consentons des efforts pour disposer d’au moins un mois de stock de sécurité. Pour certains produits, nos stocks comme le fuel qui sert à la Sonabel, dépassent largement le mois calendaire. Nous sommes obligés d’avoir des stocks suffisants pour permettre à la Sonabel de fonctionner.

S. : Les rapports de la Sonabhy avec la Sonabel semblent difficiles. Pouvez-vous en parler davantage ? Qu’est-ce qui complique ces rapports ?

P.M.C. : Je ne peux pas dire que nos relations sont difficiles. Nous sommes deux sociétés-sœurs qui œuvrent dans le domaine énergétique. Dépendant toutes de l’Etat, elles ne peuvent être concurrentes, bien au contraire, nous devons travailler ensemble parce que nos objectifs sont similaires. Il est vrai que la Sonabel, comme l’Etat, doit beaucoup d’argent à la Sonabhy. Depuis mon arrivée, j’ai toujours privilégié le dialogue avec mon collègue de la Sonabel. Nous sommes en contact permanent pour échanger nos idées, nos points de vue, afin de trouver des solutions. Cela nous a permis de mieux comprendre leurs difficultés. Nous sommes deux entreprises liées et l’Etat nous a chargé d’approvisionner la Sonabel. Nous devons assurer notre mission. C’est difficile pour nous, mais nous évoluons ensemble.

S. : A combien estimez-vous les arriérés de la Sonabel ?

P.M.C. : Je dirai qu’ils sont de l’ordre de 30 milliards de F CFA. La Sonabel essaie de les éponger progressivement.

S. : Sur la structure actuelle des prix, y a-t-il un point sur lequel on pourrait jouer pour rendre les prix à la pompe supportables pour les consommateurs, sans nuire à la solidité financière de la Sonabhy ?

P.M.C. : Sur les différents postes de la structure des prix pour ce qui concerne la Sonabhy, c’est la marge d’importateur, soit 27 francs par litre. D’aucuns pensent que l’on pourrait jouer sur cette marge en ramenant le montant perçu à 13 francs. Pour nous, il faudra étudier la question. L’essentiel est que la Sonabhy puisse assurer ses dépenses incompressibles, notamment les salaires. Si on dit de ne plus investir, il faudra qu’un autre organisme réalise les dépôts pour nous. La structure actuelle des prix a été rendue publique, j’étais particulièrement heureux car les gens pensaient qu’elle était tabou, que nous cachions des choses.

La Sonabhy a été créée pour mobiliser des ressources pour l’Etat. En 2011, la fiscalité pétrolière a rapporté à l’Etat plus de 100 milliards. Demander à l’Etat d’abandonner autant de ressources n’est certainement pas la meilleure option. En effet, elles lui permettent dans l’exécution budgétaire, de réaliser des routes, des dispensaires, etc. indispensables au développement socio-économique.

S. : Faites-vous allusion à une possible augmentation du prix à la pompe ?

P.M.C.? : De deux choses, l’une : soit on relève les prix à la pompe, soit l’Etat supporte ces moins-values. L’idéal comme en ce moment, le prix du baril baisse, est que nous retrouvions un point d’équilibre, que nous ne perdions plus de l’argent. Dans ce cas de figure, nous pourrons envisager la façon de résorber la question des pertes. Si l’Etat n’intervient pas et que le baril repart à la hausse, nos pertes se creuseront et la situation finira par être intenable. La Sonabhy ne perçoit que 27 F CFA par litre, ce montant supporte les charges de fonctionnement et d’investissement. Dans le budget 2012, le montant perçu sur le litre représente environ 11 milliards dont 3 correspondent aux frais du personnel.

Cela signifie que sur un litre acheté, c’est seulement 3 F CFA qui vont à la prise en charge du personnel. Or, lorsque les gens parlent de la marge de l’importateur, ils pensent que nos perceptions sont élevées. Eh bien, c’est loin d’être le cas. Le restant, soit 24 F, sont reversés à l’Etat au titre des bénéfices sous forme d’impôts sur les dividendes alors que nous devons réaliser des marges pour financer nos investissements. Nous devons aussi garantir les stocks de sécurité.

S. : Il n’empêche qu’une certaine opinion pense qu’il faudrait instaurer une TPP (Taxe sur les produits pétroliers) flottante. Partagez-vous un tel argument ?

P.M.C. : C’est sans doute une manière de résoudre le problème. Mais vous savez que la TPP résulte d’une loi. C’est donc au niveau de l’Assemblée nationale qu’il faudrait trancher la question.

S. : Malgré ces difficultés financières, la Sonabhy a un plan d’investissement de plusieurs milliards. Comment comptez-vous mobiliser des ressources pour réaliser ces chantiers ?

P.M.C. : Ce sont des projets très importants qu’il faut réaliser à tout prix. La consommation du pays ne fait que croître, nos capacités de stockage, conçues il y a un certain temps pour assurer les stocks de sécurité de 90 à 100 jours, sont vite dépassées. Cela est un handicap qui ne permet pas d’assurer les 120 jours de stock, d’autant que nous n’avons pas de bacs suffisants pour le stockage des produits. Alors que c’est stratégique, des pays comme les USA, la France parlent aujourd’hui de stocks stratégiques. Nous devons poursuivre nos investissements. Pour atteindre cet objectif, nous avons besoin d’être rentable. Pour réaliser le dépôt de Péni (NDLR : situé à 30km de Bobo), nous allons recourir aux banques. Nous sommes en pourparlers avec certains institutions financières (BIDC, BAD) qui s’intéressent au projet.

S. : Lors de la dernière Assemblée générale des sociétés d’Etat, la question de la privatisation de la Sonabhy a été encore réaffirmée par le Premier ministre qui a invité à la poursuite des réflexions pour trouver une formule appropriée. Quel commentaire cela vous suggère -t-il ?

P.M.C. : Depuis longtemps, la Sonabhy est inscrite sur la liste des sociétés à privatiser. Pour nous, il s’agit plutôt d’une ouverture du capital à des partenaires privés. Cela signifie que l’Etat reste l’actionnaire majoritaire. Jusque-là, ce dossier n’a pas beaucoup avancé. Demander à la Sonabhy de réfléchir sur son propre sort, c’est un peu mal aisé. Quand j’en parle aux travailleurs, ils s’opposent à une quelconque privatisation, arguant que leur outil de travail est bon. Je pense qu’il faudrait un regard extérieur sur le fonctionnement de la Sonabhy, pour attester de sa viabilité ou non. Cela permettrait de mesurer l’apport d’une possible privatisation. La solution est que le carburant soit payé au prix juste à la pompe. Dans ce cas de figure, les prix seront ajustés en fonction de la conjoncture internationale et donc, du prix d’achat sur les marchés mondiaux. Au Sénégal, c’est ce principe qui est appliqué. En Europe, dès que le cours du baril monte, cela est répercuté de facto à la pompe et inversement. Au Burkina, nous avons bloqué les prix pendant près de deux ans, alors que la flambée des prix se poursuivait. C’est ce qui justifie les pertes enregistrées par la Sonabhy. Il faut qu’on en arrive à la vérité des prix.

S. : D’après vous, quel avantage y -a-t-il à maintenir une Sonabhy, société d’Etat ?

P.M.C. : Il faut voir le système dans les pays environnants. A part le Mali cité en exemple par une certaine opinion où ce sont des opérateurs privés qui sont chargés de l’approvisionnement du pays en hydrocarbures ; a Bénin, en Côte d’Ivoire ou encore au Sénégal, ce sont des structures comme la nôtre qui gèrent les hydrocarbures. L’avantage d’une libéralisation totale est que les acteurs privés cumulent les marges de l’importateur, du distributeur et du gérant de station.

On sait tous que ce qui se passe au niveau des droits de douane permet à ces opérateurs d’être un peu moins chers. Quand il y a une différence de 10 F CFA entre le Mali et le Burkina Faso, les citoyens se plaignent. Si la Sonabhy pouvait faire ce que font les privés, nous aurons été moins cher de 25 F CFA. Nous avons des structures que les privés n’ont pas. A Bingo, nous avons un laboratoire qui contrôle la qualité des produits. Des représentations diplomatiques comme l’ambassade des Etats-Unis, nous envoient des échantillons pour analyse. Ceux qui prennent leur carburant dans les stations-services ont très rarement des problèmes. En termes de stockage des produits, les privés n’ont pas nos infrastructures de stockage.

S. : Quel regard portez-vous sur le secteur de la distribution du carburant ?

P.M.C.? : La distribution est dominée par trois gros opérateurs (Total, Shell et Petrofa) qui détiennent plus de 60% du marché. Le reste est émietté entre une trentaine de petits opérateurs qui souvent n’ont même pas 1% de notre chiffre d’affaires. Quand vous voulez ouvrir une station, il y a des conditions fixées par le ministère du commerce et celui de l’énergie. Tout distributeur doit satisfaire à ces obligations. Ce sont ces opérateurs qui sont servis par la Sonabhy.

S. : Et pour ceux qui ne sont pas aux normes... ?

P.M.C. : La vérification de la norme n’est pas du ressort de la Sonabhy. Cette prérogative est dévolue aux services de la métrologie logés au sein de la direction générale des affaires économiques. A notre niveau, quand un camion non conforme aux normes arrive à Bingo, il n’est pas autorisé à être servi. Dès lors qu’un camion chargé quitte le dépôt de Bingo, il n’est plus sous la responsabilité de la Sonabhy.

S. : Le secteur de la distribution du gaz rencontre également de nombreuses difficultés. Comment appréhendez-vous cela ?

P.M.C. : Nous sommes là pour résoudre ces difficultés. Il faut les surmonter, c’est cela le challenge. Nous allons poursuivre dans le sens d’assurer l’approvisionnement du pays à moindre coût. Parmi nos missions, il y a la promotion des énergies renouvelables.

S. : Est-ce que justement la Sonabhy va investir dans le biogaz ?

P.M.C. : Pour investir dans les secteurs du biogaz, les énergies solaires qui sont des énergies de l’avenir, il faudrait que la Sonabhy dégage des marges pour soutenir la recherche.

Interview réalisée par Saturnin N. COULIBALY

Sidwaya

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