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La mort du président ghanéen John Atta-Mills ouvre la porte aux incertitudes mais pas à l’aventure.

Publié le jeudi 26 juillet 2012 à 16h11min

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Un chef d’Etat meurt. Brutalement. Le vice-président lui succède aussitôt. Et dans les heures qui suivent l’annonce du décès, une session extraordinaire du Parlement est convoquée et le président intérimaire peut ainsi prêter serment. Première déclaration : « Tout est en ordre. Nous allons maintenir la paix, l’unité et la stabilité ». Le pays est en deuil pour une semaine.

Nous sommes à Accra, capitale du Ghana. En Afrique ! Pas d’émeutes, pas de manifestations, pas de fils, pas de frère… pour penser qu’il est le mieux placé pour assumer le job, pas de discussions interminables et stériles. La Constitution ; rien que la Constitution.

La mort sans avertissement de John Atta-Mills est, politiquement, un événement majeur pour le Ghana et, du même coup, l’Afrique de l’Ouest. Un événement qui donnerait des raisons d’espérer s’il y en avait encore dans cette région où, après la crise « ivoiro-ivoirienne » (dont les effets collatéraux se font encore sentir, notamment dans l’Ouest), la crise « malo-malienne » est devenue une crise « africaine » dont personne ne sait comment la Cédéao pourra s’en sortir. Après un parcours tumultueux au long duquel les coups d’Etat n’ont pas manqué (1966, 1973, 1978, 1979, 1981), le Ghana présente le visage d’un petit pays (moins de 240.000 km²), fortement peuplé (24 millions d’habitants, soit une densité démographique pas très éloignée de celle de la France), dont la gestion s’apparente à la « bonne gouvernance » revendiquée en permanence par tout le monde mais guère appliquée avec autant de constante. Du même coup, dans une Afrique de l’Ouest quelque peu déboussolée, Accra est devenue la destination rêvée des jeunes générations ouest-africaines, prenant ainsi la suite d’Abidjan dans l’imaginaire régional ; ce qui doit faire se retourner Félix Houphouët-Boigny dans sa tombe, lui qui avait fait de la rivalité entre les deux capitales une des composantes de son action diplomatique et géopolitique.

Jerry Rawlings avait su imposer sur la scène africaine et internationale une image d’homme politique responsable malgré un passé de putschiste et une vision collectiviste de l’économie. Son retrait du pouvoir à la suite de la victoire électorale de John Agyekum Kufuor le 28 décembre 2000 et la nouvelle « alternance démocratique » réussie (non sans de très fortes tensions politiques) le 28 décembre 2008 avaient permis à John Atta-Mills, candidat de l’opposition au titre du National Democratic Congress (NDC) battu lors des deux précédentes présidentielles (2000 et 2004), d’accéder au pouvoir. Atta Mills meurt à moins de six mois de la présidentielle de décembre 2012.

Il y a tout juste un an, le 9 juillet 2011, le NDC, le parti au pouvoir, avait désigné son candidat au cours de primaires entre le « sortant » et l’ex-première dame : Nana Konadu Agyeman-Rawlings. « Visiblement, là-bas, s’étonnait Séni Dabo dans le quotidien burkinabè Le Pays (mercredi 13 juillet 2011), on ne sait pas ce que veut dire candidat naturel, c’est-à-dire ce candidat qui s’impose à toutes les élections présidentielles au titre du même parti sans jamais être contredit à l’interne ». Atta-Mills avait été massivement choisi (96,9 % des voix lors du congrès du NDC à Sunyani). Mais l’échec d’Agyeman-Rawlings était porteur de risques de division au sein du parti présidentiel ; le couple Rawlings – car c’est bien de cela qu’il s’agit – conserve un fort potentiel politique et électoral. Plus encore à l’issue d’un premier mandat présidentiel d’Atta-Mills quelque peu frustrant.

En 2008, Atta-Mills ne l’avait emporté qu’avec 40.000 voix d’écart face au candidat du NPP, Nana Akufo-Addo, ce qui permettait au NDC d’accéder au pouvoir après huit années passées dans l’opposition. Malgré la dénonciation « d’irrégularités », le sortant, John Kufuor (conformément à la Constitution, il ne se représentait pas au terme de deux mandats de quatre ans), avait reconnu sa défaite. La campagne pour la présidentielle 2008 avait donc opposé, du fait de l’absence « constitutionnelle » du sortant (et de son vice-président), deux prétendants qui n’avaient jamais été élus à la magistrature suprême. Jerry Rawlings s’était beaucoup investi pour soutenir Atta-Mills (son vice-président par le passé), se montrant beau joueur ; on disait même qu’Atta-Mills était sa « marionnette ». Mais il espérait bien un retour sur investissement en 2012. Son épouse « out » lors des primaires, Atta-Mills n’avait plus que deux adversaires : la division au sein de son parti, le NDC ; l’opposition du NPP au pouvoir autrefois avec John Kufuor.

Atta-Mills mort, les jeux politiques sont réouverts. La présidentielle 2012 n’aura pas de « sortant ». Et le NDC devra désigner un nouveau candidat alors que le leader du NPP, Akufo-Addo, est déjà en campagne. Une question est posée cependant : les responsables politiques du NDC connaissaient-ils la nature du mal dont souffrait Atta-Mills (on évoque un cancer de la gorge mais pouvait-il être mortel sans jamais avoir été décelé – altération de la voix – auparavant ?) et ont-ils espéré qu’ils survivraient au-delà de l’élection présidentielle ? Atta-Mills ne semblait pas être soigné pour le mal dont il souffrait – cependant, il s’était rendu récemment aux Etats-Unis pour des examens approfondis – mais il est peu probable que son entourage n’ait pas été au courant, ces derniers mois, de la gravité de sa situation. Le lymphatisme dont était souvent accusé Atta-Mills était-il imputable, également, à sa « maladie » ?

Nul n’ignore que le NDC est fragilisé par le volontarisme politique du couple Rawlings qui n’a jamais manqué d’être critique à l’égard du chef de l’Etat, pas assez virulent à son goût vis-à-vis de l’opposition, et de son entourage. Jerry Rawlings, affirmant sur la BBC qu’effectivement Atta-Mills était mort d’un cancer, a d’ailleurs déclaré : « Franchement, je pense que si on l’avait conseillé sagement à temps, il aurait pu survivre six ou sept mois de plus ». Une façon de se dédouaner : la mort du chef de l’Etat, candidat officiel du NDC à la présidentielle 2012 profite, d’abord, aux Rawlings sauf à penser qu’un ticket Atta-Mills/Rawlings aurait permis, en cas de victoire, l’accession à la présidence de l’épouse de l’icône de la vie politique ghanéenne. Il est bien évident que le coup de tonnerre du 24 juillet 2012 profite pleinement aux Rawlings. Qui sont les seuls responsables politiques ghanéens actuellement en lice pour la présidentielle 2012 à avoir l’expérience du pouvoir. Et la mort d’Atta-Mills sera perçue comme un signe divin. Rawlings, qui se plaignait qu’Atta-Mills ne « flingue » pas plus le bilan de son prédécesseur, John Kufuor, n’hésitera pas, quant à lui, à critiquer la gestion de son ex-protégé, même mort.

D’autant plus que, malgré les résultats macro-économiques du Ghana, les Ghanéens sont enclins à penser qu’Atta-Mills n’a pas été aussi vite et aussi loin qu’ils l’auraient souhaité compte tenu que, dans le même temps, le Ghana est devenu producteur de pétrole (le gisement géant de Jubilee, dans l’offshore profond, découvert en 2007 – année du cinquantenaire de l’indépendance du Ghana d’où son nom – est aussi la source d’un contentieux territorial avec la Côte d’Ivoire).

Convocation d’un nouveau congrès du NDC ? Désignation par les instances dirigeantes du parti ? Le parti au pouvoir n’a pas encore pris de décision face à une situation nouvelle et inattendue. L’intérim de la présidence de la République est assuré, conformément à la Constitution, par John Dramani Mahama, l’actuel vice-président. Mais là où il se trouve, il lui est difficile d’interférer dans le débat au sein du NDC ; et c’est Johnson Asiedu Nketia, son secrétaire général, qui est actuellement maître du jeu.

Le deuil national d’une semaine doit permettre de calmer l’expression des ambitions politiques des uns et des autres et tant que les obsèques d’Atta-Mills n’auront pas été organisées il est à espérer une certaine retenue au sein de la classe politique. Le premier message du président par intérim, John Mahama, a d’ailleurs fixé la ligne à suivre : « Je veux assurer les Ghanéens que tout est en ordre. Nous allons maintenir la paix, l’unité et la stabilité qui font la réputation du Ghana ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 26 juillet 2012 à 16:59 En réponse à : La mort du président ghanéen John Atta-Mills ouvre la porte aux incertitudes mais pas à l’aventure.

    Le Ghana n’est pas une République bananière, ce n’est pas le Gondouana, c’est un grand pays plein d’avenir. Longue vie au Ghana et aux Ghanéens pour avoir choisie la voie de la réussite. God bless Ghana. Amen

  • Le 26 juillet 2012 à 17:02 En réponse à : La mort du président ghanéen John Atta-Mills ouvre la porte aux incertitudes mais pas à l’aventure.

    Monsieur Bijot ne vous inquiétez pas car le Ghana n’est ni le Burkina,ni le Mali ou autre pays avec leur démocratie de façade.Le Ghana est fort parcequ’il a des institutions fortes contrairement ces pays où les institutions sont bancales.Comme disait Barack Obama,l’Afrique n’a pas besoin des hommes forts mais des institutions fortes et il sait de quoi il parle car lui-même,qui le connaissait avant qu’il ne soit président ?Personne.
    Tout ça pour dire que n’importe qui peut diriger un pays vraiment démocratique à condition de disposer de ses facultés mentales mais hélà,au Burkina il y a encore des zèbres qui pensent que Blaise est notre pétrole.J’allais être inquiet si le problème ghanéen nous arrivait car j’imagine déjà la débandade dans tout le pays mais là,le Ghana a déjà son président et les élections présidentielles se dérouleront sans problème,j’en sûr certain à 1000000%.
    En attendant paix l’âme de l’illustre disparu et mes condoléances les plus sincères au peuple dynamique ghanéen

  • Le 26 juillet 2012 à 17:15, par ZIDA En réponse à : La mort du président ghanéen John Atta-Mills ouvre la porte aux incertitudes mais pas à l’aventure.

    Je pense que l’Afrique toute antière gagnerait à suivre l’example ghanéen.

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