LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

« Pôle de croissance de Bagré » : Un autre développement est possible !

Publié le mardi 10 avril 2012 à 01h59min

PARTAGER :                          

Burkina Faso. Province du Boulgou. « Capitale » : Tenkodogo. Aujourd’hui, jeudi 5 avril 2012, c’est non loin de là, à une trentaine de kilomètres au Sud-Ouest de Tenkodogo, que tout le Burkina Faso s’est rassemblé.

Bagré n’avait sans doute pas connu pareille affluence de personnalités politiques depuis ce jour du 13 janvier 1994 (le franc CFA venait tout juste d’être dévalué) où Blaise Compaoré, président du Faso, et Youssouf Ouédraogo, son premier ministre, étaient venus inaugurer le barrage qui allait transformer la physionomie de cette province au Sud (officiellement, dans la nomenclature administrative burkinabè, il s’agit de « la région du Centre-Est ») du Burkina Faso. Aujourd’hui, Bagré franchit une nouvelle étape : le lancement officiel du projet « pôle de croissance ». Un événement pour lequel toutes les institutions burkinabè se sont mobilisées.

C’est le premier projet de « pôle de croissance » à voir le jour. Or c’est un des « modèles de croissance » autour duquel se structure la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD), programme d’action du gouvernement pour la période 2011-2015. « La région ou un groupe de régions, précise le document de présentation de la SCADD, sera la configuration spatiale de cette démarche. L’Etat s’emploiera, en relation avec les collectivités territoriales, à regrouper les acteurs pertinents (entreprises, centres de recherche et unités de formation, structures d’appui) dans une démarche partenariale, dans le but de dégager des synergies autour de projets à caractère innovant, visant un marché, en recherchant la compétitivité et une visibilité nationale et internationale ».

Le PPCB (Projet pôle de croissance de Bagré), inauguré aujourd’hui, est entré en vigueur le 1er novembre 2011. Placé sous l’autorité directe du premier ministre et la tutelle technique du ministère de l’Agriculture et de l’Hydraulique, il a un coût de 133,7 millions de dollars, dont 115 millions financés par un don de la Banque mondiale. Sa durée est de six ans. Bagré n’a pas attendu la mise en œuvre du PPCB pour se positionner comme un « pôle économique » majeur*.

L’immense projet qu’a été la réalisation du barrage de Bagré (en un temps où le Burkina Faso n’avait pas le positionnement politique, économique et social qui est le sien désormais) a permis le développement de la riziculture sur 1.500 ha (26.284 tonnes de riz paddy produites en 2010 contre 12.782 tonnes en 2007) et l’achèvement du Centre écotouristique de Bagré dont la location-gérance a été confiée à Pierre Zoungrana, figure majeure de l’hôtellerie au Burkina Faso (maire de Sabcé, à une centaine de kilomètres au Nord de Ouaga, il est le promoteur de la chaîne Pacific Hôtel, présente à Kongoussi, Ouaga, Kaya,…).

Bagré, actuellement, c’est le riz burkinabè et le rêve de vacances au bord de l’eau (inaccessible, ici, pour le commun des mortels). Demain, ce doit être cela et autre chose afin de permettre la création de 30.000 emplois essentiellement dans les secteurs agricole, horticole, sylvo-pastoral, agro-industriel… Ce sera la tâche d’Issaka Kargougou, le nouveau directeur général de la Maîtrise d’ouvrage de Bagré (MOB) qui, le lundi 30 janvier 2012, a pris la suite de Zacharie Segda (qui était en poste depuis le 10 juillet 2008).

Bagré devient ainsi la « nouvelle frontière » burkinabè, celle des pionniers. Sauf qu’ici les pionniers sont tout simplement des paysans qui ont choisi de s’installer là : une famille par hectare de terre attribué gratuitement.

Des pionniers qui se bousculent pour obtenir ces fameuses parcelles, encore en nombre limité. Ce qui crée des tensions sur le terrain. « Pour permettre de conduire cette opération d’attribution des parcelles dans la transparence, l’autorité régionale a mis en place une commission ad hoc, par un arrêté signé le 6 juin 2011. Cette commission ad hoc avait pour mission de recevoir les dossiers de candidature des producteurs souhaitant être attributaires des parcelles dans ledit périmètre ; instruire et évaluer les dossiers de candidature sur la base de critères établis par la commission ad hoc et de procéder à la désignation des attributaires. Six mois après, la mission travers une crise pour cause de non transparence dans la distribution des parcelles, d’incompréhension et de déficit de communication entre les exploitants installés sur le périmètre d’une part, et les responsables de la zone de production de la Maîtrise d’ouvrage de Bagré (MOB), d’autre part ». C’est Bougnan Naon qui, dans le quotidien national burkinabè Sidwaya (jeudi 2 février 2012), raconte ainsi « la grogne autour des 1.200 ha de Bagré » (il s’agit de parcelles aménagées sur la rive gauche du Nakanbé, ex. Volta Blanche).

Le développement, parce qu’il concerne des hommes et des femmes souvent en souffrance, n’est jamais une chose simple. Les autorités régionales et provinciales se sont aussitôt attelées à résoudre ces tensions en engageant le dialogue avec les Comités villageois de développement (CVD), les groupements de production et des personnes ressources des villages concernés ainsi que les responsables coutumiers, religieux, et les élus locaux. Toutes ces expériences devront être capitalisées pour permettre une meilleure connaissance sociologique des difficultés que vont rencontrer ceux qui ont conçu une « stratégie de croissance accélérée et de développement durable ». Il faudra, en permanence, ajuster le discours aux réalités du terrain et accompagner la mise en œuvre des programmes d’un suivi-évaluation sociologique tout en élevant la « capacité d’absorption » des populations concernées.

Pour réussir en la matière, il faut plus que du volontarisme intellectuel (la conception théorique de la SCADD est réellement intéressante) ; il faut que les décideurs soient aussi des acteurs du développement. C’est pourquoi le gouvernement a inscrit cette démarche dans une politique générale de « consolidation de la gouvernance locale ». Depuis la décennie 1990, Ouaga a mis en œuvre la décentralisation dans la perspective d’impulser le développement à la base. En avril 2006, des élections locales ont concerné 351 communes (49 communes urbaines + 302 communes rurales) et 13 régions. Le document de la SCADD stipule que « pour les années à venir, il s’agira de réussir la décentralisation économique (création de véritables pôles régionaux de développement), d’assurer le transfert effectif des compétences et des ressources dans tous les domaines retenus, de renforcer les capacités des collectivités à gérer les affaires locales, d’assurer la cohérence de l’action locale avec les politiques de l’Etat et d’appuyer l’élaboration et la mise en œuvre des plans de développement local ». Dans le même temps, ce document rappelle que « les ressources des collectivités territoriales sont limitées […] et connaissent des problèmes de ressources humaines en quantité et en qualité ». D’où l’importance, régionale, des pôles de croissance qui doivent, justement, concentrer plus de moyens financiers et humains.

Bagré n’est pas encore un « pôle de croissance ». Faute de synergie et d’une véritable croissance endogène (qui impliquerait la multiplication des entreprises locales, notamment en matière d’équipement, de service, de sous-traitance, etc.), ce n’est encore qu’un « pôle économique ». Mais c’est une expérimentation en vraie grandeur qui va permettre de juger, non pas du bien fondé de la démarche, mais des contraintes internes auxquelles peuvent être confrontées des politiques publiques externalisées et ce qu’il convient de faire pour que, localement, les acteurs du développement s’approprient des programmes nationaux.

* Le document de présentation de la SCADD distingue les « pôles de croissance » (« combinaison d’entreprises et de centres de recherche publics ou privés sur un territoire donné, ou une collectivité territoriale dont l’activité économique constitue un moteur de croissance économique »), les « pôles économiques » (« localité présentant un avantage pour une activité économique ») et les « pôles de compétitivité » (« combinaison d’entreprises, d’universités et de centres de recherche publics ou privés, sur un territoire donné, qui travaillent ensemble autour de projets communs très innovants »).

Jean-Pierre BEJOT

La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 8 avril 2012 à 14:00 En réponse à : « Pôle de croissance de Bagré » : Un autre développement est possible !

    On ne peut que souhaiter la réussite d’un tel projet de développement. Encore faudrait-il que ceux qui le mettront réellement en œuvre sur le terrain soient compétents et sincères. Car le type de développement proposé va à l’encontre de tous les modèles de croissance prônés antérieurement.

  • Le 8 avril 2012 à 21:46, par Etranger En réponse à : « Pôle de croissance de Bagré » : Un autre développement est possible !

    Un grand projet, espérons que la corruption ne viendra pas le "tuer".

  • Le 9 avril 2012 à 14:16 En réponse à : « Pôle de croissance de Bagré » : Un autre développement est possible !

    Monsieur BEJOT, votre analyse est sans conteste à la hauteur des attentes des lecteurs du fasonet.
    Cependant, avec votre vision parcellaire d’occidental, vous ne pouvez jamais ou vous ne voulez jamais examiner les difficultés pratiques liées aux nombreux détournements de fonds à des fins personnelles de nature à faire capoter ces projets qui sont pourtant porteurs si ceux-ci sont bien gérés.
    Si vous ajoutez à cette carence, le sectarisme de certains dirigeants politiques de la région, vous avez tous les ingrédients intégraux de la mal-gouvernance qui, je crois, est génétique à notre Afrique. Pour vos prochaines analyses, merci d’inclure ces éléments. Je crois fermement à ce que les bailleurs de fonds aient leurs représentants locaux occidentaux pour surveiller les opérations de bonne fin de ces projets.

  • Le 11 avril 2012 à 23:26, par Pierros En réponse à : « Pôle de croissance de Bagré » : Un autre développement est possible !

    vous êtes vraiment vraiment sûr et certain qu’il s’agit d’un don de la banque mondiale. Depuis quand une banque donne de l’argent ? Avez vous vu cela où ? Sur quelle planète ? Ou bien c’est sciemment dit pour permettre à nos éternels fossoyeurs de projets de bien l’enterrer allègrement pour après fêter leur nième milliard ? Si c’est ça je comprends, bon courage. Continuer ainsi, nous sommes sur la voie de l’émergence. Ne conscientiser jamais ce peuple sur le poids de la dette extérieure.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)