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Cheick Modibo Diarra, Une autre image de l’Afrique (2/3)

Publié le mardi 24 avril 2012 à 11h20min

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C’est une nomination qui ne manque pas d’étonner. Qui résulterait, dit-on, d’une proposition des putschistes avalisée par la Cédéao (à moins que ce ne soit l’inverse). Voilà donc Cheick Modibo Diarra propulsé au poste de premier ministre d’une République du Mali en ruine. Une nomination en rupture.

Certes, Modibo Diarra était candidat à la présidentielle 2012 et a même fondé, pour cela, le 6 mars 2011, le Rassemblement pour le développement du Mali (RPDM). Mais s’il a été une star mondiale quand il appartenait à la NASA (sa promotion médiatique, orchestrée par le Français Olivier de Goursac, correspondant pour la France du Mars Education & Public Outreach Office, s’inscrivait dans le cadre US de la promotion des missions martiennes auprès du grand public), il n’est pas une tête d’affiche politique au Mali. Loin de là ; même si sa famille occupe une place privilégiée dans la sphère des élites maliennes*.

Cheick Modibo Diarra, Premier ministre de la République du Mali, c’est quand même autre chose que les branquignoles à peine galonnés qui se sont autorisés à prendre le pouvoir à la suite de la retentissante faillite des politiques ; ceux au pouvoir comme dans l’opposition. Il faut reconnaître que le scénario malien (« rébellion » à la conquête des villes, coup d’Etat militaire contre le président sortant, partition du territoire…) a quelque chose d’ubuesque ! « Un astrophysicien à la tête du gouvernement malien » (titre du quotidien La Croix, ce matin, jeudi 19 avril 2012), cela ne peut que réjouir les médias « occidentaux » qui avaient même oublié qu’un Malien pouvait être astrophysicien (mais n’oublient pas qu’il est le gendre de Moussa Traoré, « militaire renversé en 1991 après vingt-trois ans de pouvoir autoritaire »). « Un homme singulier, un homme providentiel », s’enthousiasme Tanguy Berthemet dans Le Figaro (19 avril 2012), tandis que Cartherine Tardrew, dans Le Parisien (19 avril 2012), évoque « un cerveau de la NASA ».

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire [et que] jamais il ne s’élance vers l’avenir ». La nomination de Modibo Diarra renvoie au « discours de Dakar » prononcé par Nicolas Sarkozy, à Dakar, le 26 juillet 2007. Et le fait qu’elle intervienne au lendemain du départ du Palais de la République d’Abdoulaye Wade (qui n’avait pas bronché à l’occasion de ce discours), et à la veille de celui (attendu et espéré par une majorité de Français) de Sarkozy, est un symbole. Sans oublier que le Mali avait été en pointe dans la dénonciation de ce discours aberrant**. Faut-il rappeler aussi que le logo des éditions Présence africaine, créées par un Africain en 1947 pour publier les textes des intellectuels africains, représente un masque dogon.

La diaspora africaine, à travers le monde, est riche de ces personnalités non seulement bien formées mais possédant un réel savoir-faire. Modibo Diarra n’est pas une exception ; il ne l’est que dans la mesure où il est une des rares personnalités d’envergure de cette diaspora à se trouver en charge du destin de son pays (n’oublions pas que c’est aussi le cas d’Alassane D. Ouattara) sans jamais avoir exercé, jusqu’à présent, un quelconque mandat politique. Et c’est la question qui se pose : une tête bien faite et bien pleine est-elle à même de résoudre les problèmes qui se posent au Mali : réhabiliter la République, refonder l’Etat, reconstruire la Nation ? Ce n’est sans doute pas suffisant ; mais on peut penser qu’ira plus loin, pour paraphraser Michel Audiard, un intellectuel qui marche qu’un con qui reste assis.

Avec Modibo Diarra, les journalistes et les commentateurs « occidentaux » sont restés, généralement, dans l’anecdotique. « Voilà un nègre pas trop con qui serait l’exception qui confirme la règle… ». Il n’y a que Dominique Bastien, dans le quotidien économique Les Echos (8-9 juillet 2011), pour avoir été plus loin et avoir pris en compte que « l’Africain de la NASA » était d’abord un citoyen malien (même s’il a aussi la nationalité US) capable de parler d’autre chose que des TIC ou de la conquête de Mars. On peut ne pas partager son point de vue, on peut le trouver trop élitiste, on peut craindre son ancrage libéral « Made in USA », on peut redouter ses illusions volontaristes, etc., mais on ne peut nier qu’il a une « vision du Mali » (qu’il présente ainsi sur le site – particulièrement décevant par ailleurs – de son parti, le RPDM : « Notre vision du Mali est celle d’un pays qui se projette une image positive de lui-même dans un futur à moyen et long terme, avec comme option, la libre entreprise dans le domaine des affaires [sic] fondée sur une répartition équitable des richesses nationales et la récompense du mérite »).

Modibo Diarra, s’il avait une vision efficiente et pas seulement « convenue » de son site RPDM, aurait repris, in extenso, l’entretien qu’il avait accordé, voici moins d’un an, à Bastien (qui a l’avantage, en tant que journaliste économique, de bien connaître l’Afrique). « Nous, Africains, dit-il, avons renversé des pouvoirs, mais les nouveaux ont accaparé nos révolutions, manipulé les Constitutions pour se maintenir en place, et formé des groupes encore plus rapaces que les premiers ». Il dit encore : « Il y a une élite qui est en train d’émerger : les moins de quarante ans. Ils me fascinent. Ils ont reçu une éducation à travers le monde et en ont ramené un savoir-faire, n’ont aucun complexe, ni vis-à-vis d’eux-mêmes ni vis-à-vis de leur environnement. Ils sont rigoureux, sans illusions, très réalistes. Et puis il y a nous, les autres, la première génération post-indépendance à avoir bénéficié d’une éducation très solide. On est revenu au pays avec des diplômes, on a eu des jobs et rien à prouver. On est devenu fonctionnaire d’Etat, on a composé avec n’importe quoi, avec les régimes en place. Tous les maux de l’Afrique viennent en fait de ma génération. Nous avons été des acteurs passifs qui ne voyaient pas ce qui se passait autour de nous, n’avons pas assumé nos responsabilités envers nos pays et nos populations. L’Afrique a besoin de militants, de gens qui aiment la cause de l’Afrique et se battent pour celle-ci. Ma génération a failli en ce domaine. La nouvelle élite est intègre, rigoureuse dans sa gestion, car elle s’est construite dans le feu de la bataille, dans des marchés saturés, avec stoïcisme. C’est cette élite qui va sauver l’Afrique ». On ne peut que partager le diagnostic même si on reste circonspect sur les qualités de la nouvelle génération (attendons, pour juger, qu’elle soit passée par « le corridor des tentations »).

C’est, dit-on, au pied du mur que l’on juge le maçon. Voilà Modibo Diarra, contre toute attente, en posture – dans un contexte particulièrement délicat – de mettre en action des décennies de réflexion.

*Le père de Modibo Diarra, Moussa Diarra, militant syndicaliste proche du Parti progressiste soudanais (PPS) de Fily Dabo Sissoko, a été déporté à Kidal dès 1962. Il y restera dix ans. Ses frères seront détenus au bagne de Taoudenni. Il a eu cinq fils. Sidi Sosso s’est illustré comme « l’incorruptible » lorsqu’il était vérificateur général de l’Etat (2004-2011). Boubacar est demeuré à Ségou pour gérer les affaires familiales. Cheick Sidi, diplomate, est conseiller spécial Afrique du secrétaire général des Nations unies. Cheick Hamallah est urbaniste à la mairie de New York. Cheick Modibo est le dernier garçon de la fratrie.

** Adame Ba Konaré, historienne et ex-Première dame du Mali, a mobilisé les intellectuels africains pour contrecarrer le « discours de Dakar ». Cela s’est traduit notamment par la publication du « Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy » (éditions La Découverte – Paris, 2008). L’ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali, Aminata Traoré, une Bambara comme Modibo Diarra, s’était fait remarquée, dès 2005, par sa « Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général » (éditions Fayard – Paris, 2005). Il s’agissait alors de Jacques Chirac. Elle a remis le couvert, cette fois contre Sarkozy, au lendemain du « discours de Dakar », en publiant « L’Afrique humiliée » (éditions Fayard – Paris, 2008), un ouvrage préfacé par le Sénégalais Cheikh Hamidou Kane.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 24 avril 2012 à 16:11, par peace for my country En réponse à : Cheick Modibo Diarra, Une autre image de l’Afrique (2/3)

    je suis très content pour cette nommination pour une personne de sa gabarie. mais je m’enquiète pour la formation qu’il a reçu( astro physicien). on remarque que ceux qui ont fait des etudes scientifiques surtout dans le domaine des maths et des physiques ont du mal à gerer des hommes. ils ont habituellement des positions tranchées et communique moins. je peux me tromper mais je ne me rappelle pas avoir deja entendu parler d’un chef de gouvernement avec tel CV. Ma peur va jusqu’au president par interim qui est lui même un mathematicien. ils ont à prouver au reste du monde et à leur peuple qu’ils sont à la hauteur. pris individuellement ils sont des reference dans leur domaine.
    Dieu sauve le Mali

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