LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Présidentielle française 2012 : Sans se revendiquer de « l’altermondialisme », les électeurs sanctionnent les tenants du libéralisme économique !

Publié le lundi 23 avril 2012 à 20h08min

PARTAGER :                          

Au-delà de l’anti-sarkozysme (qui ne saurait étonner, le président de la République sortant n’a jamais été bien perçu par une majorité de Français), ce qui caractérise l’électorat, c’est le rejet d’un libéralisme économique* dont le coût social est jugé prohibitif. Et si, au soir du premier tour du dimanche 22 avril 2012, il y a un fait marquant, c’est la performance du Front national.

Pas loin de 18 % des suffrages exprimés, ce qui ne qualifie pas Marine Le Pen pour le deuxième tour, mais fait de ce que l’on appelait, jusqu’à présent, l’extrême-droite, la nouvelle droite française. Or son programme est sans ambiguïté : « mettre fin à la dictature des marchés financiers en instaurant un Etat fort, stratège et protecteur, agissant au service de notre économie et de nos emplois », « lutter contre la concurrence déloyale venue de pays comme la Chine ou l’Inde […] par la mise en place de protections aux frontières, modulées et adaptées ».

Quant au Front de gauche, qui réalise un score significatif (au-dessus de 11 %) - et regroupe anciens communistes et anciens trotskystes – il dit « non à l’Europe libérale » et veut « des services publics partout et pour tous ». 30 % d’anti-libéraux, cela ne fait pas une majorité. Mais chacun des autres candidats « d’opposition », de l’extrême gauche (Philippe Poutou et Nathalie Arthaud) à la sociale-démocratie (François Hollande) en passant par les écologistes (Eva Joly), les souverainistes (Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Cheminade), les centristes (François Bayrou), tient un discours dont aucun ne prône ni la « déréglementation » ni la « globalisation » qui ont été les fondements d’une « mondialisation » qui, disait-on, devait apporter le bonheur à toute l’humanité. Même Nicolas Sarkozy a été obligé de reconnaître, dans sa « profession de foi », que « la mondialisation crée aussi des peurs et des souffrances, les usines qui ferment, les salaires qui stagnent, le monde qui change trop vite et qui oublie l’humain ».

Alors que le mouvement « altermondialiste » s’est essoufflé partout dans le monde, au profit de celui des « indignés », ce ne sont plus les militants qui dénoncent les maux et les dérives du capitalisme contemporain, ce sont les électeurs qui ont entrepris de sanctionner les politiques économiques libérales. Ce n’est pas le résultat d’une démarche idéologique qui prônerait un autre modèle de croissance, mais la constatation que cela ne marche pas : si la France reste riche (malgré un niveau d’endettement intolérable), les Français ne cessent non seulement de s’appauvrir mais de voir leurs acquis sociaux remis en question. D’où ce repli sur l’Hexagone qui aura caractérisé le débat du premier tour de la présidentielle française 2012 : il n’est pas grand monde, parmi les candidats, pour aller voir au-delà de la France et aborder les questions internationales.

Si la fin du XXème siècle, à la suite de l’effondrement du système soviétique, aura été marquée par la « mondialisation », le début du XXIème sera, lui, marqué par l’échec de cette mondialisation pour ceux qui l’ont prônée : le monde « occidental », autrement dit les Etats-Unis, l’Europe et le Japon qui ont transféré leurs usines, leurs unités de production, leurs bureaux d’études, leurs sièges sociaux et leur savoir-faire dans la sphère des pays dits « émergents ». Le monde « occidental » n’est plus l’usine du monde mais le marché du monde ; sauf que les consommateurs n’ont plus les moyens de consommer !

Si ce premier tour de la présidentielle française 2012 se caractérise par l’irruption d’une nouvelle droite « antilibéralisme », il se caractérise donc, également, par un « rétrécissement » de la France, désormais adepte du protectionnisme (pas seulement en matière économique mais également dans le domaine de l’immigration). 61 % des Français, selon un sondage organisé récemment par le quotidien La Croix, estiment que, dans le cadre de la campagne pour la présidentielle, la question de l’ouverture économique des frontières n’a pas été suffisamment évoquée. Ainsi, 81 % des personnes interrogées considèrent que l’ouverture des frontières de la France et de l’Union européenne aux marchandises des pays « émergents », notamment la Chine et l’Inde, a eu, globalement, des conséquences négatives sur les emplois en France ; ils sont 72 % à penser que cela a également impacté le niveau des salaires des Français.

Nous sommes en plein dans la « version fermée de la nation » qu’évoque Serge Audier (cf. infra note de bas de page). Ce qui fait dire à Alain Madelin, chantre du « libéralisme » après avoir été celui de l’identité française au sein du mouvement « Occident », que « toute l’offre politique vise au retour d’un Etat protecteur et producteur ». Le rejet du « capitalisme » serait, corollairement, le rejet de « l’impérialisme » autrement dit des « multinationales ». C’est pourquoi les sociétés françaises du CAC 40 sont systématiquement dans le collimateur fiscal et salarial (salaire et autres « acquis sociaux » des PDG bien sûr) des candidats - y compris ceux de la droite - et que les PME françaises sont désormais sublimées, les PME allemandes étant érigées en exemple de réussite industrielle. Dans le même temps, c’est la place de la France dans le monde qui est remise en question. « La Corrèze plutôt que le Zambèze ».

En 2012, nous voilà bien loin de 2007 et du « travailler plus pour gagner plus » qui exprimait – parmi d’autres mots d’ordre (« Ensemble tout devient possible ») – le volontarisme « sarkozien » en matière économique comme en matière diplomatique et sociale. Sarkozy expliquera que les « crises à répétition » sont passées par là. Mais elles sont, justement, les crises du dérèglement du capitalisme, autrement dit de ce qu’on appelle, décemment, aujourd’hui, le « libéralisme économique ». Et, finalement, c’est ce capitalisme-là que les électeurs entendent sanctionner.

Un capitalisme qui non seulement rend les Français plus vulnérables qu’ils ne l’étaient par le passé, mais un capitalisme qui a échoué, également, là où, dans les années 1960-1970, on avait pensé qu’il était l’outil de la démocratisation de régimes soumis à des dictatures (Espagne, Portugal, Grèce…) et, dans les années 1990-2000, qu’il permettrait aux anciens Etats européens soumis, à l’Est, de l’autre côté du « rideau de fer », à la chape de… plomb du stalinisme soviétique, de rattraper le niveau d’évolution politique, économique et social de l’Europe de l’Ouest. Or, ces pays ont été, justement, les premiers qui, en devenant des pôles de délocalisation industrielle, ont déglingué les économies « occidentales ». Que dire des pays de ce qu’on appelait autrefois le « tiers-monde » et qui, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, en passant par l’Afrique subsaharienne (du Mali jusqu’à la Somalie), sombrent les uns après les autres dans le chaos et rejettent leurs populations vers un eldorado européen qui n’est plus l’ombre que de lui-même ? Le futur président de la République française aura bien des questions à se poser et des réponses urgentes à donner. Avant que la France ne devienne ingouvernable.

* Dans Les Echos (mercredi 11 avril 2012), Mathieu Laine, maître de conférence à Sciences po et président du cabinet de conseil en stratégie Altermind, commentant la finalité de son Dictionnaire du libéralisme (éditions Larousse – Paris, 2012), dont il vient de coordonner la rédaction, précise notamment : « Le libéralisme pour beaucoup de gens est souvent synonyme « d’anarchie du marché » ou encore de « concurrence débridée ». Il faut reconnaître que les partisans du libéralisme se sont montrés parfois maladroits ». Il ajoute : « Le libéralisme n’est pas aimé en France. L’antilibéralisme revendiqué est même le seul point commun des dix candidats à l’élection présidentielle ! ».

Serge Audier, dans Le Monde (vendredi 4 décembre 2009), commentant la parution du livre de Catherine Audard : Qu’est-ce que le libéralisme (éditions Gallimard – Paris, 1999), a notamment écrit : « Le libéralisme a mauvaise réputation. A droite, rares sont ceux qui s’en réclament ; à gauche, le mot résonne comme une insulte ». « Une reconstruction de l’histoire des libéralismes […] aboutit à une réflexion plus théorique sur l’avenir de la solidarité, la place du religieux, le multiculturalisme ou le renouveau de la démocratie. L’auteure examine comment la pensée libérale contemporaine conçoit le patriotisme sans dériver vers une version fermée de la nation ; ou comment cette même pensée réélabore l’idée démocratique pour que celle-ci échappe aux emballements populistes grâce à l’invention de nouveaux modes de de délibération publique précédant le vote. Son objectif n’est donc pas seulement historique : il s’agit aussi de défendre une position relevant d’un « libéralisme social » de gauche ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique