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Programme cantines scolaires : Gestion calamiteuse, détournement et des espoirs déçus

Publié le vendredi 15 juin 2012 à 03h04min

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Indignation, frustrations, et par moments la colère au niveau de certaines écoles. A deux mois de la fin des classes, aucun grain de vivres du projet cantines scolaires n’a été servi à ces écoles. Fatigués de scruter les routes pour voir l’arrivée de vivres scolaires, des directeurs d’écoles ont été désagréablement surpris à la livraison du fameux sésame longuement attendu. En dépit du retard accusé dans la livraison des vivres et la très faible quantité, des entorses graves aux textes qui régissent ces cantines scolaires ont été constatées. Dans le Nayala, des directeurs d’écoles ont exprimé aux autorités leurs désapprobations.

Le 04 Mai dernier, les directeurs d’écoles des six circonscriptions d’enseignement de base du Nayala sont invités à Toma, chef-lieu de la province pour enlever les vivres destinés aux cantines scolaires. Ils sont informés que les vivres ont été réceptionnés par les conseillers des circonscriptions d’éducation de base (CEB). Une première dans les procédures de livraison des vivres. Conformément aux textes du projet cantines scolaires, le transport des vivres se fait du magasin central de Dédougou à l’école bénéficiaire. Les CEB ne sont pas habilitées à recevoir les vivres. Cette nouvelle donne, sans information préalablement, posait des inquiétudes et des interrogations au niveau des directeurs d’écoles. Lorsqu’ils se présentent auprès de leur CEB respectives, les appréhensions de départ se sont confirmées. « On savait que les choses n’étaient pas claires », confie un directeur d’école.

En principe, toutes les cantines scolaires sont dotées en riz, haricots et huile. Un barème national fixe les quantités journalières par enfant. Ce barème a été établi par des nutritionnistes que chaque école doit respecter scrupuleusement. Les enseignants ne se doutaient pas d’une modification de ce barème sans avoir été avisés. Ils ont été mis devant les faits, sans un document fixant les nouvelles dispositions. C’est également sur place qu’on leur apprend officiellement, qu’il y’a une rupture de riz dans le magasin central. Par conséquent, les écoles ont été dotées en haricot et huile pour une période de deux mois au lieu de trois du dernier trimestre. Les écoles devraient recevoir trois dotations dans l’année scolaire. Mais depuis le début du programme, certaines écoles ont toujours reçu une dotation unique en fin de classe.

12 kg de haricot pour 400 élèves

En vérité, on ne peut pas dire que les écoles ont été dotées en haricot. Les quantités servies sont très insuffisantes et même ridicules. A Kolan, à 12 kms de Toma, l’école de 400 élèves a reçu 10kg de haricot par jour, l’école de Pankelé 12kg par jour pour 435 élèves. Certaines écoles en ont reçu moins. « Parfois, le nombre de bidons d’huile dépasse les kilos de haricot. Et selon le barème national, le haricot est servi avec le riz. On doit nous envoyer un nouveau barème pour nous protéger, sinon je ne prends pas le risque. » Au regard de cette situation, des directeurs d’écoles ont décidé de ne pas s’aventurer dans la préparation de ces vivres quasi impossible. Ils ont simplement informé leur hiérarchie, ainsi que les parents d’élèves.
Le comble et la suspicion d’un détournement de vivres a été relevé au niveau des bordereaux de livraison.

C’est d’abord au niveau de la réception. Selon les textes régissant la gestion des cantines scolaires, seuls les directeurs d’écoles et le représentant de l’association des parents d’élèves sont autorisés à réceptionner les vivres après des vérifications. Leurs noms figurent en bas de page des bordereaux de livraison. Mais cette fois-ci, ce sont les conseillers qui ont signé pour les directeurs. Et les directeurs crient à un faux et usage de faux. Les conseillers ont engagé leur responsabilité sans les aviser. Le contrôleur provincial du projet cantines scolaires, Jean Marc Toé, est solidaire des directeurs. Il affirme que la présence des parents d’élèves à la réception des vivres est importante. Pourtant, ils n’ont pas été associés. La case réservée pour leur signature est vide. Un conseiller pédagogique, Appolinaire Paré, qui a pris cette responsabilité, est confus et regrette son comportement. « J’ai accepté signer parce que je ne voulais pas laisser le camion repartir avec le peu de vivres. Je sais que je ne suis pas habilité à signer », explique-t-il. Les directeurs d’écoles contestent les observations faites par les différents conseillers sur les bordereaux de livraison qui comportent de nombreuses irrégularités.

Au nombre de ces irrégularités figure la rectification des informations au stylo. « C’est la voie offerte à toutes les tricheries, moi aussi je peux prendre mon stylo et faire de modifications, les parents d’élèves peuvent dire que c’est nous qui avons changé les chiffres », se plaint un enseignant.

Les bordereaux de livraison ont été émis depuis le mois de décembre par la direction centrale à Ouagadougou. Mais ils sont parvenus falsifiés. Ces bordereaux auraient été falsifiés à Dédougou. Le chef magasinier, Bassima Yaro, qui serait le responsable de la falsification des documents, n’a pas souhaité répondre aux questions. « Adressez vous au directeur régional de l’enseignement secondaire de la boucle du Mouhoun, c’est lui qui peut vous répondre », déclare-t-il. Pourtant, selon l’organisation des cantines scolaires, le DR Missa Sora, ainsi que toutes les directions de l’enseignement de base sont des collaborateurs du projet. Il n’est pas habilité à prendre une décision quelconque. Missa Sora apparaissait pourtant comme la pièce maitresse du dispositif dans le Mouhoun. Suite au mouvement de protestation des directeurs d’école, il fait sortir une note.

Cette correspondance invite « les enseignants plaintifs » « à récupérer auprès de leur CEB, la dotation qui leur revient, les parents d’élèves pourront apporter des céréales pour améliorer les denrées reçues », écrit-il. Dans un contexte de crise alimentaire et en période de soudure, n’est-ce pas beaucoup demander aux parents ? Les directeurs affirment que ce sont les récoltes des parents qui ont alimenté les cantines pendant toute l’année. « Leur demander encore des céréales, c’est trop », regrette un enseignant. Le DR refuse aussi que le coût de transport des vivres soit supporté par les parents d’élèves alors que cela a été prévu par le projet. D’ailleurs le chef de projet a demandé aux CEB des explications. « Les vivres doivent être déposés à l’école », soutient-il. Alors que le DR parlait de rupture de stocks, les écoles qui avaient été exclues des bénéficiaires ont été ravitaillées suite à la pression du haut commissaire du Nayala, solidaire des directeurs d’écoles.

Que sont devenus les 25 milliards ?

Selon les directeurs d’écoles, la situation n’est pas nouvelle. L’année précédente, les vivres sont arrivés en fin d’année. Les écoles n’ont jamais été dotées toute l’année comme le préconisent les textes du programme cantines scolaires. Pourtant, ce programme « une école, une cantine scolaire » avait suscité de nombreux espoirs dans les campagnes. Le gouvernement annonçait la mobilisation de « 25 milliards pour réaliser une couverture de 100% des écoles ». Mais les espoirs ont été vite déçus. La distribution de ces vivres est aussi discriminatoire. Certaines écoles n’ont jamais été bénéficiaires et les périodes de couvertures varient en fonction des écoles et des provinces. « Les écoles de la ville de Toma et les écoles sur les grands axes ont été servies très tôt pour les éventuels contrôles », affirment des enseignants.

Mais l’attitude des éducateurs n’a pas été appréciée par les directeurs régionaux et provinciaux. « C’est le haut commissaire et l’inspecteur qui ont été solidaires avec nous, le directeur provincial a affirmé qu’il ne va pas louper les directeurs plaintifs. », poursuit celui-ci. Au-delà de la quantité des vivres très insuffisante, les directeurs d’écoles affirment que l’important est de se protéger. Tout manquement grave aux textes est sévèrement puni. Pour un sac de riz détourné ou perdu, le directeur d’école paie une pénalité de 40 000f cfa. Des enseignants sont passés devant le conseil de discipline pour mauvaise gestion. « Nous avons vu un enseignant en conseil de discipline pour un manque de 17kg », confie Jean Marc Toé. Au lancement du projet cantines scolaires, l’ex ministre de l’enseignement de base avait mis en garde ceux qui seraient impliqués dans la gestion de ces vivres. « Les détournements, les vols, la mauvaise gestion des vivres seront sanctionnés ». Les actes vont-ils suivre les paroles ?

Franck Régis Tapsoba

MUTATIONS N. 10 de juin 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)

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Vos commentaires

  • Le 15 juin 2012 à 11:50, par rodriguez En réponse à : Programme cantines scolaires : Gestion calamiteuse, détournement et des espoirs déçus

    faire confioance aux institutions, faire confiance aux institutions...chrrr. si le gouvernement va que s’arrêtent les manifs ponctuels, il doit ètre attentif à tout, comme tout gouvernement soucieux de son peuple. le peuple burkinabè a bien compris que pour avoir gain de cause, il faut sortir chauffer sinon personne vous regarde !

  • Le 15 juin 2012 à 17:45, par L’indigné En réponse à : Programme cantines scolaires : Gestion calamiteuse, détournement et des espoirs déçus

    J’ai jamais compris le MENA en matière de cantines scolaires. Comment comprend l’approvisionnemnt des écoles au dernier trismestre de l’année scolaire ? Les appels d’offres se font courant janvier et on s’étonne que les bénéficiaires se plaignent. J’ai vraiment pitié pour les élèves des brousses qui vont 4 à 10 km pour l’école, et qui y passent toute la journée sans espoir d’avoir un repas à midi. Le primaire c’est vraiment le talon d’achile du régime compaoré. Pauvre pays....

  • Le 15 juin 2012 à 18:21, par Le Chat En réponse à : Programme cantines scolaires : Gestion calamiteuse, détournement et des espoirs déçus

    Cela fait la deuxiéme fois que je lis un article sur la gestion de la cantine scolaire. Je me demande pourquoi faire des écrits dans les journaux pour dénoncer une mauvaise gestion. Il y ades voix pour resoudre ces genres de questions.
    J’ai le sentiment que les intéressés veulent crouler quelqu’un, sans pour autant se démasquer.
    D’ailleurs qui ne s’enrichit pas avec cette cantine scolaire. Du gestionnaire au directeur d’école jusqu’aux APE ou comités de gestion, et les cantinières tous détournent .

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