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15E JOURNÉE NATIONALE DU PAYSAN : LAURENT SÉDOGO, MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’HYDRAULIQUE : « Les JNP, c’est vraiment l’exemple-type de la démocratie participative »

Publié le jeudi 19 avril 2012 à 02h21min

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Dans l’optique de la 15è Journée nationale du paysan (JNP) qui se tiendra du 19 au 21 avril 2012 à Ouahigouya, chef-lieu de la région du Nord, sur le thème : « Modernisation et professionnalisation du secteur agricole : rôles et responsabilités des acteurs », le ministre de l’Agriculture et de l’hydraulique, Laurent Sédogo, a accordé une interview à Sidwaya. Un entretien, au cours duquel il est revenu sur l’importance de ce grand rendez-vous entre le président du Faso et le monde paysan.

Sidwaya (S) : Quelles sont les particularités de cette quinzième rencontre entre le président du Faso et les producteurs ?

Laurent Sédogo (L.S) : Je pense qu’au bout de quinze éditions, nous avons fait beaucoup de choses. Nous avons essayé chaque fois, d’innover, parce que le plus important pour nous dans ce processus, c’est d’arriver à tirer le meilleur parti de cette grande rencontre entre deux grands pôles qui doivent conjuguer leurs efforts pour le développement de l’agriculture, c’est-à-dire d’un côté, les producteurs et de l’autre, l’exécutif avec, à sa tête, le président du Faso, afin qu’il y ait un brassage pour pouvoir identifier les goulots d’étranglement et apporter des solutions qui permettent de booster l’agriculture. Ce que nous essayons de faire, c’est de tirer les leçons chaque fois et voir qu’est-ce que nous pouvons faire pour mieux avancer. Nous avons essayé de tenir compte du fait que l’agriculture doit être aujourd’hui faite par les producteurs et pour les producteurs. Dans cette optique, nous devons changer notre manière de travailler avec les producteurs, c’est-à-dire que ce sont eux qui seront au-devant et les services techniques suivront, en tant que pourvoyeurs de services pour leur apporter le concours nécessaires afin de résoudre leurs problèmes. Il est évident que la Journée nationale du paysan est une rencontre voulue par le président du Faso, donc nous ne pouvons pas nous effacer.

Quoi qu’on dise, l’Etat, à travers l’administration, dispose du savoir-faire. Il est tout à fait normal que nous puissions servir de facilitateur et de catalyseur. Mais dans l’atteinte des résultats, il faut que ce soit les producteurs qui soient à l’avant. Nous avons mis en avant la Chambre nationale d’agriculture (CNA) et la Confédération paysanne du Faso (CPF) qui sont deux organes qui brassent l’ensemble des producteurs. La CNA est représentative de tous les maillons, depuis le village jusqu’au niveau national. La CPF est la coopérative des coopératives des organisations paysannes. Elle s’organise pour apporter son appui dans divers domaines, à l’ensemble des producteurs.

En mettant ces deux structures bout à bout et en faisant en sorte que ce soit elles qui pilotent avec les producteurs, nous apportons notre contribution. Il y a le forum où il y aura beaucoup de discussions. Nous allons discuter entre nous et porter nos conclusions au- devant du président du Faso. Ce format, nous allons le faire le premier et le troisième jour. Le deuxième jour, nous allons aller à un acte beaucoup plus concret, contrairement aux autres éditions, c’est-à-dire que nous allons profiter de la JNP pour lancer la campagne agricole, en présence du président du Faso. C’est également pour nous, une manière de prendre un certain nombre d’engagements par rapport aux conclusions auxquelles nous allons parvenir pendant cette JNP. Aussi, nous voulons qu’il y ait une sorte de synergie avec l’ensemble des populations du Nord, singulièrement de Ouahigouya.

S) : Le thème de la JNP 2010 était « Mobilisation et optimisation des ressources en eau pour un développement durable ». Qu’est-ce qui a été réalisé, en termes de retenues d’eau, depuis cette session ?

L. S. : Nous avons construit de nouveaux barrages dont le nombre approche la dizaine. Nous avons également réhabilité de nombreux ouvrages. Ce qui est remarquable, c’est que depuis 2010, nous avons mis l’accent sur la question de l’agriculture irriguée. Nous avons élaboré notre stratégie et nous sommes en train de renforcer cette vision, à travers laquelle l’agriculture devrait se faire autrement. L’agriculture, c’est d’abord la maîtrise de l’eau et du sol. Le lancement de la campagne agricole se fera sous le signe de la mobilisation de l’eau pour faire de l’irrigation même pendant la saison des pluies.

Cette année est assez illustrative de cette problématique, parce que d’une année à l’autre, lorsque vous écoutez les paysans et nous-même faire notre bilan, « on dit toujours, c’est parce qu’il nous a manqué de pluies ; s’il avait plu jusqu’au 15 octobre… ». Nous avons regardé un peu la physionomie de la campagne et vous allez voir dans quelques trois semaines, nous aurons de grosses pluies, début mai, mi-mai. Entre la mi-mai et le début du mois de juin, vous aurez une période de sécheresse. Vous aurez chaque mois, des poches de sécheresse qui font dix jours, deux semaines, parfois trois. Pour une plante qui commence à pousser et qui manque d’eau pendant trois semaines, il est évident que son rythme de croissance ralentit. Il faut lui assurer de l’eau durant sa phase de croissance. Notre problème aujourd’hui, c’est comment faire en sorte que ces poches de sécheresse ne compromettent pas la campagne agricole, c’est ce que nous allons poser comme problématique. Nous allons engager la dynamique pour qu’à travers la mobilisation de l’eau, nous puissions véritablement renforcer la production agricole. Ziniaré a été pour nous, le déclencheur pour permettre une prise en compte de cette problématique dans notre politique agricole. g. :

S. Le thème de la JNP 2012 est « Modernisation et professionnalisation du secteur agricole : rôles et responsabilités des acteurs », pourquoi le choix de ce thème ?

L. S. : Comme je vous l’ai dit, nous devons faire l’agriculture autrement. Le ministère (l’Etat) est un facilitateur qui permet à d’autres de pouvoir faire l’agriculture. Ceux qui font l’agriculture, ce sont les agriculteurs. En tant que ministère technique, nous sommes investis d’un savoir-faire et nous devons être au service des agriculteurs. Nous devons être un acteur parmi tant d’autres. Mais à côté du ministère et de ceux qui produisent, il n’y a les autres. Si l’agriculteur produit et qu’il n’a y a pas quelqu’un pour l’aider à commercialiser, il n’y a pas d’agriculture. Cela veut dire qu’il faut prendre en compte cet acteur dans la définition de notre vision et de notre stratégie, en matière de production agricole. Pour le cas du riz, depuis 2008, que la question du riz s’est posée, le gouvernement nous a donné des instructions et les moyens. Nous sommes donc passés de 86 000 t à 276 000 t cette année, malgré la sécheresse que nous avons connue. La production brute est disponible, malheureusement les gens ne mangent pas le riz paddy. Ils veulent le riz décortiqué et de bonne qualité qui dépend quelque part de la manière dont on a travaillé le riz.

Cela veut dire que si nous ne prenons pas en compte ceux-là qui récupèrent les produits de l’agriculture pour les transformer et les mettre à la disposition du consommateur, il n’y a pas d’agriculture, parce que le sens de l’agriculture, c’est de nourrir les hommes. Nous sommes dans la vision de la filière qui constitue l’ensemble des activités qui concourent au développement de la production pour un produit bien donné. La filière met en jeu différents acteurs. Voilà pourquoi nous allons parler du rôle et de la responsabilité des acteurs et chacun à son niveau, doit être très professionnel. Nous devons identifier les différents acteurs, pour dire oui, nous sommes tous impliqués dans le même processus. Chacun travaillant évidemment de sa manière comme dans une course de relais où l’on passe le relais à l’autre jusqu’au consommateur.

S. : Le thème de la JNP cette année, suppose-t-il que l’Etat va procéder à une distribution de semences améliorées et de tracteurs ?

L. S. : Ce sont des facteurs qui, nécessairement, doivent jouer. Mais, il faut regarder le problème sur toute la chaîne et à chaque fois, il y a lieu de regarder par où on peut jouer pour pouvoir permettre de passer à une étape supérieure. Si la première étape qui passe par la semence, il existe un goulot, il faut que l’Etat, en tant que facilitateur puisse régler ce problème. La semence déjà compte pour près de 40% dans la formation du rendement final ; ce qui veut dire que si la semence est de mauvaise qualité, cela joue négativement sur le reste du processus. C’est-à-dire que nous devons trouver le mécanisme par lequel nous allons passer pour que le producteur adopte les semences améliorées. Et ce travail doit être fait par les services de recherche, les producteurs semenciers et le ministère en charge de l’agriculture.

La distribution des semences améliorées que nous faisons est vraiment faite à titre démonstratif, mais finalement, celui qui doit aller chercher la semence, c’est le producteur. Voilà pourquoi il faut qu’on lui montre que contrairement, à la semence classique, il peut gagner davantage de rendement et d’argent avec la semence améliorée. En ce moment, il a de la motivation et il va aller la chercher. Une fois que le producteur a la semence et que le fait de « travailler la terre » devient un problème, il faut que l’on gère son problème de tracteur. L’Etat est en réalité, un facilitateur et il doit travailler à ce que les paysans aient un accès facile aux semences améliorées, aux tracteurs etc.

S : Selon vous, cette initiative du président du Faso d’avoir des échanges directs avec les paysans, a-t-il porté des fruits ?

L. S. : Absolument ! Je pense que c’est une très bonne initiative qui a porté fruit. Si je prends le bilan de ce qui s’est passé, par exemple en 2005, nous étions à Gaoua et la question de la sécurisation foncière a été posée. Les paysans ont interpellé le président sur l’élaboration d’une loi qui puisse réguler le problème de la terre. En 2006, nous avions déjà adopté la politique de sécurisation foncière et en 2009, le processus a abouti et la loi sur le foncier rural a été votée. Le problème de la fumure organique a été posé également au cours d’une JNP et nous avons après élaboré un programme de fumure organique. Par la suite les producteurs ont évoqué le problème du lait en disant que le Burkina ne peut pas être un pays d’élevage et nous n’avons pas des laiteries. Nous avons fait une JNP consacrée à la filière lait et c’est ainsi que les laiteries ont commencé depuis lors à « pulluler » partout.

Les JNP, c’est vraiment l’exemple type de la démocratie participative. C’est la rencontre de deux acteurs clés, c’est-à-dire l’exécutif et les acteurs directs. Et chacun donne son point de vue. Les producteurs expriment leurs préoccupations et le gouvernement réagit et s’il ya des décisions à prendre le Président du Faso n’hésite pas à donner des instructions. Quand on a parlé par exemple de la mobilisation des ressources où les producteurs ont évoqué le problème d’eau, le ministère en charge de l’Agriculture s’est donné pour ambition depuis 2010 de faire le maximum d’aménagement et depuis lors le travail que nous avons abattu en la matière est énorme. Je dis donc que si les JNP n’existaient pas, il aurait fallu les créer. Les JNP sont tellement importantes que certains de nos voisins ont commencé à nous imiter. Le Mali, le Niger, le Bénin, la Guinée ont tous adopté une démarche pareille actuellement. Par exemple au Rwanda, le même processus existe aussi depuis une dizaine d’années.

S. : Qu’en est-t-il aujourd’hui du programme Saaga ?

L. S. : Le programme Saaga fonctionne toujours. En effet, le programme a connu deux phases. Au cours de la première phase, les financements étaient bien assurés à travers un projet bien clair. A la fin du projet, nous avons exposé au gouvernement la nécessité de continuer. Nous avons espéré que le programme devienne un programme sous-régional, mais nous sommes toujours en discussion avec nos partenaires. Toujours est-il qu’en attendant, nous avons 500 millions FCFA depuis 2010 dans notre budget chaque année, pour faire fonctionner le programme. C’est parce que d’ailleurs le programme a fonctionné que nous avons pu éviter l’année dernière une grosse catastrophe. En réalité au mois de juillet, dans la région des Hauts- Bassins, où il pleut d’habitude, il y avait une grande poche de sécheresse. Ce que nous avons fait, c’est de délocaliser le programme à Bobo-Dioulasso et c’est à l’issue de cela que nous avons pu rattraper les choses et qu’une zone comme Orodara a eu un excès de près de 260%.

S. : Depuis l’appel que le gouvernement à lancé en rapport avec la situation alimentaire, y a-t-il eu une amélioration ?

L. S. : Est-ce que la situation alimentaire empire ? Je dirai oui et non. Oui, parce que de façon naturelle, et selon les observations que nous avons faites, plus nous allons rentrer dans la période de soudure, plus les ménages deviendront vulnérables. Nous avons évalué qu’entre janvier et mars, nous avions environ 900.000 personnes vulnérables. Entre mars et mai nous sommes passé à près de 1.800.000 personnes dans cette situation. En fin juin-début juillet, nous allons passer à près de 2.800.000. Toutefois je dis également non, parce que notre plan a tenu compte de cela. Actuellement, nous avons déployé près de 50.000 tonnes qui sont en train d’être distribuées dans les communes. Nous allons donc envoyer les céréales pour que les gens puissent en disposer et selon des prix sociaux. Au jour d’aujourd’hui, nous avons déjà eu près de 60 communes.

S. : Avez-vous pu mobiliser l’aide nécessaire pour sortir le Burkina de cette crise alimentaire ?

L. S. : Les partenaires ont beaucoup répondu. Au moment où nous lancions l’appel, nous avions un gap de près de 98 milliards FCFA. Au 15 mars 2012, ce gap est tombé à moins de 48 milliards. Aujourd’hui, nous avons engrangé pas moins de 10 milliards et je sais qu’il y a une grande réunion qui a eu lieu à Dakar et nous attendons au mois de mai, un grand responsable du système des Nations unies. Et quand il va arriver, on aura encore une idée de ce qu’on va nous apporter de plus. J’aimerais donc rassurer les populations que la situation est difficile, mais il n’y a pas lieu de paniquer.

S. : Comment expliquez-vous que malgré les nombreux projets et initiatives de l’Etat en faveur de l’agriculture, le Burkina de nos jours, a toujours du mal à s’autosuffire, sur le plan alimentaire ?

L. S. : Je suis d’accord, mais vous savez le développement est un long processus. Il n’y a pas de génération spontanée ; en tout cas, moi je n’y crois pas. On ne passe pas du jour au lendemain, de zéro à l’infini. Il faut créer les conditions pour que le processus arrive à maturation. Tant que le processus n’est pas arrivé à maturation, vous aurez beau tout faire, vous aurez toujours l’impression que vous n’atteignez pas les résultats escomptés. C’est pourquoi nous avons l’impression que malgré les initiatives, l’on travaille pour rien. Mais je dis que parfois les avancées ne sont pas perceptibles mais nous avançons. Par exemple, il y a quelques années, nous n’étions pas plus de 10 millions d’habitants ; actuellement nous sommes à peu près 16 millions et nous arrivons à nourrir près de 90 à 95% de la population, malgré nos difficultés.

Nous pouvons mieux faire, mais ce que nous arrivons à faire c’est déjà quelque chose. Il y a également que dans les années 1980, nous avons compris que pour faire répartir l’agriculture, il fallait d’abord reconstituer le capital productif de la terre. Ce que nous avons fait pendant près de 2O ans, c’est de mettre dans la tête des paysans que pour pouvoir produire au Burkina, tant que l’on ne va pas reconstituer la terre, rien ne va marcher. Et nous avons investi des centaines de milliards pour reconstituer la terre. Aujourd’hui, si vous remarquez, il y a un engouement pour l’agriculture. Les gens commencent, ils prennent la semence, ils connaissent toutes les techniques et entre-temps, pas de pluie et on comprend qu’au-delà de la terre, il y a le problème de l’eau. Autre chose, c’est maintenant que l’on comprend qu’au-delà de la production, il y a le problème de l’écoulement et de la transformation des produits. Et l’exemple de la tomate est patent.

En 2006, les producteurs à Kaya ont dit de produire les tomates. On a réuni les conditions pour produire de la tomate, mais on n’a pas créé les conditions pour transformer et consommer la tomate et c’est pourquoi la tomate est retombée. On a compris aujourd’hui que sans la prise en compte des autres maillons de la chaîne, il n’y a pas non plus de production. Il faut donc créer les conditions du marché de consommation etc. Mais je vais vous garantir que d’ici 3 à 5 ans maximum, nous allons sortir de cette situation, parce que justement nous sommes en train de réunir pratiquement toutes les conditions pour maîtriser tout cela. Pour me résumer, ce n’est pas en pure perte, mais c’est parce qu’il faut rassembler les conditions petit à petit et cela coûte cher. Qu’est ce qu’on fait ? Est-ce qu’il faut fermer toutes les écoles pour investir tous les moyens pour développer l’agriculture ? Ce n’est pas possible.

Vous avez vu l’année dernière, les cotonculteurs au sujet de la cherté des engrais. Mais qu’est-ce qu’on fait ? On subventionne l’engrais à près de 20 milliards FCFA et qu’est ce qu’on fait des écoles, des dispensaires etc. ? Mais ne vous en faites pas, nous sommes en train d’ordonner tout cela et c’est pour cela qu’au cours de ces JNP, on s’attaque surtout aux acteurs. Nous allons nous asseoir et comme on l’a dit lors des états généraux, les participants ont proposé qu’il faille élaborer une loi sur l’investissement dans l’agriculture. C’est désormais un business. Si vous avez 1 million que vous voulez épargner, on pourra vous dire : venez investir dans l’agriculture et vous allez faire des bénéfices. Et ce sont ces conditions que nous sommes en train de créer.

Souleymane KANAZOE & Raphael KAFANDO

Sidwaya

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