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Bonne gouvernance politique et économique + pétrole de l’offshore profond à Jubilee. Le Ghana est-il redevenu la « Côte de l’or »… noir ? (3/4)

Publié le samedi 4 août 2012 à 09h13min

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« Le succès du pétrole ghanéen ne sera pas mesuré par la quantité de barils produits mais par la réduction de la pauvreté grâce aux revenus du pétrole ». Les récentes paroles (10 juillet 2012) de Franklin Ashiadey, coordonnateur national pour le Ghana de l’Extractive Industries Transparency Initiative (Gheiti), commentant les 903 millions de dollars générés par la production de 5,9 millions de barils de pétrole brut (cf. LDD 008/Lundi 30 juillet 2012), sonnent comme une évidence. Mais chacun sait que le pétrole, « l’or des fous » (comme le qualifie Daniel Yergin, l’historien du… pétrole), trop souvent, rend plus riche les riches et plus frustrés encore les pauvres.

Au début de l’année 2012, le Ghana a atteint le point de conformité de l’Initiative sur la transparence des industries extractives (ITIE), à l’instar du Liberia, du Niger et du Nigeria (sur la trentaine d’adhérents à l’ITIE – EITI en anglais – 11 seulement ont atteint ce point de conformité). Mais ce n’est pas pour autant que la corruption est absente de la vie politique ghanéenne. Elle a même été dénoncée par un député du parti présidentiel (proche de John Rawlings qui n’a jamais raté jamais une occasion de titiller la gestion de John Atta-Mills). Il est vrai que l’exploitation du pétrole a boosté l’intérêt des investisseurs pour le Ghana. Selon le rapport 2012 de la Cnuced sur l’investissement dans le monde, le Ghana est ainsi devenu, en 2011, le 3ème pays africain récepteur d’investissements directs étrangers (IDE) après l’Afrique du Sud et le Nigeria : 3,2 milliards de dollars en 2011 contre 2,5 milliards en 2010 et 2 milliards en 2009. Et c’est le secteur pétrolier qui suscite cette montée en puissance des IDE au Ghana.

Autrefois producteur de pétrole insignifiant (environ 6.000 barils/jour), le Ghana a mis le doigt, en 2007, sur un réservoir considéré comme un « gisement géant » : le plus grand découvert dans le monde cette année-là ! Situé à cheval sur deux blocs voisins Deep Water Tano et West Cape Three Points, cet offshore profond que l’on disait, alors, particulièrement prometteur (il l’est moins qu’espéré) se trouve au large de la ville portuaire de Takoradi*. C’est l’américain Kosmos Energy qui a été à l’origine de cette découverte (grâce au forage d’exploration Mahogany-I) qui, initialement, à compter de 2010, devait produire, quotidiennement, de 120.000 à 250.000 barils d’un brut léger de grande qualité auquel il fallait ajouter 120 à 250 millions de mètres cubes de gaz associé (qui devait permettre d’approvisionner une centrale thermique à cycle combiné destinée à produire de l’électricité pour le « corridor Ouest », centrale thermique dont la réalisation avait déjà été programmée sous la présidence de Rawlings. Kosmos n’est pas une « major » du pétrole, loin de là.

Créée en 2003 au Texas, c’est une petite compagnie très performante technologiquement et qui, financièrement, reçoit le soutien de sociétés internationales de capital-investissement : Warburg Pincus et Blackstone Capital Partners. Kosmos, qui est essentiellement présente en Afrique occidentale, du Maroc au Cameroun, détenait à l’origine une participation de 23,491 % dans Jubilee. Ses partenaires étaient le britannique Tulow Oil plc. (34,705 %), opérateur, Anadarko Petroleum Corp. (23,491 %), Sabre Oil & Gas (2,813 %), EO Group (1,750 %) ; Ghana National Petroleum Corporation (GNPC) y figurait à hauteur de 13,750 %.

Partenaire technique ayant assuré le forage décisif (Mahogany-I) puis réalisé le forage des puits d’évaluation et de démarcation du gisement, Kosmos ambitionnait d’aller jusqu’au stade de la production et de la distribution. Mais ses sponsors financiers avaient alors une autre vision des choses. Il est vrai que Kosmos avait d’autres forages à effectuer sur des blocs adjacents à Jubilee et que la nouvelle hausse du cours du pétrole (qui, alors, pour la première fois depuis un an, était repassé en octobre 2009 au-dessus de 80 dollars) avaient suscité l’intérêt des « majors » pour les nouvelles découvertes ouest-africaines (la compagnie US Anadarko, partie prenante dans Jubilee, venait de découvrir au large de la côte de Sierra Leone le gisement Venus laissant penser que sur plus de 1.000 km, de la Sierra Leone au Ghana, il existerait des réserves pétrolières significatives en offshore profond). Selon le quotidien Les Echos (30 octobre 2009), Warburg Pincus et Blackstone, conscients de l’intérêt des « majors » pour ce qui semblait être un nouvel eldorado pétrolier dans le Nord du golfe de Guinée, auraient souhaité valoriser les 23,5 % détenus dans Jubilee. Exxon Mobil aurait mis sur la table, début octobre 2009, 4 milliards de dollars pour reprendre la participation de Kosmos !

Au siège de Kosmos, à Dallas (Texas), l’offre d’Exxon Mobil avait été acceptée. Mais la GNPC, qui dispose d’un droit de veto, l’avait refusée : c’est que les compagnies étrangères faisaient la queue devant de la porte de la compagnie nationale et que, du même coup, le prix de cession de cette participation ne cessait de grimper. L’anglo-néerlandais BP, le chinois CNOOC, l’américain Chevron, le britannique Shell, le norvégien Statoil… GNPC ira même jusqu’à affirmer qu’elle possédait les fonds nécessaires pour racheter la participation de Kosmos. Une autre façon de faire monter les enchères Et de laisser penser (à juste titre, d’ailleurs) aux « majors » du pétrole qu’au-delà de Jubilee, le Ghana était la nouvelle frontière du pétrole du golfe de Guinée. GNPC fera une proposition de rachat en partenariat avec CNOOC**, proposant 5 milliards de dollars. Finalement, Kosmos décidera de conserver sa participation et de continuer à explorer et développer le territoire ghanéen.

Le premier chargement de pétrole brut (630.000 barils) a été opéré le mardi 4 janvier 2011 à bord d’un bateau libyen. La nouvelle équipe, celle d’Atta-Mills, était au pouvoir depuis deux ans. Dès avant sa victoire électorale, elle s’était penchée sur la problématique pétrolière dans la perspective d’un développement durable du Ghana. Jerry Rawlings, quant à lui, était obnubilé par le mécanisme de gestion des ressources pétrolières mis en place par la Norvège pour éviter tout risque de corruption ; il ira même à Oslo avec une délégation du parti pour se rendre compte sur place du bien fondé de cette politique. Il s’agissait, d’abord, d’optimiser l’utilisation du pétrole et du gaz dans une perspective industrielle locale : raffinage pour le pétrole, production d’énergie électrique pour le gaz. Ensuite de créer un fonds d’épargne et un fonds pour les générations futures afin de s’assurer que, lorsque les exportations de pétrole baisseront, l’économie pourra continuer à tourner grâce aux investissements réalisés dans les autres secteurs productifs. Enfin, il fallait prendre en compte les dommages environnementaux et sociaux susceptibles d’être imputables à l’exploitation pétrolière.

Tsatsu Tsikata, ancien directeur de la GNPC au temps de Rawlings (« tombé en disgrâce » - et c’est un euphémisme - au temps de Kufuor qui n’avait pas hésité à avoir la main lourde à l’encontre des anciens responsables du temps du NDC), avait entrepris de faire étudier le cas de la région du Delta, au Nigeria, afin d’éviter une situation comparable, les populations locales devant, dans cette perspective, être associées à l’utilisation des ressources tirées de l’exploitation pétrolière et gazière.

* Takoradi a été le premier port du Ghana, construit en 1928. Capitale de la Western Region, c’est non loin de là, à Nkroful, à environ 83 km à l’Ouest de Takoradi, qu’avait été inhumé, initialement, le Dr. Kwamé Nkrumah, premier président du Ghana, avant son transfert au mausolée d’Accra.

** Les banques chinoises sont parties prenantes dans le développement du pétrole au Ghana. En septembre 2010, China Development Bank et China Exim Bank ont ainsi accordé à Accra un prêt historique de 12,9 milliards de dollars pour des projets dans les secteurs du pétrole, du gaz, de l’agriculture et des infrastructures.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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