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Cameroun : la victoire de Paul Biya pose plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions

Publié le mercredi 3 novembre 2004 à 07h55min

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C’était au tout début de la décennie 1990. A Douala où la politique des "villes mortes" avait laissé penser, un moment, que le pouvoir était au bout du rouleau. Enfin, l’opposition camerounaise le pensait. Elle ne manquait pas d’affirmer qu’elle serait en mesure de "dégager" Biya du pouvoir dès qu’elle l’aurait décidé.

Elle ne l’a sans doute pas décidé. Le pluralisme politique institué en février 1991 n’a pas changé la donne. Biya allait remporter la présidentielle anticipée d’octobre 1992 puis celle d’octobre 1997 (la nouvelle Constitution, promulguée en janvier 1996, instituait alors le septennat en lieu et place du quinquennat) pour laquelle l’opposition avait appelé au "boycott actif". Biya, 71 ans, vient d’être réélu, le lundi Il octobre 2004, président de la République du Cameroun pour un nouveau mandat de sept ans !

Le Cameroun fait rarement la "une" de la presse internationale. C’est, incontestablement, le plus méconnu des grands pays d’Afrique noire. Alors, bien sûr, l’accaparement du pouvoir, depuis plus de 32 ans (depuis exactement le 4 novembre 1982), par un homme dont on ne sait rien ou presque, n’a pas manqué de susciter l’intérêt de la presse française pour un événement qui n’en n’était pas un : la présidentielle 2004 !
Coup de projecteur sur le Cameroun. Le pays d’abord : "un des plus corrompus de la
planète" ; "la majorité des 16 millions d ’habitants est entraînée dans une misère croissante, tandis qu’une élite proche du pouvoir s’enrichit inexorablement" ; "à Douala, s’est instaurée dans les familles les plus pauvres la loi des "trois tours" : certains membres de la famille se contentent d’un repas le matin, d’autres du déjeuner, et les derniers de celui du soir" ; "en
juillet dernier, le FMI a fermé au Cameroun la porte du programme pour les pays pauvres très endettés (PPTE), dénonçant "une grave dérive budgétaire ", qui porterait sur plus de 150 milliards de francs CFA (230 millions d’euros) de dépenses non justifiées, soit 1 0 % du budget".

V oilà pour le pays. Pas très enthousiasmant. Pour le chef de l’Etat, le portrait est moins flatteur encore. Biya "limite ses apparitions, di.sparaissant parfois des semaines entières, nourrissant les rumeurs d’envoûtement et de maladie" ; "il gouverne par un curieux mélange d’omnipotence et d’absence totale unique [...] Entre ses séjours dans son village natal de Nvoméka ’a, ses voyages à l’étranger, notamment en Suisse où il peut rester des semaines, ses compatriotes ne le voient pour ainsi dire jamais, pas plus qu’ils ne l’entendent [...] Le président, que l’on dit attiré par le mysticisme, semble tout autant ignorer ses homologues africains, avec lesquels il n’entretient aucun rapport ou presque, et même ses propres collaborateurs ". Un commentateur évoque une gestion des affaires publiques "de manière scripturale ".

Voilà l’homme qui vient d’être réélu, à 71 ans, pour un mandat de sept ans avec 75 % des voix. A l’occasion d’un scrutin dont les observateurs de la Francophonie jugent que
"l’organisation a été, selon nous, satisfaisante". Etonnant Cameroun où un chef de l’Etat, quasi inexistant, qui ne tient pas de conseils des ministres, dont le parti est, tout au plus, une caisse de répartition, parvient sans drame majeur à se maintenir au pouvoir tandis que l’économie enregistre des taux de croissance qui, sans être exceptionnels (entre 4 et 5 % par an depuis le début de la décennie) ne sont pas catastrophiques ! Il faut que Biya soit réellement un magicien. Ou que les Camerounais soient trop préoccupés à survivre pour espérer seulement vivre !

Il faut ajouter à cela que l’opposition camerounaise n’est pas la plus bête du monde. Loin de là. Quelques personnalités tiennent effectivement la route, à commencer par les deux leaders : John Fru Ndi et Adamou Ndam Njoya. Mais cette opposition s’est disqualifiée, tout au long de son histoire, en jouant le jeu de la division et de la dispersion. Faudrait-il, alors, pour sortir de ce cercle infernal d’un pouvoir sans contre-pouvoir, radicaliser l’action politique ? C’est, justement, la crainte des Camerounais. Ils ont connu, avant et après l’indépendance, une guerre civile larvée, les maquis, le terrorisme, etc... De cette époque douloureuse, ils ont gardé le plus mauvais souvenir. Ils ont connu, aussi, l’irruption de l’armée dans le jeu politique ; et cela a tourné au drame. Enfin, le souvenir des journées d’insurrection, au début de la décennie 1990, est encore vivace. Un ministre y avait gagné un surnom "Zéro mort" alors les cadavres se décomposaient dans la rue. Désormais, le Camerounais n’aspire qu’à une chose : la paix !

C’est bien le pire qui puisse lui arriver. La victoire de Biya à la présidentielle 2004 pose plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. En refusant d’assumer son histoire, le peuple camerounais s’enfonce dans la préhistoire. La préhistoire économique. Pourtant, en la matière, le Cameroun avait tous les atouts pour être le pôle économique majeur de l’Afrique centrale et de l’Afrique francophone. Des entrepreneurs et des entreprises. Des investisseurs et des potentialités d’investissement. Du pétrole, du bois, du cacao et du café, du coton, de l’hévéa, etc... Des ressources hydrauliques. Un savoir-faire agricole et une main d’oeuvre qualifiée.

Il est peu probable que Biya se présente, une fois encore, à la prochaine présidentielle dans sept ans. Il est peu probable qu’au cours de son dernier septennat il parvienne à redresser un pays qu’il a contribué à faire sombrer en vingt-deux années de pouvoir absolu. Ce sera la tâche de son successeur. Or, la relance de l’économie camerounaise et la revitalisation de la vie sociale ne seront possibles que dès lors que le pouvoir et l’opposition auront fait le choix de l’union. Une union sans hypocrisie. Il est difficile d’y croire quand on observe la vie politique camerounaise oÙ chacun tente de tirer la couverture à son profit. Plus d’une décennie de multipartisme au cours de laquelle l’opposition n’a eu qu’une obsession : le pouvoir, sans jamais comprendre qu’elle devait, auparavant, se construire, se crédibiliser, s’unifier, se responsabiliser, etc... a détourné le peuple camerounais du chemin de la démocratie politique. Les élections ne motivent plus personne ; les hommes politiques ne passionnent plus le pays ; les organisations syndicales sont désertées. Face à une population désarmée, il ne reste que les "feymen" et autres prédateurs.

C’est dire que le risque est grand, pour le Cameroun, de sombrer dans le chaos avant même la fin du septennat en cours. Le vide politique n’a été comblé, jusqu’alors, que par une certaine capacité de la société à (injustement) redistribuer les revenus tirés du pétrole et des autres produits d’exportation. Ce temps-là s’achève. Au vide politique va se superposer un vide économique. Et, plus encore, un vide social. Car, en la matière. le bilan camerounais est catastrophique : éducation, santé, chômage, insécurité, tribalisme, corruption. Ce pays qui a su "produire" des élites politiques, culturelles, industrielles, etc... en grand nombre se retrouve, aujourd’hui, en état de dépendance. S’il n’avait une vitalité naturelle et une créativité exceptionnelle (qui n’est pas toujours, d’ailleurs, mise au service du mieux-être général 1), le Cameroun se trouverait aujourd’hui dans une situation comparable à celle de la Guinée. Or l’histoire des deux pays n’est en rien comparable. Le Cameroun a eu tous les atouts en main. La Guinée s’est fait confisquer son jeu de cartes dès 1958.

Il y a urgence à tirer la sonnette d’alarme. La victoire de Biya est l’expression de l’échec du Cameroun et des Camerounais. S’il n’a plus d’acquis politiques, économiques et sociaux, le Cameroun a une histoire ; et des potentialités qui peuvent être réactivées. Beaucoup d’hommes et de femmes y sont conscients que le pire est à craindre et que le meilleur n’est plus à espérer. Ils occupent parfois, même, des postes de premier plan. Il faut qu’ils aient le courage politique d’inverser la tendance. A eux de trouver les voies et moyens pour y parvenir. Sans perdre de vue que rien ne se fait durablement dans le repli sur soi.

Jean-Pierre Béjot

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Vos commentaires

  • Le 24 novembre 2004 à 18:14 En réponse à : > Cameroun : la victoire de Paul Biya pose plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions

    Mr Bejot, vous faites montre de beaucoup de culture hélas...légère.
    Il y a du tout dans votre analyse de la situation politique et sociale au Cameroon.

    D’abord les mathématiques ; 2004-1982 ca fait bien 22 ans et non 32. Et puis Biya prete serment le 06 Novembre 1982 et non le 04/ novembre. Qu’importe cette différence de deux jours vous diront les lecteurs burkinabés.

    Quand on écrit des articles pour plaire à Mr Compaoré et compagnie, on est tout excusé d’avance tant que l’on a pris la peine de leur ce qu’ils souhaiteraient entendre.
    C’est l’une de causes de la chute du roi Christophe. -entendre ce que l’on aimerait- Message destiné à qui de droit.

    On ne refait pas l’histoire ; Le Cameroon a formé un brillant africain que le Burkina-faso a lachement assassiné. Quid de la main qui porta le coup fatal ; Elle ne merite que mépris.

    Le burkinafaso abrite des personnes qui revent de prendre le pouvoir par les armes au Cameroon. Nous le savons. Mr Guerandi est sans doute celui que vous voyez pour eviter au Cameroon de sombrer dans tous les maux que vous évoquez.

    Quelle betise ! Je le dis bien quelle betise."il ne reste que les feymen" au Cameroon ?!! Mr Compaoré vous aura sans doute briefé sur ses rencontres avec ces personnes.

    Pour finir, le Cameroon un grand pays inconnu dans le monde ! Vraiment !! Et levotre ? Qu’en est-il ?

    Quand je voyage et que l’on voit mon passeport, en general on me fait un grand sourire. Preuve que l’on sait d’où je viens.

    Je vous salue.

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