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Paramanga Ernest Yonli, président du Conseil économique et social du Burkina Faso. Recasage d’une « élite » ou relance d’une institution de la République ? (3/3)

Publié le lundi 30 avril 2012 à 15h40min

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Si le bilan gouvernemental de Paramanga Ernest Yonli a été plutôt positif, des tensions sont apparues qui traduisaient la détérioration de la conjoncture sociale. Yonli, dans son dernier Discours sur la situation de la nation, prononcé le 29 mars 2007 devant l’Assemblée nationale, ne manquera pas de rappeler que les « événements des 20 et 21 décembre dernier [2007] ont entaché la crédibilité de nos forces armées et de sécurité et sont un souvenir traumatisant pour nos populations » (des affrontements armés entre des militaires et des policiers avaient fait plusieurs morts à Ouaga et avaient obligé les autorités à reporter le sommet de la Cédéao qui devait se tenir dans la capitale burkinabè).

Il n’avait pas manqué non plus de mettre l’accent sur la situation de la justice. « L’Etat de droit demeure encore aux yeux de nombre de nos concitoyens un projet à réaliser. Ils restent influencés dans leur vécu quotidien et dans leur perception des réalités par des principes et des règles de la société traditionnelle. Du point de vue des mentalités dominantes, le « Burkina des villes » est un condensé du « Burkina des villages ». Cette situation explique les tendances naturelles et spontanées à recourir à la justice privée et aux règlements de comptes personnels, comme modes de solution aux différends et aux conflits sociaux ». Cinq ans plus tard, on se dit que tout cela n’a pas beaucoup évolué… !

Il y a vingt ans, le Burkina Faso était un pays doublement enclavé : géographiquement et politiquement. Désormais, comme le soulignait Yonli en 2007, « le pays a conforté sa position de leadership régional », l’ambition étant de « devenir un pôle économique majeur en Afrique de l’Ouest ». Pour faire bonne mesure, il rendra hommage aux « qualités exceptionnelles » de Blaise Compaoré. C’est fort de ces réussites du chef de l’Etat, des acquis du Burkina Faso et de son bilan au cours des quasi huit années qu’il aura passées à la tête du gouvernement (l’équivalent de deux mandats présidentiels aux Etats-Unis !) que Yonli va débarquer à Washington au printemps 2008 (il a été nommé le 22 janvier 2008). Il y est ambassadeur dans un contexte marqué par la perspective de l’arrivée prochaine d’un nouveau patron à la tête de l’exécutif US, sans que l’on sache encore s’il s’agira d’un démocrate ou d’un républicain, et alors que le Burkina Faso siège au Conseil de sécurité des Nations unies.

Il y prendra la suite de Tertius Zongo (nommé Premier ministre à Ouaga). Qui avait fait le maximum pour que le Burkina Faso ne souffre plus, outre-Atlantique, de la mauvaise « perception » liée à la proximité de Compaoré avec Charles Taylor et Jonas Savimbi qui, après avoir été dans « les petits papiers » de l’administration US, avaient été brutalement abandonnés. Le lobbying de Zongo aura été payant : Compaoré sera reçu, à la mi-juillet 2008, à la Maison-Blanche (où officie encore George W. Bush) et le Burkina Faso va être éligible au Millenium Challenge Corporation (MCA) - qui lui permettra d’avoir accès à 481 millions de dollars - tandis que la coopération militaire entre Washington et Ouaga sera dynamisée. Yonli va donc débuter sa mission sous les meilleurs auspices. Yonli va rester à Washington jusqu’au 31 août 2011. Il y est remplacé par Seydou Bouda qui arrivera dans la capitale US le jeudi 1er septembre 2011.

Paramanga Ernest Yonli, « économiste-chercheur », a donc été nommé président du Conseil économique et social (CES) lors du conseil des ministres du mercredi 18 avril 2012. La promotion à la présidence de cette institution d’un ancien Premier ministre (et non des moindres) dont on dit qu’il pourrait envisager d’être candidat à la présidence du Faso, est, tout à la fois, un « recasage » mais aussi le signe de la volonté d’impulser un souffle nouveau à une institution de la République qui semble en manquer cruellement. C’est le lot, d’ailleurs, de bien des CES. Et la France n’échappe pas à la règle. Le CES y a été créé par Charles De Gaulle, en 1958, parce que les institutions précédentes, qui avaient la même ambition d’être un organe consultatif socioprofessionnel (le Conseil national économique en 1925, le Conseil économique en 1946) « se déployaient dans le vide ».

Mais il est toujours des voix pour dire que le CES « ne sert à rien » et qu’il « vaudrait donc mieux le supprimer ». Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, a ainsi affirmé (cf. LDD Spécial Week-End 0464/Samedi 20-dimanche 21 novembre 2010) : « C’est un rite, qui ne rebondit sur rien et qui ne transmet rien de ce qu’il entend. Oui, nous avons besoin de démocratie participative […] mais non, ce n’est pas au CESE que cela fonctionne ». Jean-Paul Delevoye, le président du CESE, au moment de sa nomination, a d’ailleurs exprimé sa volonté de « rompre l’isolement du CESE et de renouer des liens avec les décideurs, les citoyens et les médias ».

Mais les premiers dix-huit mois de son mandat ne semblent pas laisser penser qu’il y soit parvenu. Il est vrai que les CES sont, par nature, des institutions particulièrement hétérogènes du fait de leur composition. Le CES du Burkina Faso compte dix membres nommés ès-qualité et une flopée de représentants des administrations, des professions, des organisations professionnelles, de l’éducation, de l’enseignement, de la santé, de la promotion de la femme… On y trouve des fonctionnaires, des médecins, des notaires, des architectes, des professeurs, des éleveurs, des sportifs, etc. et une bureaucratie pas négligeable (un secrétariat général + 5 départements dont les chefs sont nommés par décret pris en Conseil des ministres). C’est dire que la productivité d’une telle structure relève de l’illusion. Sauf à prouver le contraire.

Cependant, tout laisse penser que Yonli aura à cœur de faire du CES une institution réellement opérationnelle. Quitte à en changer le mode de production. Son parcours, son âge, ses ambitions… militent en faveur d’un CES qui soit visible et lisible sur la scène politique burkinabè. Un an après les « mutineries de 2011 », les préoccupations économiques et sociales des Burkinabè sont nombreuses dans un environnement ouest-africain particulièrement délicat. Beaucoup de questions se posent ; des réponses sont apportées. Mais il manque encore dans ce pays la mise en action d’une réflexion. Le Burkina Faso souffre de deux maux : absence de programmation ; absence de suivi. Bien des chantiers économiques et sociaux sont lancés, mais on a toujours du mal à les faire aboutir parce que les acteurs ne vont pas au bout du processus. Et qu’entre le pouvoir politique (qu’il soit exécutif ou législatif) et la population, il n’y a pas de relais ; rien d’autre que de la « communication ».

A l’instar de l’économie, le politique et le social appartiennent de plus en plus à la sphère de l’informel : leurs institutions « se déploient dans le vide ». Certes, cela occupe du monde ; mais l’agitation n’est pas le développement ! Le CES, selon moi, à vocation à mettre le doigt (et à appuyer fort, très fort) sur les dysfonctionnements de la société. Mais ce ne sont pas ceux qui profitent (consciemment ou inconsciemment) de ces dérives économiques et sociales qui peuvent le faire. Pour que le CES ait un sens, il faut qu’il soit une structure jeune et dynamique et non pas une assemblée de notables qui entendent figer le monde car le changement leur semble effrayant.

La « Révolution du 4 août 1983 » a été l’œuvre d’hommes et de femmes de 30-40 ans. Les jeunes d’aujourd’hui sont mieux formés que ne l’étaient leurs aînés. Et ils appartiennent à une société dont la volatilité économique et sociale (sans parler de la volatilité technologique) a pris une ampleur exceptionnelle. Ils sont bien plus en adéquation avec le monde contemporain que nous ne l’étions à leur âge. Comment peut-on penser que nous pouvons leur construire un avenir si, déjà, nous ne maîtrisons pas ce qui fait leur présent ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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