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Jean Félix-Paganon, « l’œil de Paris » sur les affaires sahélo-sahariennes (2/2)

Publié le mercredi 4 juillet 2012 à 12h58min

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Il y a quelque chose du major Thompson dans la façon d’être « diplomate » de Jean Félix-Paganon. Rien de figé, de compassé, de dépassé… ; en prise directe avec les réalités du terrain. « Le plus beau moment » dans sa carrière aura été la « révolution égyptienne » affirme-t-il. Ambassadeur au Caire depuis le printemps 2008, il a vécu en temps réel les événements de 2011.

« Un moment unique, dit-il. Très émouvant ». Bien sûr, sa position officielle d’ambassadeur de France l’a obligé à beaucoup de retenue ; mais il n’empêche, voir les hommes et les femmes rassemblés jour et nuit sur la place Al-Tahrir, vivre au plus près « le jour de la chute du leader » pour paraphraser Naguib Mahfouz, même si cette révolution sans révolutionnaires a, aujourd’hui, quelque chose d’inachevé et parfois même « d’espérance trahie » (« Nous sommes un peuple qui fait son bonheur de la défaite plus que du succès » dit justement Nagib Mahfouz dans « Le Jour de l’assassinat du leader »), il fallait être là. « C’est une rupture culturelle dans l’histoire du monde arabe, dit Félix-Paganon. L’émergence d’une vision moderne du citoyen. L’affirmation du rôle central de l’individu ». Etant ce qu’il est et venant d’où il vient (cf. LDD Spécial Week-End 0541/Samedi 30 juin-dimanche 1er juillet 2012), il était évident que Félix-Paganon ne pouvait pas vivre ces moments de folle passion politique sans s’enthousiasmer pour un mouvement dont il dit aussi qu’il faut désormais « le comprendre, l’analyser, l’expliquer ».

Il y a quelques mois, en avril 2012, Félix-Paganon a cédé Le Caire à Nicolas Galey. L’Histoire est ainsi faite… Galey, un énarque, a fait une partie de sa carrière diplomatique dans les cabinets ministériels : Alain Juppé (1993-1995), Michel Barnier (2004-2205), Philippe Douste-Blazy (2005-2006). Après un séjour à Chypre comme ambassadeur (2007-2009), il sera appelé à rejoindre la cellule diplomatique de la présidence de la République en 2009. En charge, justement, de l’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient. L’Elysée ne donnant pas sur la Méditerranée, Galey n’a pas vu venir grand-chose quand ont émergé « les printemps arabes ». Claude Guéant, sans doute, lui bouchait la vue. Enfin, maintenant le voilà à même de prendre conscience de la réalité des faits : depuis juin 2012, il est ambassadeur au Caire.

Et, du même coup, Félix-Paganon peut poursuivre ses travaux dirigés sur les « révolutions arabes » et leurs effets collatéraux en étant promu le « Monsieur Sahel » de notre ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Tour d’horizon avec les Maliens scotchés en France ces dernières années, le président de la République (sic) et le Premier ministre (sic). Sans doute pas de quoi s’enthousiasmer. Manque de courage, manque de pragmatisme, absence totale de volontarisme…

Dans le Nord-Mali, les « talibans du Sahel » peuvent s’en donner à cœur-joie dans la provocation des opinions publiques africaine, européenne et internationale. Même s’il est abusif d’évoquer un « Afghanistan de l’Afrique » au sujet du Mali, une « internationale terroriste » et de paraphraser V.I. Oulianov, le camarade Lénine : « Qui met la main sur l’Afrique met la main sur l’Europe ». Ce sont là les propos de Mahamadou Issoufou, président du Niger, à l’issue de sa visite à Paris et de son audience auprès de François Hollande (entretien avec Antoine Malo - Le Journal du Dimanche du 17 juin 2012). Mais Paris, préoccupé par la situation malienne, n’entend pas, pour autant la dramatiser. Le Mali ce n’est pas la Syrie.

La nomination d’un « Monsieur Sahel » par Paris a suscité beaucoup d’émotion du côté d’Alger. C’est une constante de la diplomatie algérienne : pas d’ingérence « occidentale » dans la région sous prétexte de combattre le « terrorisme islamique » ! C’est pourquoi, d’ailleurs, c’est un arabisant, proche de l’actuel gouvernement français (rien à voir avec un « sarkozyste »), ayant une réelle expérience du terrain en Afrique du Nord, qui est l’envoyé spécial du ministre des Affaires étrangères sur le terrain.

Félix-Paganon était, cet après-midi du lundi 2 juillet 2012, à Abidjan, pour une audience avec le président Alassane D. Ouattara (Félix-Paganon était annoncé, dans le même temps, comme attendu par l’amiral Edouard Guillaud, CEM des armées, pour une audience au ministère de la Défense) avant de s’envoler pour Ouagadougou y rencontrer le « facilitateur » : Blaise Compaoré. Demain, mercredi 4 juillet 2012, il sera à Alger avec Hélène Le Gal, la conseillère Afrique du président de la République, à la veille de la visite dans la capitale algérienne de Laurent Fabius (prévue pour le 16 juillet 2012). Objectif : amener Alger à radicaliser son comportement vis-à-vis des éléments armés qui occupent le Nord Mali tout en convaincant les responsables politiques algériens que Paris n’entend pas s’impliquer directement dans une opération militaire.

Il faut le savoir-faire d’arabisant et de diplomate de Félix-Paganon pour mener à bien cette mission. « Ayant beaucoup d’intérêts au Sahel, la France, qui est présente militairement dans plusieurs pays de la région, est partisane de l’intervention militaire. Pour parvenir à ses fins, Paris fait bouger ses pions sans pour autant rester totalement à l’écart », a écrit Merzak Tigrine, un commentateur algérien, au lendemain de la nomination de Félix-Paganon. « Cela suppose, ajoute-t-il, que la France, qui ne peut rester les bras croisés, prépare quelque chose pour faire bouger les choses ».

Alger, qui se flatte d’être « incontournable » dans la résolution de la crise malienne, observe avec délectation le « ballet diplomatique » dont la capitale est aujourd’hui le spectacle. A tel point que l’on ne sait plus qui fait quoi et pour le compte de qui. Djibrill Y. Bassolé, le ministre burkinabè des Affaires étrangères, vient de séjourner, pour une visite de travail, dans la capitale algérienne. Mais on pouvait y croiser aussi Amara Essy, émissaire d’ADO, l’occasion d’une résurrection politique pour l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Henri Konan Bédié.

Quand tout le monde veut aller casser du « taliban du Sahel » dans le Nord Mali, Alger reste l’arme au pied, faisant monter les enchères diplomatiques et militaires. Le changement de personnel politique à l’Elysée et à Matignon permet aux Algériens de se « hausser du col » sur la scène africaine. Selon Alger, la défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle 2012 aurait signé la fin de l’interventionnisme militaire français en Afrique tel qu’on l’a connu en 2010 en Côte d’Ivoire et en 2011 en Libye.

Est-ce à dire que le « hub » diplomatique de l’Afrique de l’Ouest risque de basculer et qu’il faudra faire, désormais, avec Alger bien plus que par le passé. « Nous avons des contacts avec toutes les parties, y souligne-t-on. Nous sommes soutenus par les Maliens eux-mêmes, mais nous sommes également soutenus par nos partenaires. Nous sommes préoccupés par ce qui se passe dans notre région, et nous faisons la nette distinction entre les revendications légitimes des populations du Nord, dans le cadre d’un Mali uni, et la lutte antiterroriste. Donc, nous continuons à travailler pour qu’il y ait une convergence de points de vue et pour que tout le monde soit avec le même agenda ».

On ne peut pas être plus clair ; et plus cohérent. Quand trop de chefs d’Etat de la région (je le répète, on ne peut plus, désormais, scinder l’Afrique du Nord de l’Afrique de l’Ouest, l’insécurité dans le « corridor sahélo-saharien » a fusionné les deux ensembles continentaux) veulent jouer au petit soldat sans en avoir (ni s’en donner) les moyens, il faut réintégrer les Touareg dans le jeu politique malien et s’en servir dans la « lutte antiterroriste ». D’où la priorité : consolider la transition au Mali Sud.

Or, chacun en est conscient tout particulièrement à Paris et à Ouaga : c’est là que le bât blesse. D’où l’organisation dans la capitale burkinabè, les 6 et 7 juillet 2012, d’un mini-sommet auquel participera le groupe de contact sur le Mali. Dont l’objectif est de former un gouvernement de large consensus. Blaise Compaoré dit : « inclusif ». Est-ce à dire que l’actuelle rébellion du Nord pourrait y avoir sa place ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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