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MICHEL CAMDESSUS : « Les inégalités sont de plus en plus inacceptables en Afrique »

Publié le mercredi 30 mai 2012 à 02h37min

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Michel Camdessus, ancien Directeur général du FMI, et membre de l’Africa Progress Panel. Ce groupe d’éminentes personnalités produisent chaque année un rapport sur les progrès en Afrique. Le 11 mai dernier, l’Africa Progress Panel a lancé son Rapport 2012 sur les progrès en Afrique au World Economic Forum sur l’Afrique à Addis Abeba. Avec Michel Camdessus, nous revenons sur les enjeux de ce rapport et les perspectives de développement pour le continent.

« Le Pays » : Quels sont les motifs d’espoir du continent selon le Rapport 2012 de l’Africa Progress Panel sur les progrès en Afrique à un moment où le monde traverse une crise financière ?

Michel Camdessus : La raison d’être du rapport est de souligner les progrès et obstacles aux progrès sur le continent dans les domaines qui requièrent le plus d’attention car ils affectent directement les populations. Le rapport 2012 souligne notamment des avancées économiques, politiques et sociales. Au niveau économique, le taux de croissance du continent affiche un solide 5% et il est prévu que dans les deux prochaines années, ce taux continue de se renforcer. L’Afrique a d’ailleurs montré une grande résilience à la crise et alors que l’Europe, premier partenaire commercial du continent, peine à redresser son économie, l’Afrique, elle, s’est engagée sur le chemin de la reprise. Enfin les investissements directs étrangers sont en hausse et les politiques commerciales sont de plus en plus favorables aux investissements.

Sur le front de la pauvreté, il est à noter que des progrès très encourageants ont été accomplis, notamment au niveau des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en matière d’éducation, de santé maternelle et infantile et dans la lutte contre le sida et le paludisme. Au niveau politique, la démocratie s’enracine résolument. J’aime d’ailleurs à souligner qu’il y a eu plus d’élections en Afrique en cette année 2011 que jamais et qu’une conscience politique citoyenne se généralise de proche en proche, poussant les gouvernements à des attitudes plus responsables, même si elles s’expriment parfois dans les revendications sociales qui ont secoué le continent.

Le rapport de l’Africa Progress Panel est très attendu chaque année, mais avez-vous l’impression qu’il impacte les décisions des gouvernants ?

Comme vous le signalez, la légitimité du rapport de l’Africa Progress Panel n’est plus à prouver et il a maintenant valeur de référence. Le rapport s’adresse tant aux dirigeants africains qu’aux gouvernants des pays partenaires du continent, mais il émet également des recommandations que la société civile et tous les acteurs du développement peuvent s’approprier et adapter à leur contexte national. C’est l’action concertée de tous ces acteurs qui permet de faire avancer l’Afrique vers des perspectives plus prometteuses. Notre rôle, à nous, membres du Panel, est d’apporter les recommandations de ce rapport aux dirigeants et décideurs politiques et de travailler avec eux à l’élaboration de plans d’actions nationaux permettant de les mettre en œuvre. Pour prendre un exemple récent, ceci m’a personnellement amené, lors du Forum mondial de l’eau à Marseille, de plaider auprès de l’ensemble de la communauté mondiale le refinancement des facilités de la Banque Africaine de Développement pour l’accès et l’assainissement de l’eau, en particulier dans les zones rurales les plus déshéritées d’Afrique.

La démographie galopante sur le continent ne plombe-t-elle pas les initiatives de développement ?

La hausse démographique doit être un atout pour l’Afrique et la jeunesse de sa population une force. Cependant, si les dirigeants échouaient à générer une croissance équitable et inclusive, il se pourrait qu’un désastre démographique se profile à l’horizon, caractérisé par un taux élevé de chômage des jeunes, des mouvements sociaux et des émeutes de la faim. C’est pourquoi je le rappelle, la création d’emplois, la formation professionnelle, la justice et l’équité sont des aspects fondamentaux du développement du continent pour assurer une croissance durable et partagée qui bénéficie à tous les Africains.

Certains indices (PIB, IDE, taux de croissance des économies...) sont favorables au continent, mais ne sont pas suffisants pour lutter contre la pauvreté ; qu’est-ce qu’il faut faire pour sortir de ce ronronnement ?

S’il est vrai qu’à l’échelle du continent le bilan est globalement positif du côté des chiffres, il y a un revers humain à la médaille de ce succès économique. Dans le rapport, nous insistons sur ce point : les inégalités sont de plus en plus inacceptables, les progrès sont lents et inégaux et trop de personnes sont laissées pour compte. J’irais même jusqu’à avancer que les inégalités croissantes et la pauvreté persistante constituent un frein invisible à la croissance, qui - s’il n’est pas supprimé- risque fort de compromettre les récentes avancées du continent de manière dramatique. Nous préconisons donc de donner un très fort coup de collier pour atteindre les OMD en 2015. Réduire les inégalités criantes et injustes permettrait de tirer des millions de personnes de la pauvreté, d’assurer que des pans entiers de la population puissent enfin avoir accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’eau potable et finalement qu’il leur soit donné de participer pleinement à la vie de la société par la création d’emplois dans le secteur agricole notamment.

Nous incitons aussi les dirigeants africains à mettre en place les politiques appropriées pour favoriser l’égalité des chances et assurer que les bénéfices tirés des performances économiques des nations soient redistribués aux populations, à travers l’amélioration des services sociaux, le renforcement des institutions et l’autonomisation économique. Mais pour ce faire, il faut que les partenaires de l’Afrique soutiennent les dirigeants africains dans cette démarche de mise en place des politiques, tout d’abord en honorant les promesses de soutien qu’ils ont formulées, ensuite en donnant au continent la place qu’il mérite tant au niveau des relations commerciales que dans les institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale.

Le rapport 2012 met l’accent sur la création d’emplois, notamment dans le secteur agricole. Vous pensez à l’agrobusiness (nouveaux acteurs) ou plutôt à la formalisation des emplois déjà existants dans ce secteur ? Dans le second cas, l’impact ne sera-t-il pas que dans les chiffres de l’emploi ?

La croissance démographique africaine, ainsi que l’émergence d’une classe moyenne africaine et l’enrichissement des populations suscitant une hausse de la demande alimentaire, le secteur de l’agrobusiness est porteur d’espoir : de nombreux agriculteurs africains pourraient bénéficier de débouchés tant sur le continent que sur les marchés internationaux. Il faut donc que les gouvernements gardent à l’esprit que mettre l’accent sur la création d’emplois dans le domaine de l’agrobusiness permettrait de fournir un travail à une grande partie de la jeunesse en âge de travailler. Mais par ailleurs, vous avez raison de souligner que l’agriculture paysanne est un secteur qui demande des réformes urgentes. L’agriculture étant actuellement la première source d’emplois en Afrique, il est urgent que les gouvernements nationaux placent les petits agriculteurs au centre de leurs politiques avec pour priorité d’augmenter leur productivité. C’est à cette condition seulement que le rendement agricole deviendra source de prospérité dans les milieux ruraux et que de nombreux petits paysans participeront à l’effort national pour la sécurité alimentaire et une croissance économique plus équilibrée.

Une bonne partie du continent fait face à l’insécurité alimentaire d’une année à l’autre. Ce sont les politiques qui ne sont pas adaptées ou les financements qui font défaut ?

L’insécurité alimentaire est un fléau récurrent dans une grande partie de l’Afrique et une tragédie humaine d’autant plus inacceptable que l’Afrique aurait la capacité non seulement de nourrir sa propre population mais aussi une bonne part de la population mondiale. Cependant, de nombreux obstacles liés à la fois au manque de politiques appropriées et au besoin accru de financements sont encore présents dans le domaine de l’agriculture.

Comme je le signalais plus haut, placer l’agriculture au cœur des réformes institutionnelles en vue d’augmenter la productivité des petites exploitations agricoles et d’attirer davantage de financements est une priorité absolue. Je tiens d’ailleurs à rappeler que l’accaparement des terres par les investisseurs et spéculateurs étrangers est une menace majeure posée à l’agriculture du continent et qu’il est urgent que les gouvernements africains considèrent mettre en place une réglementation plus stricte.

Avec les conséquences des changements climatiques, pensez-vous que l’agriculture puisse toujours être le moteur de la croissance économique ? Et dans quelles conditions ?

Le changement climatique représente en effet une grave menace pour l’agriculture africaine. Pour y faire face, l’Afrique doit mobiliser toute la coopération internationale et appeler les pays avancés à financer des stratégies d’adaptation pour mettre en place le plus rapidement possible les infrastructures adéquates, les systèmes appropriés d’irrigation et de gestion de l’eau et pour assurer la conservation des sols. Plus on attend, plus les conséquences seront désastreuses tant dans le domaine agricole qu’au plan humain. C’est seulement dans ces conditions qu’une révolution agricole pourra s’accomplir et remplir toutes ses promesses.


Les recommandations du PANEL

Cette année, elles ciblent six domaines principaux :

La nécessité de tenir la route par rapport aux Objectifs clés du Millénaire pour le développement.
L’amélioration de l’agriculture et la sécurité alimentaire en soutenant les petits agriculteurs.?
L’éducation des enfants et les compétences des jeunes pour qu’ils soient adaptés au monde du travail.
La bonne gouvernance et la démocratie : résoudre les crises au Mali et en Guinée- Bissau et poursuivre les sociétés qui corrompent les dirigeants africains.

• L’emploi, la croissance et le commerce : faire de la création d’emplois un objectif explicite de la politique économique.

• La mobilisation des ressources : Les partenaires au développement et les gouvernements africains devraient s’efforcer d’assurer que le capital humain est mobilisé et que les apports financiers, si l’investissement ou des aides, est utilisé de façon efficace et transparente.?? A propos de l’Africa progress panel ?, présidé par Kofi Annan, le Panel est un groupe indépendant d’éminentes personnalités africaines et internationales, expérimentées et aux compétences variées. Le but premier de l’Africa Progress Panel est de promouvoir le développement de l’Afrique sur trois plans : économique, social et politique.

 ?http://www.africaprogresspanel.org/...

Propos recueillis par Abdoulaye TAO

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 30 mai 2012 à 23:59 En réponse à : MICHEL CAMDESSUS : « Les inégalités sont de plus en plus inacceptables en Afrique »

    L’Afrique désespère !
    Comment peut-on continuer à écouter des gens comme celui-là ?
    Des gens qui ont étranglé l’Afrique dans leur bel âge, par le biais du FMI, du Trésor français et de la Caisse des dépôts et consignations.
    Cet homme a été et est resté un gérant convaincu du système colonial et néocolonial ; un défenseur du Franc des colonies d’Afrique (CFA) contre la souveraineté monétaire des États françafricains.
    Pour les jeunesses d’Europe, ce vieux monsieur, j’allais dire ce colon est un inconnu, un pépé lambda, un anonyme à la retraite.
    Mais ici, le sous développement psychique, combiné à une aliénation intellectuelle font qu’une certaine presse continue à exhiber pour la jeunesse, de vieux retraités blancs qui ont écumé et aidé au pillage de l’Afrique, en modèles de connaisseurs de nos sociétés et de nos problèmes. La honte ! Cette honte douloureusement initiée encore là, par les réseaux maçonniques qui peuplent et caporalisent les sommets des néo-colonies d’Afrique noire.
    C’est vrai qu’entre « frères de lumière », toutes les occasions sont bonnes pour faire des recrues : les conférences, les tables rondes, les journées Rotary-club ou Lions-club servent de moments propices à bourrer le mou d’initiés nègres avec des concepts creux, aliénants, débilitants mais efficaces pour la défense du néolibéralisme prédateur ; et forcément saccageur au plan social.

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