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Kristel Malegué, coordinatrice de la Coalition eau : « Rio+20 est un recul sur plusieurs points »

Publié le mardi 10 juillet 2012 à 00h41min

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Kristel Malegué est la coordinatrice de la Coalition eau qui regroupe une trentaine d’ONG françaises dont Eau Vive engagées dans la promotion de l’accès de l’eau potable et de l’assainissement pour tous. Elle aborde dans l’interview qu’elle nous a accordée les résultats du récent sommet de Rio et se prononce sur la problématique de l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

Vous avez pris part au récent sommet de Rio. Brièvement, quels sont les principaux acquis du sommet sur la question de l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement ?

Alors que le droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement a été fortement menacé pendant la phase des négociations, certains pays ayant demandé la suppression de toute référence aux droits humains de la Déclaration, celui-ci a finalement été maintenu. En outre, l’eau a été reconnue comme étant au cœur du développement durable, à la croisée des dimensions économique, sociale et environnementale. Une avancée : rappelons que dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), l’accès à l’eau potable et à l’assainissement n’est qu’un sous-objectif de l’objectif 7 (sur 8) « Préserver l’environnement ».

Toutefois, malgré ces acquis, la Déclaration de la Conférence Rio+20 constitue un recul sur plusieurs points. En effet, il est inacceptable que les États membres de l’ONU s’accordent sur un texte qui ne les engage pas directement à mettre en œuvre le droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement, droit fondamental reconnu par la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 28 juillet 2010. Or, le droit de l’homme à l’eau et l’assainissement ne sera efficace que si les gouvernements l’incluent dans leur législation nationale et le mettent en œuvre au niveau local. Et il est tout autant inacceptable qu’en matière de gestion de la ressource, le texte ne fasse état ni de la coopération transfrontalière, ni de la gestion par bassin versant. C’est sans prendre en compte le fait que les 276 bassins transfrontaliers dans le monde hébergent 40% de la population mondiale et génèrent environ 60% du débit d’eau douce mondiale.

Au-delà de la question de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, quelle a été globalement la participation de la société civile au sommet de façon générale, et en particulier celle de la coalition eau que vous représentiez ?

La période du sommet a été un foisonnement d’initiatives de la société civile, réunissant les associations, les jeunes, les femmes, les collectivités locales, les agriculteurs… Près de 3 000 évènements ont ainsi été organisés à travers la ville, avec pour point d’orgue la manifestation générale du 20 juin. Le Sommet des Peuples, lieu de rassemblement de la société civile par excellence, a été riche en débats, réflexions, manifestations… L’eau y avait son propre espace : le Pavillon Bleu. La société civile y a porté ses idées et ses propositions d’alternatives pour un monde fondé sur le respect des droits humains, la justice sociale et écologique, la défense des biens communs, la non-marchandisation de la vie et de la nature.
Au niveau de la Conférence officielle, la société civile a participé aux évènements parallèles, aux débats et conférences. Elle a fait part de ses propositions et recommandations sur le texte en amont et pendant les négociations.

Elle était aussi représentée à travers les Groupes Majeurs, qui représentent les différents groupes de la société civile, dont les ONG, auprès des Nations-Unies. Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, la société civile n’avait qu’un statut consultatif et ses recommandations ont rarement été prises en compte. Signalons aussi l’organisation des Dialogues pour le Développement Durable, juste avant la Conférence officielle. Ces Dialogues, multi-acteurs, ont permis d’échanger sur des sujets clés, dont l’eau, et de transmettre des recommandations aux chefs d’État et de Gouvernement présents au Sommet. Mais là aussi, il ne s’agissait que de « porter des recommandations ». Libre aux Etats de les prendre en compte ou non !

La Coalition Eau s’est insérée dans l’ensemble de ces espaces pour contribuer au débat et porter ses messages sur l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous, la mise en œuvre effective du droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, la gestion durable de la ressource, l’implication des citoyens dans les processus de décision, etc. Avec l’Effet Papillon, mouvement de plus de 90 ONG et réseaux d’ONG internationales du secteur de l’eau et de l’assainissement, elle s’est fortement mobilisée pour alerter les Etats sur les reculs du texte concernant le chapitre Eau. Et elle continue à le faire, en vue des prochains grands rendez-vous internationaux.

Globalement, comment appréciez-vous les résultats du sommet ?

Après des négociations difficiles, les Etats ont adopté un texte de consensus basé sur le plus petit dénominateur commun et dont beaucoup admettent qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux et des attentes non seulement des populations mais de nombre d’Etats eux-mêmes. Dans un contexte de crise économique et de repli sur des intérêts nationaux de court-terme, les Etats ont échoué à définir une nouvelle politique de développement durable et à montrer la voie du futur que nous voulons. Certes, il y a eu quelques avancées sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), les océans, la gouvernance - dont le renforcement du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement)-, le socle de protection sociale, le renforcement annoncé du rôle de la société civile…

Mais ce texte fait surtout état de principes généraux, sans être réellement tourné vers l’action et sans que, dans l’ensemble, de nouveaux engagements n’aient été pris. Privé de vision politique, il passe sous silence nombre des défis actuels comme la mondialisation, l’épuisement des ressources naturelles, l’évolution de l’économie mondiale, les causes des crises environnementales, le lien entre démographie/eau/alimentation, la question des modes de vie dans les pays industrialisés qui ne sont ni généralisables ni durables.

Personnellement, êtes-vous satisfaite, vos attentes de départ y ont-elles été comblées ?

Je me rendais à la Conférence Rio+20 sans en attendre grand-chose. Le processus était complexe et peu transparent, les négociations difficiles, le texte extrêmement faible, et le concept de l’économie verte qui concentrait les débats, encore flou… Et il ne fallait pas s’attendre à un sursaut des Etats pendant la conférence officielle ! Concernant l’eau, la société civile s’était mobilisée pour sauver la mention du droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement dans le texte, et nous restions vigilants… Nous espérions plus que ce qui était dans le draft encore en négociation, mais sans nous attendre à ce que le gouvernement brésilien, dans sa recherche du consensus ultime, opère un véritable recul par rapport aux versions précédentes du texte, en supprimant le paragraphe relatif à l’eau et la coopération, conséquence du recentrage des Etats sur leurs intérêts nationaux. En ce sens, nous avons été plus déçus en repartant qu’en arrivant ! Par contre, la mobilisation de la société civile, la richesse des échanges et le foisonnement des initiatives et propositions alternatives nous remplissent d’espoir pour l’avenir.

A écouter des participants, on a l’impression que la dynamique enclenchée à Marseille au Forum mondial de l’eau n’a pas beaucoup suivi. A votre avis, quels ont été les points faibles de Rio 2012 ?

Le 6ème Forum Mondial de l’Eau avait permis de mettre en place, pour la première fois, un processus participatif dans lequel la société civile avait été globalement impliquée. Certaines avancées avaient pu être soulignées comme la réaffirmation du droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit de l’homme inaliénable et l’engagement des Etats à accélérer sa mise en œuvre, engagement qui restait cependant difficile à concrétiser. En outre, la question du financement persistait. Le processus Rio+20 a, lui, été complexe, peu transparent, et la société civile a été peu ou difficilement associée aux différentes étapes.

Les recommandations qu’elle a portées ont rarement trouvé écho auprès des leaders mondiaux. Un blocage tel que le groupe représentant les ONG à l’ONU s’est positionné contre la Déclaration finale et a demandé que la mention « avec la pleine participation de la société civile » soit retirée du premier paragraphe, ce qui n’a d’ailleurs pas été fait, les Etats ne souhaitant pas rouvrir le texte. Sans parler des points faibles du chapitre sur l’eau et l’assainissement dont j’ai déjà fait état précédemment.

Avec ces résultats, doit-on toujours croire à la possibilité d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) d’ici à 2015, notamment en ce qui concerne l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement ?

A l’heure actuelle, selon les Nations Unies, seuls 3 objectifs importants ont été atteints : réduction de l’extrême pauvreté, amélioration des conditions de vie dans les bidonvilles et accès à l’eau potable. D’autres sont en nette amélioration, tels la réduction de la mortalité infantile ou le combat contre le VIH/SIDA, le paludisme et autres maladies. Toutefois, nombre d’objectifs sont encore loin d’être atteints à l’instar de la mortalité maternelle, de la réduction de la faim dans le monde ou encore de l’accès aux services d’assainissement de base. En outre, on observe de fortes disparités entre les zones géographiques. Il est encore temps de pouvoir réaliser les OMD restants si les Etats ne dérogent pas à leurs obligations et si tous les moyens sont mis en œuvre, d’ici 2015, pour l’atteinte de ces OMD.

En ce qui concerne spécifiquement le secteur de l’eau et de l’assainissement, l’OMD 7c qui consiste à réduire de moitié la proportion de personnes n’ayant pas un accès durable à une eau potable a été atteint en 2010, avec une proportion de personnes utilisant une source d’eau améliorée passant de 76 % en 1990 à 89 % en 2010. Mais la situation est loin d’être satisfaisante en milieu rural où 19% de la population continue à utiliser des sources d’eau non améliorées, contre 4% dans les zones urbaines. Par ailleurs, la situation concernant l’assainissement est particulièrement inquiétante puisque presque la moitié de la population dans les régions en développement, soit 2,5 milliards d’individus, n’a pas encore accès à des installations sanitaires améliorées. Et d’ici à 2015, le monde aura atteint une couverture de 67 % seulement, bien inférieure aux 75 % requis pour atteindre la cible OMD.

Quelles actions faudrait-il envisager à court, moyen et long terme pour que l’humanité se mette véritablement dans la dynamique du développement durable ?

Aujourd’hui, côté Etats, le renouvellement de toute dynamique passera par la relance du multilatéralisme, en berne, et par la volonté retrouvée de défendre, ensemble, des intérêts collectifs pour une nouvelle vision du monde. Les gouvernements doivent se rappeler qu’ils représentent les citoyens de leurs pays et qu’il est de leur responsabilité de proposer un avenir meilleur et soutenable pour les générations actuelles et futures. En incluant la société civile, porteuse de propositions et de solutions alternatives, ils doivent relever les défis, dont ceux sur l’eau. A ce niveau, la mise en place des Objectifs de Développement Durable est une opportunité d’élaborer une nouvelle feuille de route pour le développement durable. Avec pour condition intrinsèque, que les Etats fassent preuve d’ambition, et qu’ils s’engagent politiquement et financièrement à la hauteur des besoins. Ce à quoi veillera la société civile qui poursuivra sa mobilisation avec un objectif : inciter les Etats à s’engager de manière effective, bâtir de nouveaux espoirs et remettre l’humain au cœur de toutes les politiques de développement.

Mais, plus globalement, adopter la voie du développement durable exige d’opérer une véritable transformation de nos sociétés actuelles. Cela passera par la transition vers des sociétés et économies écologiquement soutenables et socialement justes, incluant le respect des droits humains et la préservation des biens communs, le changement des mentalités et des comportements, la construction d’une nouvelle gouvernance mondiale associant les citoyens aux processus de décision. Avec une certitude : Etats, société civile, chacun doit agir. Maintenant. Car le développement durable ne peut plus attendre.

Interview réalisée par Grégoire B. BAZIE

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