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La Suisse prête à « contribuer » à la recherche d’une sortie de crise au Mali

Publié le mercredi 2 mai 2012 à 21h20min

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C’est le quotidien suisse Le Temps qui le laisse entendre dans un mail du mercredi 25 avril 2012 puis dans son édition du vendredi 27 avril 2012. « La question de la contribution suisse aux efforts poursuivis pour sortir le Mali de la crise » a été évoquée par Muriel Berset-Kohen, ambassadeur de Suisse à Dakar (avec attribution pour le Mali mais aussi la Gambie et la Mauritanie) lors de son entretien avec le président de la République par intérim Dioncounda Traoré, le président du Haut Conseil islamique et plusieurs homologues dont les ambassadeurs de France et des Etats-Unis. Berset-Kohen a séjourné au Mali les 17 et 18 avril 2012.

Cette visite faisait suite à l’enlèvement, le 15 avril 2012, à Tombouctou, d’une ressortissante suisse, Béatrice Stockly. Enlèvement imputé à AQMI qui aurait ensuite « cédé » l’otage au groupe salafiste Ansar Dine avant sa libération le mardi 24 avril 2012. La missionnaire bâloise a été transférée aussitôt à Ouagadougou par le général Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier du président du Faso. Diendéré, qui a mené toute l’opération « dans une atmosphère assez tendue », était accompagné, à cette occasion, de deux représentants du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Ce n’est pas la première fois que des ressortissants suisses sont détenus dans la région. En 2003, quatre Suisses faisaient partie du groupe de 32 touristes « disparus » dans le Sahara ; ils seront détenus plusieurs mois dans le Sud algérien par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), ancêtre d’AQMI, dirigé alors par Hassan Hattab. Le 22 janvier 2009 un couple de Suisses sera capturé au Niger par AQMI et transféré au Mali. Werner Greiner va ainsi passer plusieurs mois au Nord-Mali avant d’être libéré, à Gao, le 12 juillet 2009.

En 2003, Berset-Kohen était porte-parole au service d’information du DFAE. Née en 1965, mère de deux filles, elle maîtrise le français, l’allemand, l’anglais, l’italien, l’arabe (qu’elle a appris au Centre culturel français à Paris et perfectionné lors d’un séjour linguistique au Caire) et l’espagnol. Avant d’être nommée à Dakar en 2010 – son premier poste d’ambassadeur après seize années dans la diplomatie – elle était ministre en charge des droits humains et des affaires humanitaires à la mission suisse auprès des Nations unies à Genève. A Dakar, elle préside le Groupe des amis de la francophonie, fonction qu’elle assumera jusqu’à la prochaine organisation du sommet de la francophonie à Kinshasa (12-14 octobre 2012) avec un enthousiasme et une détermination exceptionnels* que l’on rencontre dans les pays minoritairement francophones bien plus qu’en France ou qu’en Afrique dite « francophone ».

La diplomatie suisse connaît bien la situation qui prévaut dans le Nord-Mali. Le Mali est, depuis plus d’un quart de siècle, l’un des principaux bénéficiaires de l’aide suisse au développement. Et cela malgré l’assassinat, le 5 octobre 1994, de Jean-Claude Berberat, le coordinateur du bureau de la coopération suisse au Mali, et de deux de ses collaborateurs maliens. Près de vingt ans plus tard le dossier n’est pas clos (la meilleure preuve en est que Valérie de Graffenried – qui avait été stagiaire à Radio Nostalgie Abidjan en 1996 – vient de signer un papier dans le quotidien suisse Le Temps du 27 avril 2012 sur cette « mort qui a marqué les liens avec le Mali »). La mort de Berberat, « tué par des éléments incontrôlés de l’armée », avait notablement refroidi les relations entre la Suisse et le Mali. D’autant plus que le lieutenant dont le détachement avait été mis en cause dans cette affaire, sera promu capitaine.

L’affaire Berberat a démarré sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré et s’est poursuivie sous celle d’Amadou Toumani Touré. L’un et l’autre avaient des « liens très étroits » avec la DDC, la Direction du développement de la coopération du DFAE qui employait Berberat. ATT, quand il avait joué les médiateurs après avoir cédé le pouvoir à Konaré, avait bénéficié de plusieurs contrats lors de ses interventions en Centrafrique et en Afrique des Grands Lacs. Berne va confier la défense de ses intérêts au Mali à maître Lamissa Coulibaly, exigeant un rapport d’enquête écrit. Mais Bamako, malgré les démarches diplomatiques et juridiques des Suisses, va faire la sourde oreille et en 2001, classera le dossier et déclarera l’affaire « secret d’Etat ». Berne exigera (et obtiendra le 30 juillet 2001) des excuses et la création d’un « prix Jean-Claude Berberat » récompensant le « dialogue intercommunautaire ». Ce prix institué par Konaré, en mars 2002, ne sera jamais mis en œuvre par ATT qui prenait alors sa suite à la présidence du Mali. En 2004, la mère de Berberat refusera une décoration à titre posthume que voulait lui décerner ATT ; mais Berne reprendra sa coopération avec le Mali via un nouveau programme mis en place par Adrian Schläpfer, chef de la coopération bilatérale à la DDC.

Berberat (âgé de 47 ans lors de sa mort) et ses deux collaborateurs maliens ont été assassinés à Niafunke, sur les rives du fleuve Niger, entre Mopti et Tombouctou. Ils y avaient entrepris un programme de sédentarisation des populations Touareg. Au lendemain de l’assassinat du gouverneur de Tombouctou par la « rébellion », les actions menées par Berberat (ainsi, dit-on, que ses jugements sur la politique menée par Bamako face à la « rébellion ») étaient perçues comme une « connivence avec les Touareg ». Berberat, compte tenu de sa connaissance intime du Nord-Mali, reste dans les mémoires de tous ceux qui, en Suisse comme ailleurs, l’ont côtoyé. Il était proche, nottamment, du docteur malien Ibrahim ag Youssouf**, auteur avec l’Américain Robin-Edward Poulton, lui aussi un parfait connaisseur du Mali, d’un texte essentiel et qui garde toute son actualité : « La Paix de Tombouctou : gestion démocratique, développement et construction africaine de la paix », édité en 1998 à… Genève, par United Nations Institute for Disarmement Research (Unidir), organisation intergouvernementale du système des Nations unies qui mène des recherches sur le désarmement, la non prolifération et la sécurité afin de soutenir la « communauté internationale » dans sa réflexion et ses initiatives.

La Suisse, qui n’a jamais été une puissance coloniale, a par contre une longue expérience en matière d’aide au développement (la DDC a été créée au printemps 1961) qui s’est inscrite dans la tradition de l’aide humanitaire résultant de la mise en place du CICR, le Comité international de la Croix-Rouge. La neutralité suisse et la présence de l’Office des Nations unies à Genève font de cette ville une capitale des médiations et des médiateurs (je rappelle que le juriste suisse Nicolas Michel est chargé du différend Gabon-Guinée équatoriale concernant les îles et îlots de la baie de Corisco). Le premier des cinq objectifs de politique extérieure du DFAE est d’ailleurs de « favoriser la coexistence pacifique des peuples ». Berne dispose ainsi de 300 représentations extérieures (ambassades, missions, consulats, bureaux de liaison et de coordination), les deux tiers du personnel du DFAE étant en poste à l’étranger.

* Interrogée par Maguette Guèye Diedhiou et Soumeymane Diam Sy (Le Soleil du 21 mars 2012) sur la question de savoir si la francophonie n’est pas trop culturelle au détriment de sa dimension économique, Muriel Berset-Kohen, affirme : « Je ne crois pas que la culture soit la cerise sur le gâteau de la francophonie […] La culture est un besoin fondamental pour la survie de l’être humain. Je ne suis pas d’avis que toutes les organisations doivent faire la même chose. Est-ce que ce serait un gain que la francophonie soit une espèce d’union qui s’occupe de tous les domaines ? Est-ce que c’est réaliste d’y penser, compte tenu de l’étendue géographique de notre espace ? Est-ce que, économiquement, cela a un sens ? Il reviendra aux responsables de répondre à cette question. Et je ne suis pas persuadée que cela soit la voie la plus directe pour arriver vers l’autre objectif du développement ».

** Il semble que, dès le mercredi 1er février 2012, les maisons d’Ibrahim ag Youssouf et de l’ancienne ministre de l’Artisanat Zakietou Walet Halatine, à Kati, non loin de Bamako, aient été pillées et incendiées ainsi que plusieurs résidences et établissements appartenant à des familles d’origine Tamasheq (Touareg), sans que ni la gendarmerie ni l’armée n’interviennent.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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