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Abdoulaye Bathily, le « contestataire », est nommé ministre d’Etat à la présidence du Sénégal (1/2)

Publié le mardi 7 août 2012 à 14h17min

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Macky Sall fait le plein (l’opposition dira le trop-plein) des têtes d’affiche politiques sénégalaises. Abdoul Mbaye, le fils de Kéba Mbaye est premier ministre. Amath Dansokho a repris du service auprès du chef de l’Etat. Moustapha Niasse vient de conquérir la présidence de l’Assemblée nationale. Et voilà qu’Abdoulaye Bathily est nommé (décret du 1er août 2012) ministre d’Etat auprès du président de la République.

En faisant le plein des « historiques », Sall s’efforce d’élargir sa palette politique. Le « libéral », ex-premier d’Abdoulaye Wade, récupère ainsi tous ceux qui, au sein de la coalition BBY, ont voulu la défaite de celui dont ils avaient voulu la victoire en 2000 ! Tous sauf les leaders du PS. Qui (pour l’instant ?) pourraient bien penser être « les dindons de la farce » au même titre que ces ex-PDS qui, à l’instar de Sall, ont servi le « Vieux » (Wade, par ailleurs, n’avait pas manqué de gratifier, alors, ces « services »).

On pensait Bathily destiné à la présidence d’un très quelconque Sénat. Ou d’un tout aussi quelconque Conseil économique et social (CES). Il obtient, finalement, un bureau au Palais de la présidence avec une plaque en cuivre sur la porte : Monsieur le ministre d’Etat. Drôle d’endroit pour un « contestataire ». Renvoyé en 1966 de l’Ecole militaire préparatoire (devenu Prytanée militaire Charles Ntchoréré) de Saint-Louis, où il était entré en 1959 et alors qu’il est en classe de première, à la suite du déclenchement d’une grève de contestation contre les conditions de vie des élèves, il sera un des leaders des « événements de mai 1968* » à l’université de Dakar, ce qui lui permettra, par la suite, de conquérir la direction de l’Union démocratique des étudiants sénégalais. Toute cette agitation, qui « foutra la trouille » au pouvoir, lui vaudra d’être enrôlé dans l’armée (mars 1971-septembre 1972). Léopold Sédar Senghor dira un jour : « A ce moment-là, la tendance était à l’indulgence. Mais on m’avait dit : ce n’est qu’un répit. Alors je me suis préparé et, cette fois-ci, pour parler comme mon ami Pompidou, j’ai voulu montrer la détermination du gouvernement ».

Mais revenons au début de l’affaire. Nous sommes en 1947, dans l’extrême Est du Sénégal, sur les rives du fleuve Sénégal, du côté de Mouderi et de Manael, dans le département de Bakel. C’est à Tuabou qu’y est né, cette année-là, Bathily. Un village Soninké** dont l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo nous dit qu’ils « doivent être considérés comme les vrais fondateurs de l’empire du Ghana ». Tuabou est considéré comme la « capitale » du royaume de Galam. En 1975, Bathily consacrera sa thèse à ce royaume. Il la soutiendra à l’université de Birmingham, en Angleterre, cité industrielle fondée sur la sidérurgie et la métallurgie, ce qui lui vaudra le surnom de capitale du « Black Country ». « Imperialism and colonial expansion in Senegal in the nineteenth century, with particular reference to the economic, social and political developments of the Kingdom of Gajaaga (Galam) ». Le titre de sa thèse est explicite.

Ajoutons que Gajaaga (Galam) – ou Gadiaga – signifierait : « pays de la guerre ». Voilà qui ne pouvait que convenir à Bathily. Après son exclusion du Prytanée militaire, Bathily obtiendra un job de technicien de laboratoire à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN). Et il décrochera son bachot, en candidat libre, en 1967. Il a vingt ans et s’engage dans des études d’histoire à l’université de Dakar. C’est alors qu’il est rattrapé par les « événements de mai 1968 ».

On connaît la suite. Le militantisme dans les rangs du Parti africain de l’indépendance (PAI) – groupuscule marxiste-léniniste alors clandestin – avant de conquérir la direction de l’Union des étudiants, l’exclusion de l’université, l’enrôlement dans l’armée pour dix-huit mois, Birmingham enfin qui lui octroie une bourse et où il obtient un Ph. D. En 1975, quand il revient au Sénégal, la conjoncture politique a évolué. Wade a obtenu de Léopold Sédar Senghor l’autorisation de créer un parti : le PDS (31 juillet 1974). Puis le chef de l’Etat, qui a entrepris de « diviser pour régner », va instaurer le « tripartisme » qui, aux côtés de l’UPS (devenu le PS en 1976 à la suite de son admission à l’Internationale socialiste) et du PDS, va légaliser le PAI-Rénovation de Majhmout Diop qui résulte d’une scission au sein du PAI. Les cadres du PAI se sont égayés un peu partout.

C’est ainsi que sera créée la Ligue démocratique/Mouvement pour le Parti du travail (LD/MPT) – organisation clandestine – qui explosera à son tour, le 29 mars 1979. Entre temps, Mamadou Dia avait, le 4 novembre 1978, lancé un « rassemblement national démocratique et populaire » contre le pouvoir « senghorien » et « ses maîtres impérialistes ». Ce sera la Coordination de l’opposition sénégalaise unifiée (COSU) à laquelle va adhérer une partie de la LD/MPT conduite par Babacar Sané*** et Bathily. Mais la COSU se heurtera aux ambitions personnelles des leaders politiques de l’opposition, chacun d’eux pensant être le mieux placé pour succéder à Senghor. Tandis que Senghor verrouillera sa succession en démissionnant d’une présidence de la République qui tombera dans l’escarcelle du premier ministre : Abdou Diouf. Le 31 mai 1981, le tripartisme ayant cédé la place au multipartisme intégral, la LD/MPT sera légalisée. Son mot d’ordre deviendra « jallarbi » ; ce n’est pas le changement (« sopi ») que prônait le PDS mais, purement et simplement, le « renversement ».

En 1984, Bathily va prendre la suite de Sané (cf. note ci-dessous) au poste de secrétaire général de la LD/MPT. L’opposition sénégalaise est toujours à la recherche de son unité. Une « Alliance démocratique » va permettre de regrouper le PDS, la LD/MPT, And-Jeff, l’Organisation socialiste des travailleurs et l’Union pour la démocratie populaire. Un melting-pot qui tente de mobiliser autour d’un mot d’ordre commun des idéologies antagonistes (y compris au sein de l’extrême-gauche : on trouvait là des « trotskystes », des « staliniens », des « maoïstes »…). C’est Bathily qui est chargé de diriger la structure commune qui, le 22 août 1985, organisera à Dakar une marche contre l’apartheid en Afrique du Sud (difficile de trouver programme plus minimal… !). Manifestation interdite et donc réprimée. Wade, le leader du PDS, et Bathily, parmi d’autres, sont arrêtés et détenus pendant une semaine. L’Alliance démocratique est aussitôt interdite par le ministre de l’Intérieur, ce qui montre les limites de la démocratie sénégalaise dans ces années-là. L’opposition va donc s’efforcer de se mobiliser sur ce thème et tendra à « déradicaliser » son comportement.

C’est Bathily qui, en 1986, présentera le Rapport de politique générale du Comité central au IIème congrès ordinaire, intitulé : « Pour la construction d’une alternative démocratique et nationale à la crise du néocolonialisme et au redéploiement de l’impérialisme, les propositions du Plan Jallarbi et les tâches d’avant-garde de la LD/MPT ». La terminologie est encore celle des années 1960-1970, empruntée à la littérature marxiste-léniniste, mais le parti, d’ores et déjà, a abandonné son ancrage d’extrême-gauche. Une adaptation aux réalités du temps que LD/MPT qualifiera « d’ajustement idéologique ». Ce ne sera qu’une étape.

* Abdoulaye Bathily a consacré aux « événements de mai 1968 » un ouvrage publié par les éditions Chaka (Paris, 1992) : « Mai 1968 à Dakar : ou la révolte universitaire et la démocratie ».

** Dans le cadre du Centre de linguistique appliquée, Abdoulaye Bathily a publié, dans la collection « Les langues nationales au Sénégal », un Lexique soninke (sarakole)-français, rédigé en collaboration avec Claude Meillassoux, personnalité majeure de l’anthropologie au sein de laquelle il s’est efforcé de réintroduire le marxisme. Directeur de recherches au CNRS, Meillassoux est mort le 2 janvier 2005.

*** Bacacar, dit Mbaye, Sané, était un instituteur qui s’est illustré dans l’action syndicale et a connu, pour cela, à de multiples reprises, la prison. Militant du PAI jusqu’en 1974, il a participé à la fondation de la LD/MPT dont il sera le premier secrétaire jusqu’en 1984 ; il avait alors 44 ans. Il est le mort le 1er juillet 1997 à Dakar.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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