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Mali : Fin de partie pour la junte : Elle a eu la peau d’ATT mais pas le pouvoir à Bamako !

Publié le mardi 10 avril 2012 à 20h45min

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C’est incontestablement un des coups d’Etat les plus foireux et les plus désastreux de l’Histoire contemporaine de l’Afrique francophone. Mais qui aura totalement transformé la physionomie du Mali et mobilisé toute la région.

Dix-sept jours de chaos politique, diplomatique et militaire pour renverser un président de la République qui, par ailleurs, avait prévu de quitter le pouvoir au terme de son deuxième mandat, conformément à la Constitution, à peine plus d’un mois avant de se faire « dégommer ». Dix-sept jours pour couper le pays en deux : la « rébellion touarègue » s’emparait des villes du Nord du Mali tandis que les groupuscules « islamistes radicaux » y imposaient leur loi. Dix-sept jours pour finalement revenir à la case départ : le retour à la Constitution et à un pouvoir civil. Sauf que le Mali est K.O. et que la situation humanitaire et sécuritaire dans la zone sahélo-saharienne est plus dramatique que jamais.

Il faudra quand même donner un prix au capitaine Amadou Haya Sanogo : celui de l’officier le plus inconséquent. Et pourtant, en la matière, il y a une rude concurrence. Dommage que son amnistie (et celle de son club de « bras cassés ») soit une des conditions du retour à une certaine « normalité », on aurait aimé un procès qui permette de comprendre pourquoi des bonshommes aussi incompétents en tout (et aussi peu charismatiques – il y a des moments où « chef militaire » ne veut rien dire) ont pu foutre par terre un régime certes à bout de souffle mais qui n’avait pas été le pire que le Mali ait connu depuis son indépendance.

22 mars-6 avril 2012. Fin de partie (minable) pour la junte. La connexion Abidjan-Ouaga dans le cadre de la Cédéao et l’implication rapide sur le terrain de Djibrill Y. Bassolé, ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, tandis que Blaise Compaoré, dans la plus grande confidentialité, du côté de Ziniaré, multipliait les entretiens avec tous acteurs de « la crise malo-malienne », auront permis d’aboutir à un accord qui n’est pas une sortie de crise mais une clé permettant d’ouvrir la porte d’une nécessaire négociation. C’est que personne, au Mali, ne savait que faire de la situation dantesque dont ces apprentis-sorciers dépourvus de talent ont été les promoteurs. On attend donc la démission d’ATT, la constatation de la vacance de la présidence et l’intérim du président de l’Assemblée nationale avant qu’un premier ministre ne soit nommé à la tête d’un gouvernement devant assurer la transition dont la mission sera la reconquête de l’ensemble du territoire avant l’organisation d’élections « libres, transparentes et démocratiques ».

Bassolé sera donc parvenu rapidement à mettre fin aux tergiversations de Sanogo qui se voyait en président de la République et en libérateur du territoire national. Mais chacun sait que Soundjata, au XIIIème siècle, n’aurait pas pu conquérir l’empire qui fut le sien si le roi de Bobo ne lui avait dépêché 1.500 archers en renfort pour vaincre Soumaoro à la bataille de Kirina.

Sanogo aura donc mis ATT par terre, sans pour autant s’en défaire. Ce sera son seul titre de gloire ; ce qui ne manquera pas de réjouir Ouaga, qui n’aimait pas son indécision, et de ravir Paris, qui détestait son indétermination. Et du même coup voilà Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale, projeté sur le devant de la scène, chef de l’Etat malien par intérim. Clin d’oeil de l’Histoire, c’est à Kati, QG de la junte, qu’est né Traoré, le 23 février 1942. C’est à Kati aussi qu’il a débuté ses études poursuivies, par la suite, à Nara, Kayes, Fréjus (France).

Si Dioncounda Traoré a étudié à Fréjus, c’est que son père appartenait à l’armée et avait été formé à l’Ecole préparatoire des officiers d’outre-mer implantée dans cette ville du Sud de la France (d’où sortira, par la suite, Moussa Traoré, instigateur du coup d’Etat contre Modibo Keïta). Originaire de Goumbou, cité almoravide créée au XIIème siècle, à 370 km de Bamako, Sékou Traoré, encore capitaine, aurait été le premier chef d’état-major général des forces armées maliennes à la suite de l’éclatement de la Fédération du Mali et son nom aurait été donné à la 21ème promotion de l’Ecole militaire inter-armes (EMIA) de Koulikoro. Il est mort avec le grade de colonel.

C’est à Bamako, en 1961, que Dioncounda Traoré a obtenu son bac, au lycée Terrasson de Fougères, s’engageant ensuite dans l’étude des mathématiques, sanctionnée par un doctorat. Décrit comme un homme « modeste et humble jusqu’à l’effacement » à « l’allure pensive [qui] lui donne l’air d’un personnage introverti à la limite de l’indifférence au monde extérieur », Traoré a fait carrière dans l’administration, s’illustrant dans l’enseignement (il a été directeur de l’Ecole nationale d’ingénieurs de Bamako) ce qui lui vaut le qualificatif de « professeur »*.

Engagé dans l’opposition à Moussa Traoré, il militera au sein de l’Alliance pour la démocratie au Mali/Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema/Pasj). A la suite de l’élection d’Alpha Oumar Konaré à la présidence, il sera ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Modernisation de l’administration dans le gouvernement de Younoussi Touré (10 juin 1992) puis ministre de la Défense dans le gouvernement d’Abdoulaye Sékou Sow (16 avril 1993) – ministre d’Etat à compter du 7 novembre 1993 –, ministre des Affaires étrangères, des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine (et toujours ministre d’Etat) dans celui d’Ibrahim Boubacar Keïta (26 octobre 1994), portefeuille qu’il conservera jusqu’au 24 août 1997.

Konaré étant réélu en 1997, Traoré sera remplacé aux Affaires étrangères par Modibo Sidibé. Il va alors entamer une carrière de député. Elu à Nara (au Nord de Bamako, non loin de la frontière Sud de la Mauritanie), il présidera le groupe Adema à l’Assemblée nationale au cours de la législature 1997-2002. Le 9 octobre 2000, Ibrahim Boubacar Keïta démissionnera de la présidence de l’Adema, minée par « la guerre des chefs », et fera scission. C’est Traoré qui pendra sa suite tandis que les têtes d’affiche feront sécession en vue de la présidentielle 2002 à laquelle Konaré n’était pas candidat. Soumaïla Cissé, candidat officiel de l’Adema-Pasj (il y avait une flopée de candidats dissidents), terminera deuxième derrière ATT. En 2007, l’Adema va choisir de le soutenir. Aux législatives de juillet 2007, elle devient la première formation politique du pays avec 51 députés et, le 3 septembre 2007, Traoré, président de l’Adema, sera élu président de l’Assemblée nationale (111 voix sur 147). En juillet 2011, il a été désigné candidat de l’Adema à la présidentielle de 2012 par une « commission des bons offices ».

L’accession de Traoré à une présidence de transition n’est pas en soi une surprise. Dès le déclenchement, par les Touareg, de la « guerre » contre Bamako, et la conquête des premières villes du Nord du Mali par la « rébellion », une délégation mandatée par les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, avait proposé à ATT la tenue d’un forum national pour la paix et la stabilité au Mali. Traoré avait affirmé alors : « Nous refusons d’envisager que les élections ne se tiennent pas […] Nous nous battrons pour que les élections aient lieu ».

Dès le mois de février 2012, Traoré craignait un « coup de force » qui « ramènerait le pays à dix, voire vingt ans en arrière ». Il évoquait déjà la possibilité d’une transition si les élections ne pouvaient pas se tenir à la date prévue, soulignant cependant que si le mandat d’ATT expirait le 8 juin 2012, le sien, en tant que président de l’Assemblée nationale, prenait fin deux mois plus tard, le 8 août 2012.

Alors que se déroulait le coup d’Etat à Bamako, Traoré s’entretenait à Ouagadougou avec le président du Faso, Blaise Compaoré, avant de s’envoler pour Abidjan afin d’y rencontrer le président ivoirien Alassane D. Ouattara, par ailleurs président de la Cédéao. C’est dire que « la crise malo-malienne » a été suivie en temps réel dans les deux capitales. Tandis que Traoré prenait une option, hors élection, sur la présidence de la République.

* Il aurait, par ailleurs, reçu une formation militaire, et serait même breveté parachutiste.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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