JEAN LOUIS ROURE, CONCESSIONNAIRE DE CHASSE : « Les touristes ont déserté le sahel burkinabè »
Voilà plus de vingt ans que Jean-Louis Roure roule sa bosse dans le sahel burkinabé comme guide et organisateur de séjours de chasse. Une région qu’il a aimée, au point d’y investir et de s’y établir. Toute sa vie, c’est ce sahel aujourd’hui en proie cependant à moult difficultés. Du fait de l’insécurité au Mali et au Niger, le sahel burkinabé est frappé de plein fouet par les restrictions en matière de voyage prises par l’Union européenne. Du coup, le tourisme, qui nourrissait beaucoup de monde dans cette région, se trouve sinistré. Mais Jean Louis Roure continue de se battre contre les amalgames et pour une réhabilitation de l’image de « son » sahel. Interview.
« Le pays » : Comment se porte le tourisme dans le sahel burkinabé ?
Jean Louis Roure : Le tourisme dans le sahel burkinabe se porte très mal depuis deux ans parce qu’il y a un amalgame qui se fait au niveau international entre le grand Sahel qui part de la Mauritanie en passant par le Mali, le sud de l’Algérie, le Niger, le Tchad, l’Ethiopie. Le sahel burkinabe est une petite enclave dans ce grand sahel, où il n’ y a pas de problème. Le Burkina est un pays bien géré et bien tenu. Nous avons des forces de police et de gendarmerie et des militaires qui surveillent très bien les frontières. Dans le sahel burkinabè, je peux vous affirmer parce que j’y habite 9 à 10 mois de l’année, nous n’avons aucun problème.
Nous sommes désolé qu’il y ait cet amalgame au niveau international plus précisément au niveau de la communauté européenne qui a placé malheureusement ce sahel burkinabe au nord de Dori en zone orange. Ceci nous gêne énormément au point de vue touristique parce que même les expatriés résidant au Burkina travaillant pour des grosses sociétés comme Total ou autres, y compris tout le personnel des ambassades de la Commission européenne, sont interdits de se rendre au nord de Dori. C’est quand même affligeant parce que c’est une région qui a besoin du tourisme. On sillonne de par nos activités cynégétiques toute la zone du sahel et il n’ y a pas d’indices qui laissent présager des infiltrations d’éléments qui viendraient perturber la quiétude du sahel burkinabé.
Que faut-il faire alors pour rassurer les Occidentaux ?
Je pense que la première chose, ce serait de dissocier le Burkina des autres pays qui sont concernés par ce fameux terrorisme AQMI dont on parle dans le sahel en général. Il y a des réunions des pays concernés. A aucun moment on n’entend parler du Burkina, un pays paisible qui, c’est vrai, a un million d’hectares qui font partie du sahel, mais c’est vraiment le sud de cette bande sahélienne. C’est un pays d’agriculteurs et d’éleveurs qui n’ont pas du tout envie de recevoir des terroristes. Par ailleurs nous avons un réseau cellulaire qui couvre tout le pays, y compris tout le sahel. Un véhicule avec des gens armés qui passerait par là serait immédiatement signalé aux autorités. Il y a peut-être un effort à faire au niveau des ministères chargés du tourisme et de la Sécurité pour essayer d’affranchir cette partie du Burkina en démontrant qu’on n’a pas de problème. C’est vrai que le risque zéro n’existe pas mais on ne sent pas du tout une insécurité dans notre sahel.
Qui sont les touristes que vous continuez de recevoir. Sont-ce des casse-cous ?
Les gens que nous recevons sont en grande partie des chasseurs. On fait la petite chasse : canards, pintades, etc. car le sahel recèle d’une faune assez variée d’oiseaux. Ces chasseurs viennent depuis des années et des années. Ils connaissent le sahel, ils y ont des attaches. Par contre on n’a pratiquement plus de tourisme de vision. Au sahel il y a aussi de la découverte et malheureusement ce tourisme est très sporadique ; on l’a perdu. Les gens qui venaient visiter le marché de Gorom-Gorom ou la dune de Oursi ont été affolés par ce qui se dit et ont choisi d’autres destinations. En tout cas nous avons perdu ce tourisme et avons un grand besoin de le retrouver.
En termes de chiffres d’affaires, combien avez-vous perdu ces dernières années ?
Le chiffre d’affaires tourisme pur est pratiquement tombé à néant. Nous n’avons pratiquement plus de touristes qui viennent séjourner quelques jours au sahel. Je vous l’ai dit, les seuls étrangers que nous ayons, ce sont des chasseurs qui, pas par folie, mais par passion de la chasse, continuent à venir. Et puis ces gens me posent énormément de questions avant de venir, et on les rassure. Moi-même je passe beaucoup de temps au téléphone avec l’Europe pour les rassurer, les inciter à continuer à venir. Mais ce n’est pas facile, il y a beaucoup d’annulations.
Comment la population vit cette crise du tourisme ?
Tout le monde se plaint. Ils sont complètement désorientés. Ils sont surtout affligés qu’on fasse un amalgame. C’est aussi sûr de se promener dans le sahel qu’à Nazinga, Pama ou Bobo. Peut-être même plus. Parce que malgré tout ce qu’on dit, on n’a pas de coupeurs de route dans le sahel. Pour en revenir aux acteurs du tourisme, que ce soit les petits guides, les gérants de campements, les artisans, tout le monde se plaint parce que les touristes ne viennent pas ou pour très peu de temps.
Et vous, pourquoi êtes-vous si attaché au sahel burkinabé ?
Je suis arrivé au Burkina en 1989 et précisément dans le sahel en 1990. Cela fait donc 22 ans que je sillonne cette région du Burkina. Ce fut un coup de foudre parce qu’il y a d’abord cet attrait du désert. Vous savez que les Occidentaux sont attirés par le désert. Mais dans le nord du Burkina il y a plus que ça. Il y a le désert mais il y a aussi de magnifiques mares, des cours d’eau, de zones de végétation, beaucoup d’animaux, etc. Et c’est ce paradoxe entre eau et désert qui est attachant, prenant et dont on tombe amoureux.
Propos recueillis par Mahorou KANAZOE
Le Pays