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Les affaires étrangères de la France ne veulent plus entendre parler de « coopération » (1/3)

Publié le lundi 21 mai 2012 à 10h23min

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Pascal CanfinC’est un ministère dont l’intitulé tient en deux mots : « Affaires étrangères ». Exit sa dimension « européenne » affirmée sous Nicolas Sarkozy. Exit également les secrétariats d’Etat aux Affaires européennes, à la Coopération et à la Francophonie, aux Droits de l’homme du premier gouvernement de François Fillon au temps où le racolage de Bernard Kouchner avait été un symbole d’ouverture avant d’être celui de la déconfiture.

Sous Jacques Chirac, le ministre des Affaires étrangères était aussi, dans son intitulé, celui de la Coopération et de la Francophonie. François Hollande et Jean-Marc Ayrault font simple : il y a un ministère des Affaires étrangères qui a sous sa tutelle trois ministères délégués, l’un pour les Affaires européennes, l’autre pour le Développement et le troisième pour les Français de l’étranger auxquels est rattachée la Francophonie. Dans l’affaire, la « coopération » passe à la trappe et ce n’est pas par hasard.

Au Quai d’Orsay, s’installe donc le doyen des membres du gouvernement. En l’occurrence Laurent Fabius. Numéro un de l’équipe gouvernementale mais sans titre de ministre d’Etat (qui n’est attribué à personne). A 65 ans, c’est un homme politique d’expérience et dont la réputation dépasse les frontières de l’Hexagone. Agrégé de lettres, énarque, maître de requêtes au Conseil d’Etat, ministre délégué au Budget dans le gouvernement de Pierre Mauroy à 34 ans, premier ministre de François Mitterrand à 38 ans – le plus jeune que la France ait jamais eu –, ministre de l’Economie et des Finances de Lionel Jospin, député de Seine maritime, président de l’Assemblée nationale à deux reprises, Fabius était incontournable dans le premier gouvernement Hollande (qui, par ailleurs, fait l’impasse sur les « éléphants » du PS et c’est tant mieux) à un portefeuille où la notoriété est une part essentielle de la crédibilité. Après Philippe Douste-Blazy (successeur de Dominique de Villepin sous Chirac), Bernard Kouchner et Michèle Alliot-Marie, le Quai d’Orsay renoue avec un patron (de gauche) qui tient la route tout autant que le précédent patron (de droite) : Alain Juppé. Notons que Fabius et Juppé ont en commun une même apopularité politique tout en ayant été les enfants chéris de leurs mentors respectifs : Mitterrand pour l’un, Chirac pour l’autre.

A un poste ministériel où il n’y a guère de révolutions possibles à mener (et où les ruptures sont toujours illusoires), Fabius rassure les uns sans inquiéter les autres. Chacun sait qu’il n’avait aucune estime pour Hollande avant que celui-ci n’accède au second tour de la présidentielle (on se souvient de son : « Vous imaginez François Hollande, président ? On rêve » ou encore : « Il [Hollande] a le droit d’être candidat [aux primaires socialistes], mais la vraie question, pour lui comme pour tout autre, c’est celle de l’utilité collective d’une candidature »). On n’oublie pas, non plus, sa grande proximité avec Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry – qu’il a soutenu, en 2008, dans sa conquête du PS – : « Vous connaissez ma position, disait-il à Bruno Jeudy et Cécile Amar il y a à peine plus d’un an (Le Journal du Dimanche du 6 février 2011) : il y a deux favoris, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry. Ils ont tous deux de grandes qualités complémentaires. Ils ne s’opposeront pas l’un à l’autre et ce sont tous deux mes amis ». N’étant jamais en position d’être candidat à la présidentielle, Fabius se voulait faiseur de roi. Mais c’est celui qu’il n’attendait pas qui l’est devenu ; et qui, au passage, a déclaré à son sujet : « Nous ne le laisserons pas sans emploi »…

Voilà donc Fabius qui « repique au truc » : ministre des Affaires étrangères. Cet « éléphant » du PS en est aussi un baron qui a son territoire (la « fabusie ») et son clan (les « fabusiens »). Il se trouve désormais en charge des relations extérieures de la France après avoir milité – en vain – en 2005 pour que le PS appelle à voter « non » au référendum sur la Constitution européenne. Battu dans son parti, il triomphera par les urnes puisque le « non » l’emportera (avec 54,68 % des suffrages). Mais dans cette bataille, il aura dû se rapprocher de la gauche du PS (animée alors, notamment, par Jean-Luc Mélenchon) et du même coup s’éloigner de sa direction. Et personne ne lui sera reconnaissant d’avoir eu raison. Désormais, on fait remarquer qu’il prônait le « non » quand le parti se prononcera pour le « oui ». On ajoute que face à Nicolas Sarkozy, lors du débat télévisé de la campagne pour la présidentielle 2012, il n’avait pas été bon (et c’est un euphémisme).

Pour faire bonne mesure, on souligne que sa mission en Chine, en février 2012, s’est « mal passée » et qu’il a dû l’écourter faute d’interlocuteurs significatifs. Dans l’éditorial de son édition de cet après-midi (datée du vendredi 18 mai 2012), Le Monde, évoquant en Fabius un « européen paradoxal », rappelle que « la politique est l’art d’oublier, comme la vie ». Et ajoute : « La politique comme la vie étant une succession de surprises, et l’art de s’en accommoder, il ne serait pas surprenant que M. Fabius soit à la tête du Quai un européen convaincu ». Fabius avait déjà répondu à ce « paradoxe » voici des années, au mitan de la décennie 1980. Il n’était plus Premier ministre (il l’a été de 1984 à 1986) et c’était la première cohabitation (Mitterrand/Chirac). Interrogé par Claude Sérillon pour L’Autre Journal, Fabius disait qu’ayant « le courage et la conviction », il lui manquait le temps. « La politique, disait-il, c’est le temps. On dit, la politique, c’est l’art du possible. Non : ce serait de l’opportunisme. La politique, c’est l’art du temps. Ce n’est pas pareil ».

Les relations internationales, qui ne sont pas la même chose que les « Affaires étrangères », ne sont pas… étrangères à Fabius. C’est lui, d’ailleurs, qui a été chargé du volet international du programme du candidat Hollande. Il partait d’un constat : la diplomatie menée par l’exécutif français sous Sarkozy avait été « assez consternante » (entretien avec Bruno Jeudy et Cécile Amar pour Le Journal du Dimanche du 6 février 2011). « Traditionnellement, ajoutait-il, la politique étrangère fait la force de nos présidents. Là, il y a de quoi être inquiet ». Afrique, Etats-Unis, Amérique du Sud, Chine, Europe, OTAN…, celui que l’on qualifie de chef de file des « gaullo-mitterrandistes » (par opposition aux « néoatlantistes » représentés par Pierre Moscovici), a surfé sur les vieilles antiennes… « gaullo-mitterrandistes » : « La France est un des membres permanents du Conseil de sécurité […] Elle symbolise les droits de l’homme. Quand les peuples se soulèvent contre des dictateurs au nom de la liberté, du pain et de la dignité, on attend des dirigeants français mieux qu’un silence embarrassé ou qu’un communiqué tardif ».

C’est avec les mêmes trémolos qu’il a commenté la victoire de Hollande à la présidentielle 2012 : « Cela faisait longtemps, trop longtemps, que l’on attendait et espérait cette victoire. Mais il y a quelque chose en plus que chacun, qu’il ait ou non voté pour François Hollande, peut ressentir. C’est une émotion démocratique, civique, que l’on éprouve en voyant un peuple qui décide de changer de destin, paisiblement ».

Alain Juppé, quittant le Quai, a la même lecture des mêmes événements « extérieurs ». Il évoque « un choc historique, tectonique, comparable aux révolutions de 1848 ou à la chute du mur de Berlin – celui des « printemps arabes » -. Il y a un peu plus d’un an, nous avons vu les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, les Yéménites, les Syriens braver l’oppression pour crier leurs aspirations légitimes à la liberté et à la dignité humaine » (Le Figaro - 14 mai 2012). Mais, évidemment, le rôle de la France n’est pas perçu de la même façon : pour Juppé « très vite la France a pris la mesure de ce mouvement révolutionnaire et s’est résolument placé en soutien, avec confiance et détermination […] C’est dans cet esprit que nous avons rappelé notre vigilance quant au respect des libertés fondamentales et des droits des minorités, notamment des chrétiens d’Orient. C’est enfin dans cet esprit qu’en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali et en Birmanie, nous avons soutenu sans relâche l’enracinement de la démocratie ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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