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Cheick Modibo Diarra, Une autre image de l’Afrique (1/3)

Publié le lundi 23 avril 2012 à 15h15min

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Sera-t-il l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ? Dans l’état de décomposition dans lequel se trouve le Mali, on peut effectivement se poser la question. Mais, « out of Africa », la nomination de Cheick Modibo Diarra au poste de premier ministre de la République du Mali (enfin, de ce qu’il en reste), est une bonne chose pour tous ceux qui ne supportent plus de voir des militaires sans charisme et sans programme, et passablement ignares, s’ériger en chefs d’Etat africains parce qu’ils ont la clé de l’armurerie.

Cheick Modibo Diarra c’est quand même une autre image de l’Afrique subsaharienne même si elle est plus « mondialisée » qu’africaine. Né et élevé au Mali dans la tradition, formé en France et aux Etats-Unis, employé par la NASA puis par Microsoft - deux institutions qui sont des icônes technologiques « Made in USA » - installé en Afrique du Sud, à Jo’Burg, Modibo Diarra est, incontestablement, l’Africain « non politique » le plus connu de la planète. A tel point, d’ailleurs, que beaucoup le considèrent exclusivement comme un Afro-Américain (il a la nationalité américaine) ! Et, au Mali, sa notoriété ne dépasse pas le cercle des élites. A tel point que sa candidature à la présidentielle 2012, à la suite de la fondation du Rassemblement pour le développement du Mali (RPDM), et son entrée en campagne sur le terrain, voici tout juste un an, n’ont pas suscité un fol enthousiasme.

« Je suis Cheick Modibo Diarra, de la famille Diarra de Ségou, fils de Moussa Diarra descendant de Ngolo*, de Monzon, de Tiéfolo, de Weta Ba, de Kirango Ba. Je suis héritier de gros travailleurs de la terre qui m’ont inculqué le culte du travail et l’amour des travaux champêtres ». Modibo Diarra, « homme mondial », aime à rappeler son origine africaine. Dans son autobiographie (« Navigateur interplanétaire », éditions Albin Michel – Paris, 2000), il dit : « L’une de mes plus grandes chances est d’être né précisément dans ma famille ». C’était le 21 avril 1952 – joyeux anniversaire, Monsieur le Premier ministre : il va fêter ses soixante ans dans quelques jours ! Une famille malienne, plus encore bambara.

Tardivement scolarisé, il obtiendra son bachot au lycée technique de Bamako et, dans le même temps, une bourse d’étude en France. Il intégrera une « prépa » au lycée technique de Cachan puis l’université Pierre et Marie Curie (UPMC), qui venait tout juste d’être ouverte, pour y étudier, notamment, la mécanique analytique. Sans grande conviction. Il a vingt ans et le temps devant lui. Un temps qui finira par s’écouler. En 1979, lassé de tourner en rond du côté de Jussieu, il ira voir ce qui se passe à Washington et rejoindra, quelque peu par hasard, l’université Howard, dite « Black Harvard » (il figure désormais au panthéon de cette université).

Il y étudiera l’ingénierie aérospatiale, ce qui lui permettra d’être recruté, en 1984, par Eugène Bollman, chef des missions du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA. « Son CV avait retenu mon attention parce que Cheick appartenait à une minorité et avait en même temps les qualifications, ce qui est rare. J’ai immédiatement aimé sa créativité et son humour ». Mobido Diarra se réalisera bien plus aux Etats-Unis qu’en France. Dix années de navigation interplanétaire. Après Vénus et Jupiter c’est la planète Mars qui va le propulser sur le devant de la scène. Engagé dans les programmes Mars Observer et Mars Pathfinder, il va être promu directeur du programme éducatif Mars Exploration Program Education and Public Outreach de la NASA. Il s’agissait de valoriser les opérations de la NASA auprès des jeunes et du grand public.

Modibo Diarra va devenir une star. Un reportage de la chaîne publique de télévision, France 2, va propulser son image et son aventure partout dans le monde francophone. « L’as des astres » titrera Libération (jeudi 3 février 2000) qui lui consacre une pleine page sous la signature d’Emmanuelle Richard. « Un homme, trois cultures, dont aucune n’est reniée », écrira Hervé Ponchelet dans Le Point (18 février 2000). « L’Africain » a épousé Assa, la fille de Moussa Traoré, le 2 octobre 1993, à Las Vegas, se délecte du saxophone de son ami, le Camerounais Manu Dibango, palabre des nuits entières en sirotant son thé à la menthe. « L’Américain » emporte dans son brown bag son sandwich et son Coca pour son déjeuner, vit entouré d’ordinateurs, dont un calé, en permanence, sur CNN. « L’Européen » fume cigarette sur cigarette, se lasse des interdits – en la matière comme en d’autres – d’une Amérique quelque peu « coincée », attend avec impatience de déguster des plats « à la française » et rêve encore de faire « les quatre cents coups ». « Je connais la bonne formule, dira Modibo Diarra. L’Afrique, sans renier sa culture, doit combiner la générosité de la France et le pragmatisme américain ».

Il va alors entreprendre de parcourir le continent pour y porter la bonne parole. « Tout développement passe par l’éducation des ressources humaines. Parfois, il vaut mieux être un peu affamé, juste manger pour subvenir à ses besoins, et investir le reste dans la culture, dans le futur. Tant qu’on ne le fera pas, on restera dans un cercle vicieux où tout ce qu’on trouve dans la journée, on le mange le soir et on dort – mieux certes, mais il faut toujours recommencer le lendemain […] C’est le savoir-faire qui manque en Afrique. On a des gens instruits, éduqués, mais peu de savoir-faire » (entretien avec Molly Kingué – Africa International, novembre 1998).

Modibo Diarra a des ambitions pour l’Afrique. Il est à la recherche d’un « sujet fédérateur » qui, à l’instar de ce qu’on été le charbon et l’acier pour fonder l’intégration européenne, « permette aux gens comme moi de nous intéresser au développement des technologies ». Il milite en faveur d’une « planification stratégique » et du multiculturalisme qui a été le fondement de la réussite des Etats-Unis. « Les Africains sont prêts à se sacrifier. Depuis l’indépendance, ils l’ont toujours fait. Mais il faudrait qu’ils sachent pourquoi […] Si on mange à sa faim, mais qu’on n’a aucun espoir de trouver un travail, même si on a la chance de pouvoir étudier, à quoi ça sert ? ». Pour concrétiser ses idées, il va créer la Fondation Pathfinder pour l’éducation et le développement en Afrique, développer un laboratoire de recherche sur l’énergie solaire à Bamako, organiser le Sommet africain de la science et des nouvelles technologies (Sasnet), présider l’Université virtuelle africaine de l’Union africaine…

Le 20 février 2006, il sera nommé par Bill Gates à la présidence de Microsoft Afrique dont le siège se trouve en Afrique du Sud. Il s’enthousiasmera pour les nouvelles technologies qui, dit-il, peuvent révolutionner le développement du continent. « Si tous les Africains pouvaient se rallier à nous [Bill Gates + Modibo Diarra] pour nous donner l’opportunité de traduire cette passion [pour l’Afrique] en action, au lieu de se laisser envahir par le scepticisme, cela ferait avancer beaucoup de choses. Je pense que les chefs d’Etat l’ont bien compris » (entretien avec Lucien Ahonto – Continental, septembre 2006). Rien n’est moins sûr.

Modibo Diarra devient un familier des palais présidentiels parce qu’il faut s’afficher avec cette « personnalité mondiale » qui honore l’Afrique, mais ses idées resteront lettres mortes. Les populations africaines continueront à se laisser « envahir par le scepticisme » (autre façon de caractériser la lutte quotidienne pour la survie) tandis que les responsables politiques retomberont dans leur habituelle torpeur.

* Ngolo Diarra, de Ségou, va s’emparer du pouvoir en 1766 alors entre les mains de Biton, dont il a épousé une des filles. Biton est considéré comme le vrai fondateur de Ségou et Ngolo n’aurait été qu’un esclave affranchi. Ngolo va alors entreprendre d’éradiquer le pays bambara des « bandes de soudards » qui sèment la terreur. La sécurité revenue, il va étendre son empire au-delà de Tombouctou, va ravager le pays mossi pour se venger des sévices perpétrés par le Yatenga Naba contre un corps expéditionnaire envoyé par son prédécesseur. C’est au retour d’une nouvelle campagne contre le Mossi que Ngolo va mourir à l’âge de quatre-vingt dix ans. Il sera enterré à Ségou, dans une peau de bœuf. Un de ses fils, Monzon, reprendra l’offensive, étendra son royaume et parviendra à vaincre les Mossi qui avaient résisté à son père. Bien évidemment, je tire ces éléments de Joseph Ki-Zerbo, dans Histoire de l’Afrique noire (éditeur Hatier – Paris, 1978).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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