LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Pour le compte de qui le rouleau compresseur Sud-Africain s’est-il mis en branle à la tête de l’Union africaine ? (3/3)

Publié le vendredi 27 juillet 2012 à 12h01min

PARTAGER :                          

Jacob Zuma n’est pas Thabo Mbeki ; qui, d’ailleurs, n’avait pas grand-chose à voir avec Nelson Mandela. Et l’ANC que nous avons connue dans les années 1970 à 1990 – avant la liquidation de l’apartheid – n’a rien à voir avec le parti au pouvoir depuis maintenant dix-huit ans. Ses fondamentaux n’ont pas changé ; mais ses actions ne s’inscrivent plus dans le même contexte.

Et ce qui était concevable au temps de la lutte contre l’apartheid l’est difficilement aujourd’hui. L’accession au pouvoir de Zuma avait été présentée par certains commentateurs comme « un coup fatal porté à un système où l’apartheid a été remplacé par une discrimination économique ayant permis à quelques chanceux de s’enrichir fabuleusement, tandis que le nombre de pauvres se multipliait » (Tom Nevin – New African de février-avril 2008). Le coup d’Etat politique opéré par Zuma en 2008 nous ramène nécessairement à ce que disait Trevor Ngwane, exclu de l’université (il enseignait la sociologie), exclu de l’ANC, exclu de la Cosatu (la centrale syndicale pro-ANC), animateur, voici quelques années, des « mouvements pop-corn » (« Quand la marmite est trop chaude, ils jaillissent soudainement ») qui faisaient alors alliance avec le Mouvement des Sans-Terre. Ngwane qualifiait alors l’ANC de « parti stalinien de droite » (Le Monde date du 22 décembre 2002). Je ne suis pas certain que ce qualificatif ait un réel sens politique, mais je ne doute pas qu’il caractérise parfaitement la dérive d’un parti qui, effectivement, a été incapable depuis qu’il a conquis le pouvoir de répondre aux aspirations des travailleurs ruraux et urbains. « On favorise l’émergence d’une nouvelle classe de bourgeois noirs mais, pour la majorité, rien n’a vraiment changé depuis la fin de l’apartheid ».

Qui oserait dire que l’Afrique du Sud « démocratique » vit, économiquement, sur les acquis de l’Afrique du Sud de l’apartheid ; et qu’une quasi-génération plus tard ceux qui étaient victimes de l’apartheid sont encore des victimes mais, cette fois, de la « démocratie ». Il y a déjà longtemps que l’on sait qu’en Afrique du Sud « ça ne marche pas » ; il y a longtemps aussi que des Sud-Africains ne cessent de le crier. Mais, en ce qui concerne l’Afrique du Sud, l’arbre cache la forêt. Membre du G20, ayant rejoint fin 2010, à l’invitation de Pékin, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) pour former les BRICS, South Africa s’aligne désormais sur Pékin bien plus que sur la City ou Wall Street. La Chine et la Russie sont, par ailleurs, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies au sein duquel Pretoria ambitionne d’être le représentant permanent de l’Afrique.

Il y a pas loin d’un an, le mercredi 10 août 2011, alors que le Conseil de sécurité débattait à New York de « la situation épouvantable qui continue à se détériorer en Syrie » (une situation pourtant sans commune mesure avec ce qu’elle est aujourd’hui après un an d’affrontements et des dizaines de milliers de morts, de disparus, d’emprisonnés ), Bachar Al-Assad avait rencontré à Damas des représentants de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud, alors trois membres non permanents du Conseil de sécurité mais, également, 3 des 5 BRICS (les deux autres, Russie et Chine, étant, quant à eux des membres permanents). L’Indien, le Brésilien et le Sud-Africain, à l’issue de cette rencontre, avait souligné « l’engagement envers le processus de réformes [de Bachar Al-Assad], dont l’objectif est d’ouvrir la voie à une démocratie multipartiste ». Une façon de couper l’herbe sous le pied des « Occidentaux ».

Une source interne à l’ONU, citée par Alexandra Geneste (Le Monde daté du 12 août 2011), évoquera la « névrose souverainiste » de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud, qui les conduit à « sacrifier leurs valeurs démocratiques ». On ne peut pas comprendre ce qui vient de se passer à Addis Abeba si on ne prend pas en compte cette « névrose souverainiste », héritage du passé des pays qui, en Afrique australe, en Afrique de l’Est, en Afrique centrale mais aussi en Afrique de l’Ouest, ont conduit une majorité des pays membres de l’UA à choisir, contre toute attente, le candidat sud-africain plutôt que de reconduire le candidat gabonais. Ce n’est pas un clivage anglophones-francophones, c’est l’émergence, sur le continent, d’un mouvement « souverainiste » qui est aussi un mouvement « anti-occidental ». D’autant plus fort, désormais, qu’il trouve des points d’appuis à Pékin, New Delhi, Brasilia, Moscou. Ce mouvement a été exacerbé par l’intervention de l’OTAN en Libye.

A Abuja, le samedi 10 décembre 2011, Jacob Zuma avait annoncé la couleur qualifiant « l’ingérence des grandes puissances » dans la crise libyenne de « cicatrice qui mettra plusieurs années à guérir ». « Le mois prochain, avait-il ajouté, le sommet de l’Union africaine devra délibérer très sérieusement […] de la façon d’éviter toute répétition de ce qui s’est passé en Libye […] Les pays développés ont détourné une réelle aspiration démocratique du peuple libyen pour poursuivre leurs plans de changement de régime […] La situation libyenne est un rappel de la nécessité […] de défendre la place et l’autorité de l’Afrique et de l’UA sur les questions touchant le continent » (déclarations rapportées par Rosa Moussaoui dans L’Humanité du 14 décembre 2011).

Après l’intervention française en Côte d’Ivoire, la capture et la détention de l’ex-président Laurent Gbagbo, le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du président soudanais Omar Hassan Ahmed Al-Bachir, la mort de Kadhafi, les actions menées contre le président équato-guinéen Obiang Nguema Mbassogo et son fils, la polémique sur le prix qu’il a voulu instituer dans le cadre de l’Unesco, l’implication « occidentale » dans le traitement de la crise au Mali, le forcing de ces mêmes « occidentaux » dans la crise en Syrie, il y a une radicalisation de l’exacerbation à l’égard de « l’Occident ». En Afrique, qu’elle soit le fait de pays qui ont conquis leur indépendance les armes à la main contre les « occidentaux » ne saurait étonner. Les précédents patrons de l’UA étaient, certes, des francophones mais d’abord les représentants de pays (Côte d’Ivoire, Mali, Gabon) en étroite connexion avec « l’Occident ».

Cela aurait pu perdurer si « l’Occident » avait eu une conduite soft en Afrique ; cela n’a pas été le cas. Et il n’est pas un chef d’Etat en Afrique du Sud, au Zimbabwe, en Angola, au Tchad… qui entend soutenir une politique « occidentale » en Afrique qui peut conduire, à terme, à ce qu’il dégringole de son trône. La « résistance » de Moscou et de Pékin sur le dossier syrien aux Nations unies les confortent dans leur propre « résistance ». Sauf qu’avec la montée en puissance des Sud-Africains au sein de l’UA, on passe de la « résistance » à la « résilience ». Dix-huit ans après la conquête du pouvoir par l’ANC, nul ne peut douter que le plus puissant parti du continent n’ait pas une ambition hégémonique qui est – à l’instar de ce qui s’est passé en URSS – une nécessité vitale pour l’appareil bureaucratique au pouvoir à Pretoria.

Trevor Ngwane (cf. supra) a caractérisé l’ANC comme un « parti stalinien de droite » ; il pourrait en dire tout autant des partis qui dominent la vie politique du Zimbabwe, de l’Angola, de l’Ouganda, du Rwanda, de la Guinée équatoriale… Ce ne sont que des appareils bureaucratiques monolithiques figés qui sont dans l’incapacité de promouvoir les réformes nécessaires à l’évolution des sociétés africaines. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si Jacob Zuma aime tellement s’exhiber publiquement en « zoulou » d’opérette sans jamais se soucier de la dimension culturelle de ce peuple. Le drame de l’Afrique c’est que le « souverainisme » que certains pays expriment à l’égard de « l’Occident » joue le jeu de puissances moyen-orientales et orientales qui, elles, ont les moyens de leurs ambitions hégémoniques. C’est dire qu’au-delà de l’anecdotique l’accession à la tête de la commission de l’UA de Nkosazana Dlamini Zuma est une rupture dans l’histoire du continent africain. Sa rupture avec l’ensemble « Europe-Amérique » au profit de l’ensemble « Asie centrale-Asie de l’Est ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique