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Mélégué Maurice Traoré : Il faut toujours tenir compte des dinosaures

Publié le lundi 2 avril 2012 à 02h47min

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Il y a toujours une teinte de plaisir à échanger avec Mélégé Maurice Traoré. Ancien président du Parlement burkinabè, il a longtemps été ambassadeur dans plusieurs juridictions et influent ministre chargé des enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique. Féru des us et coutumes de son terroir et intellectuel de haut vol, Mélégué Traoré fait aujourd’hui partie des dinosaures du Congrès pour la démocratie et le progrès, sa formation politique. L’abondance de l’actualité nous a donc conduits vers le fils de Kankalaba (son village natal) et sans faux-fuyant, il a répondu à nos questions dans un style où au sérieux, au recours historique se mêle par moment un brin d’humour, héritage certainement de son passé de scout.

Le Progrès (L.P) : Que devient Mélégué Maurice Traoré ?

Mélégué Maurice Traoré (M.M.T) : Mélégué est toujours là. Comme je le dis, le " Tinkougouri " (fétiche en langue nationale mooré, ndlr) du Faso, l’eau coule là-dessus, la pluie tombe, mais il est toujours là. Insubmersible. Voilà, c’est ça (rires).

L.P : Mais on vous voit rarement depuis un certain temps… !

M.M.T : Et pourtant je suis là ! Me voilà aujourd’hui devant vous (l’entretien a eu lieu le 17 mars 2012) ! Je suis également présent sur les médias internationaux. Je reconnais qu’on me voit beaucoup à l’étranger et cela est normal en ce sens que j’interviens beaucoup plus à l’extérieur.

L.P : ….donc plus porté à l’international qu’au plan interne !

M.M.T : Oui, parce que je suis quand même un consultant international. J’ai un cabinet qui s’appelle " Africa Consult et Performances " que j’avais créé en 1996 et que j’avais laissé entre temps quand je suis devenu président d’Assemblée nationale pour des questions d’éthique.
J’ai repris il y a 3 ou 4 ans. Dans ce cadre, j’ai une équipe de consultants si bien que j’interviens beaucoup à l’extérieur.

L.P : Est-ce que cela voudrait dire que Mélégué n’a plus d’intérêt pour les questions nationales… ?

M.M.T : Ah non ! S’il y a bien quelqu’un qui a de l’intérêt pour le Faso, c’est moi. Maintenant, c’est quand on me sollicite. Si on ne me sollicite pas je vais là où on me sollicite ! Je suis vraiment très attaché à notre terroir pour ne pas…Non ! J’ai beaucoup d’intérêt pour notre pays. Il n’y a pas de doute là-dessus.

L.P : Vous venez de sortir du Vè congrès ordinaire de votre parti, le CDP, avec les conclusions connues de tous. Quelle analyse en faites-vous ?

M.M.T : Congrès ordinaire mais congrès important. Il est important pour deux raisons au moins. La première, c’est la place du CDP dans le système politique burkinabè. Je dis bien, le système. Pas le régime qui est plus restreint. Et dans le système politique global burkinabè il n’y a pas de doute que le CDP tient une place essentielle, une place centrale. Et c’est pour cette raison que lorsqu’il y a congrès du CDP, naturellement, c’est important pour tout le pays. Mais l’importance du congrès du CDP ne vient pas que de là ! Elle vient aussi de l’étape à laquelle nous nous trouvons dans l’évolution politique du Burkina Faso. Dans l’évolution d’un pays, il y a des moments clés comme celui-là. C’est pour cette raison qu’un congrès comme celui du CDP est vraiment important. Donc, congrès important du fait du rôle du CDP dans la politique du Burkina et important également du fait de l’étape actuelle de l’évolution politique de notre pays.

Faire monter les jeunes et les femmes n’est pas un but en soi ! Le but, c’est de gagner les élections

L.P : Que pensez-vous du nouvel organe dirigeant du CDP ? Pourra-t-il être à la hauteur des défis qui se profilent à l’horizon pour ce parti ?

M.M.T : Il n’y a jamais un bureau d’emblée à la hauteur, c’est un bureau qui se met à la hauteur. Je veux dire qu’un organe, une fois qu’on l’a constitué, c’est à lui de se montrer à la hauteur ! Ce n’est pas écrit à l’avance. C’est très important de le savoir parce qu’on entend beaucoup de commentaires sur le nouveau secrétariat exécutif. Vous avez ceux qui pensent que c’est bon parce qu’on a fait monter beaucoup de jeunes et de femmes tout comme ceux qui pensent que ce n’est pas bon parce qu’on a mis de côté tous les dinosaures du parti. A chacun son commentaire ! Dans ce domaine, j’ai une approche relativement différente des autres car j’estime que, une fois un organe est mis en place, la question c’est qu’est-ce qu’il fait ? Comment il se situe lui-même et comment il prend en main les affaires du parti ? En tout cas, ce qu’on avait souhaité dès le départ, à savoir qu’il y ait des mutations internes pour faire plus de place aux jeunes et aux femmes est acquis. Mais, faire monter les jeunes et les femmes n’est pas un but en soi !

Le but, c’est de gagner les élections, renforcer sa position dans le système politique et dans ce sens, faire monter les jeunes et les femmes doit être vu comme un moyen de renforcer les dispositifs du parti pour être fort dans le système politique. Voilà pourquoi je dis que tout dépend de la façon dont la nouvelle équipe se positionne, comment elle est déterminée et comment s’approprie-t-elle les objectifs et les démarches du parti. Beaucoup de choses vont dépendre de ça. Dans le milieu scout (il a longtemps été chef scout, ndlr), et dans la formation du scout on nous a toujours dit qu’un groupe, c’est le " potestad " et le " potencia " (mots d’origine espagnole), c’est-à-dire l’énergie de production et l’énergie d’entretien. L’énergie d’entretien, c’est quand le groupe passe tout son temps à régler ses problèmes internes. Dans ce cas, il n’a évidemment pas le temps de s’occuper de ses objectifs. L’énergie de production, c’est quand le groupe fait tout pour poursuivre ses objectifs, extérieurs à lui-même.

Donc, un groupe doit maximiser sur cette dernière et c’est ce qu’on attend de la nouvelle équipe. J’ajoute bien que cela doit être sans complexe parce qu’une équipe qui n’a pas confiance en elle-même est une équipe qui est perdante et que chaque individu du groupe doit avoir confiance en lui-même.
Vous avez une autre dimension de ce que j’appelle les dinosaures, les éléphants ou si vous le voulez, les vieux crocodiles. En Afrique, c’est toujours important. Quand vous arrivez dans une rivière, vous avez toujours de vieux crocodiles qui sont toujours là. Vous les voyez, toujours là, bien balaises… Ce sont des crocodiles qui, généralement, ne dorment pas. Même quand ils dorment, il y a un œil qui est ouvert et l’autre qui dort. Quand ils sont dans l’eau, il y a un œil qui regarde sous l’eau et un autre regarde dehors. Eh bien, il vaut mieux toujours tenir compte de ces dinosaures-là. Donc, tout va dépendre de ce qu’on va faire de ces dinosaures, du rôle qu’ils vont jouer. Ce sont les fameux Conseillers politiques nationaux, nouvelle catégorie.

L.P : …dont vous faites partie !

M.M.T : Effectivement ! Et je comprends que le rôle de ces dinosaures, c’est d’être un appui à la nouvelle équipe. D’être ensuite une véritable force de frappe à la base. Il y a la force exécutive et la force de frappe à la base. Vous savez, gagner des élections aujourd’hui au Burkina Faso va dépendre de deux choses pour le CDP : premièrement, les performances de l’équipe exécutive ; deuxièmement, le rôle des Conseillers politiques nationaux sans lesquels dans nombre de régions ça peut être difficile. Dans une dynamique inclusive, et je pense que notre secrétaire exécutif Assimi Koanda a le potentiel pour ça, c’est-à-dire avoir une démarche qui arrive à faire qu’on ait cette espèce de communion, d’agrégation entre les performances entre l’équipe des jeunes, l’équipe exécutive et la base extrêmement solide des dinosaures.

L.P : Pensez-vous que la mayonnaise va prendre aussi facilement ?

M.M.T : Elle va prendre, qu’est-ce que vous croyez ? Je le disais sur une chaîne internationale à Dakar que le CDP ne s’éclatera pas comme les gens l’avaient prédit. Les gens l’avaient prévu depuis 20 ans. Le deuxième élément important qui fait que le parti restera toujours fort est que chacun sait, au sein du parti, que pris individuellement, aucun d’entre nous ne peut gagner. C’est parce qu’on est uni et cet instinct d’union et de cohésion doit et va toujours demeurer. C’est pourquoi je n’ai pas peur sur ce plan.

L.P : Mais il y a la réalité aussi que la jeunesse n’a pas été formée à la gestion de la chose politique. Une réalité, malheureusement, partagée par l’ensemble des partis politiques au Burkina !

M.M.T : Oui, c’est vrai mais c’est là qu’interviennent les dinosaures. Si vous prenez l’ensemble des 45 provinces (la circonscription électorale étant la province pour les élections législatives, ndlr) que compte notre pays, dans la majorité, gagner les élections ne passera pas par les jeunes qu’on met en avant. ça va passer par la détermination de ceux qui ont l’expérience. C’est la conjugaison entre l’innovation et la permanence qui fait le succès du parti. Il y a des variations qui viennent de l’innovation, on fait injecter du sang neuf. Ce qu’on appelle en sociologie, la mobilité sociale ascendante. C’est la montée de la jeunesse. Et vous avez la permanence, qui donne l’assurance. Elle est incarnée par les anciens et ça, il ne faut pas se flatter. Or, remarquer que jusqu’à présent, c’est comme cela que fonctionne le CDP. C’est cette capacité qu’on a de créer la conjonction entre les deux dynamiques.

L.P : Tout de même, le CDP n’est-il pas en train de perdre l’ascendance qu’il avait par rapport aux autres partis ?

M.M.T : Vous dites cela par rapport à quoi ?

L.P : Par rapport surtout à l’arrivée sur la scène de nouveaux partis de l’opposition, dynamiques, ambitieux et animés par des jeunes et qui s’implantent tandis que le CDP cherche une nouvelle dynamique quand bien même il est majoritaire !

M.M.T : Non, non ! Mais, je suis d’accord et c’est là que le CDP doit savoir… Vous savez, aujourd’hui la question ce n’est plus l’information. Tout le monde peut être informé grâce aux journaux, à l’Internet etc. Mais l’intelligence des faits, tout le monde ne l’a pas. Et jusqu’à présent, la force du CDP, c’est l’intelligence des faits et des situations. C’est là que nous pouvons l’emporter sur les autres. C’est-à-dire que nous devons faire une analyse objective et bien comprendre que nous sommes menacés et que les élections à venir vont être extrêmement difficiles ! Comprendre que les nouveaux partis politiques sont en train de gagner du terrain, qu’ils se battent ! Il revient donc au CDP de forger les mécanismes pour contrer l’avancée des nouveaux partis (ou des autres partis, même s’ils étaient là depuis longtemps). Je pense que si on sait s’organiser, nous partons d’une bonne base qu’aucun parti n’a. Il nous appartient de comprendre que nous ne pouvons pas contrer l’avancée des autres partis avec les mécanismes de l’ancien temps.

Les mécanismes du passé vont disparaître parce qu’ils ne sont pas toujours efficaces. Par exemple, le travail de terrain que nos frères de l’UPC (Union pour le progrès et le changement, ndlr), je dis bien nos frères parce que la politique ce n’est pas l’inimitié. Il n’y a personne qui n’aime pas le Burkina Faso, que ce soit de la majorité ou de l’opposition, nous aimons tous notre pays. C’est ma conviction et ma vision des choses. Alors, le travail de terrain que fait ce parti par exemple doit être fait par le CDP qui doit redescendre aussi à la base (repartir dans les villages et hameaux, vers les anciens et les femmes, les familles, etc.). Rien ne doit aujourd’hui être négligé sur ce plan. Si nous faisons cette démarche de base, je ne vois pas dans le pays, pour le moment, un parti capable de l’emporter sur le CDP.

Dans aucun pays au monde on décrète à un certain moment donné que telle génération va prendre la place de telle autre

L.P : Pensez-vous vraiment que les anciens sont prêts au sein de votre parti à soutenir la candidature d’une jeunesse qui cherche de l’ascendance ?

M.M.T : Le fait qu’on place les jeunes au sein du parti ne veut pas dire que c’est forcément un jeune qui sera candidat !

L.P : La jeunesse revendique aujourd’hui plus de responsabilité, plus de postes… !

M.M.T : Tout à fait ! Mais tout ça se discute et c’est transactionnel ! Le but, comme je l’ai dit, n’est pas de mettre dans un village à Kankalaba (sa commune d’origine située dans la province de la Léraba, dans la région des Cascades) un jeune candidat tout en sachant qu’il va perdre. C’est pour cela que je parle de l’intelligence des faits. Ça peut lui faire plaisir mais il ne va pas s’en sortir et ça ne rendra pas service au parti. Donc, là où c’est clair qu’en amenant du sang neuf ça peut marcher il faut le mettre. La responsabilisation n’est pas une question de candidature à des élections. Ce que revendiquent les jeunes aujourd’hui est tout à fait légitime et il ne faut pas voir cela uniquement sous l’angle des candidatures aux élections sinon on part perdant. Il y a toute une évolution qui va se faire progressivement à tous les niveaux dans l’harmonie et c’est cela qui manque souvent aux partis. Un système politique, c’est d’abord un processus social. Dans aucun pays au monde on décrète à un certain moment donné que telle génération va prendre la place de telle autre. Non ! C’est un processus social, donc par osmose et le CDP a assez d’intelligence pour ça.

L.P : On voit aujourd’hui une jeunesse qui force, qui a de l’ambition, qui aspire mais qui n’a malheureusement pas assez de formation. Est-ce que vous, à votre niveau, en tant qu’aînés, vous n’avez pas failli au devoir de formation de la relève, d’une jeunesse à la fois intellectuellement bien portante et politiquement avertie ?

M.M.T : Attendez, il faut faire des comparaisons qui tiennent. Lorsque nous étions là à 25 ans, il y avait combien de classes de terminales dans le pays ? 3 ou 4 ! ça veut dire que les cadres étaient rares ! Mais aujourd’hui, il y en a plusieurs centaines ! C’est dire qu’aujourd’hui, un jeune qui sort n’a plus les mêmes atouts que nous. A notre temps, il y a 100 ou 200 bacheliers dans tout le pays alors qu’aujourd’hui on en dénombre des milliers. Donc, à chaque période sa caractéristique. Ce qu’on peut faire aujourd’hui, nous nous avons la soixantaine ou à peu près, c’est dire que l’avenir du parti et du pays ce n’est plus nous, l’avenir ce sont les jeunes et il faut s’organiser de sorte que la transition se fasse de façon harmonieuse. C’est pourquoi je dis qu’il faut savoir gérer l’espace qui existe entre l’innovation (les jeunes) et la permanence (les anciens) et il revient au parti de le faire et les jeunes, je pense, doivent être ouverts à cela. C’est-à-dire ne pas s’imaginer qu’ils doivent remplacer automatiquement les anciens, parce que ça ne va pas marcher. Aux anciens également qui doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas rester éternellement aux postes ! C’est cette gestion que j’appelle l’intelligence des faits et des situations.

L.P : Dans ce contexte, quel est votre avenir politique ?

M.M.T : Personnellement, je n’ai jamais considéré que mon avenir est d’abord politique. J’ai toujours considéré que je suis d’abord un cadre, un commis de l’Etat, que je suis d’abord un intellectuel. Donc, si aujourd’hui, je ne suis plus en politique, je continue mes activités intellectuelles. Et, croyez-moi, je ne suis pas le dernier dans ce domaine. Si politiquement on estime que je peux faire telle ou telle chose, j’y vais volontiers. Par contre, si le parti estime que je ne peux pas le faire, je n’y vais pas parce que je ne suis pas le genre de personne à insister pour aller là où on n’a pas besoin de moi. En revanche, une chose à laquelle je ne renonce jamais, c’est mon activité intellectuelle et mon activité diplomatique et je crois que j’ai les moyens pour continuer à agir dans ces deux domaines-là.

L.P : L’une des priorités de votre parti à l’issue du Vème grand rendez-vous, c’est de travailler à redonner confiance à la base. Ce qui suggère le fait qu’il y avait une rupture d’avec celle-ci. Or, on a pu observer à un certain moment vos nombreuses sorties à la base. Peut-on dire que vous aviez senti venir…

M.M.T : Non, ce n’est pas une vision d’anticipation mais c’est une démarche que j’ai adoptée depuis pratiquement 1990 où je suis entré dans l’ODP/MT (Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail, ndlr). Je n’ai jamais pensé, sincèrement parlant, qu’on pouvait, à partir de Ouagadougou, diriger sérieusement les provinces. Je crois fort, en ce sens qu’à part quelques-uns, nous sommes tous des émanations du village, le lien avec cette base doit être permanent. J’ai toujours cru au fait que pour cette raison, si tu ne repars pas constamment au village, tu ne peux pas réellement traduire les aspirations de la base. Moi, je suis né au village. Je n’ai connu aucune grande ville avant l’âge de 18 ans (la classe de seconde). J’y ai grandi et ai bossé. J’ai eu la chance d’avoir un collège tout près à Toussiana (commune située dans la province du Houet dans la région des Hauts-Bassins, ndlr) et je faisais la navette entre ce lieu et Kankalaba, mon village. Et donc, j’en ai gardé une idée précise que le lien doit être permanent. Et c’est l’une des raisons d’ailleurs pour lesquelles je suis viscéralement opposé au parachutage. C’est-à-dire que des gens qui sont en ville soient parachutés au village comme maires, comme conseillers municipaux lorsqu’ils n’ont pas de lien permanent avec le village. L’élite que nous avons, qui est une élite urbaine et intellectuelle, ne se rend pas compte qu’il est en train de se constituer une nouvelle élite à partir du village. Tant que nous avons 10 ou 15% de scolarisation, ce que je dis était faux. Mais aujourd’hui, quand vous avez 50 ou 60% de scolarisation, il faut savoir que maintenant, les jeunes des villages, les paysans eux-mêmes ont une culture qui n’est pas très loin de la nôtre.

Et une vision des processus socio-commerciaux qui n’est pas pareille. Quand un paysan à Kankalaba peut gagner jusqu’à 20 millions de revenus par an, qu’il sait lire et écrire, qu’il regarde Internet et suit les grandes chaînes de télévisions internationales comme vous, pensez-vous que vous avez quoi de plus que la personne ? Juste parce que vous êtes à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Fada ou à Banfora, etc ? Mais c’est la rigolade ! C’est de la rupture complète avec la réalité. Il y a une réalité sociale à laquelle nous devons tenir compte et c’est pour cette raison que moi j’ai toujours estimé que je dois rester toujours lié au village. En matière électorale, j’ai toujours compté non pas avec les ressortissants qui sont dans les villes mais plutôt sur mes contacts dans les villages. Si vous avez l’occasion d’aller avec moi au village vous allez vous rendre compte vite de ça (et je vous invite parce qu’en avril je reprends mes tournées). Si les ressortissants peuvent aider, tant mieux mais ma principale relation avec n’importe quel village de la région des Cascades, c’est d’abord avec les villageois.

Il faut éviter que la terre ne soit le point de départ de conflit

L.P : Pourquoi vous vous intéressez aussi tant ces derniers moments au foncier rural ?

M.M.T : En fait, ce que je pense, c’est que nous prenons beaucoup de textes à partir de Ouagadougou, et que les personnes pour lesquelles nous prenons ces textes ne sont même pas au courant. Hors, au fur et à mesure qu’on avance, le foncier rural devient un enjeu essentiel. La RAF (Réforme agraire et foncière, ndlr), à son temps, a été considérée comme un acte révolutionnaire c’est vrai, mais malgré tout elle a été mise en application quelque part en déphasage avec la réalité dans les villages. Par la suite, on a essayé de corriger, de faire beaucoup de choses. Aujourd’hui, la question foncière peut devenir un problème explosif dans certaines zones du Burkina. Moi, j’ai un champ à Bakata (commune située dans la province du Ziro dans la région du Centre Ouest, ndlr) dans la zone de Sapouy, j’ai vu détruire autour de moi l’environnement, j’ai vu comment des hauts fonctionnaires s’accaparent des terres des villageois. Je ne dis pas qu’ils ne doivent pas les prendre, ça dépend ; si vous avez pu discuter avec les propriétaires fonciers ou pas, normalement quand vous ayez 50 ou 150 hectares ça peut se comprendre parce que ce n’est pas énorme. Mais quand quelqu’un à 750 hectares cela pose problème.

Dans un pays comme le Burkina Faso, où les terres vraiment fertiles ne dépassent pas le 1/3 du territoire national, je dis qu’il y’a un problème. Même si on pouvait douter de ce que je dis, il faut regarder les réactions des villageois par rapport à cette question. L’Assemblée nationale a déjà pris connaissance de ces problèmes, puisque des études ont été menées et l’équipe qui est partie l’a alertée sur la question. Je pense que le débat doit continuer à l’Assemblée nationale. Je connais l’un de mes adversaires politiques dans les Cascades qui se promène partout pour dire aux villageois qu’on a décidé de retirer leurs terres et de les remettre aux Mossis (c’est une façon de parler). Il a aussi fait savoir aux villageois qu’il faut payer 2 millions pour avoir les terres. En réalité, c’est lui-même qui avait retiré ces terres aux villageois, et quand il a voulu faire les titres fonciers on lui a réclamé 2 millions de taxes. Il a transféré ça maintenant sur les paysans.

C’est pour cette raison que j’ai photocopié les textes pour les distribuer aux fonctionnaires des villages pour qu’ils puissent les véhiculer aux villageois parce qu’en réalité, c’est par eux qu’on passe pour manipuler les villageois. Et par cette manière, je profite pour leur expliquer le contenu de cette loi lors de mes tournées. C’est au moins un avantage, il n’y pas quelqu’un qui peut dire qu’il connaît la loi mieux que moi, ce n’est pas possible. Tu peux connaître mille choses plus que moi, mais pas de la manière qu’on rédige une loi. Je crois qu’il y’a un problème de foncier rural au Burkina et il faut éviter que la terre ne soit le point de départ de conflit.

Les Africains sont les seuls qui ne sont pas
fiers de ce qu’étaient leurs ancêtres

LP. Parlant des sorties en province, on entend souvent dire que vous avez des pouvoirs mystiques

M.M.T : Et alors ?

LP. : Juste pour avoir la confirmation !

M.M.T : Si vous croyez au pouvoir mystique, j’en ai. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce sont des pouvoirs que j’ai acquis de mon village. Il y’a rien de nouveau dedans, il y’a rien d’exceptionnel dedans. Si j’ai des caractéristiques, ce sont des caractéristiques de types traditionnels. Si j’ai des pratiques, ce sont des pratiques de types traditionnels. Justement, l’anomalie, c’est de savoir que les gens ne soient pas liés à leur communauté de cette façon. C’est plutôt ça qui est grave. J’ai un ami qui est recteur de l’université de Djeddah ( ou encore Jeddah, 2ème ville d’Arabie Saoudite, ndlr). Il m’a souvent dit que : " Les Africains sont les seuls qui ne sont pas fiers de ce qu’étaient leurs ancêtres, et paradoxalement ils sont fiers de ce qui a été importé ". ça donne à réfléchir. J’ai entendu souvent parler des pouvoirs que j’ai. Quoi de plus normal ? Ce n’est ni plus, ni moins que je suis un Sénoufo pur et je revendique cela. Et je pense que chacun doit revendiquer d’être ce qu’est sa communauté et les valeurs de sa communauté. Si vous voulez vous confronter à d’autres et gagner, il faut d’abord que vous croyez en vous-mêmes.

L.P : Vous avez créé une initiation dans votre village ?

M.M.T : Non, je n’ai pas créé une initiation dans mon village. Cela existe, il y a belle lurette.

L.P : Est-ce que vous faites des cérémonies rituelles ?

M.M.T : Je m’apprête à aller en avril au village. Je vais chaque année dans mon village pour les rites. Actuellement, je suis en partance pour la Présidentielle sénégalaise, de retour, je vais à Kampala (capitale de l’Ouganda) pour la conférence annuelle de l’Union inter-parlementaire. A mon retour au pays, naturellement, je vais aller au village pour la fête des fétiches où je ne peux pas m’absenter. Et même mes enfants qui fréquentent aux Etats-Unis viennent participer.

L.P : Nous venons de traverser une crise il y a à peine un an, avec toujours des séquelles. Quelle est votre lecture ?

M.M.T : C’est vrai que nous avons traversé une crise aiguë, et cette crise interpelle le gouvernement. Mais quand on fait une analyse de ce problème, le gouvernement a su résorber cette crise qui a beaucoup secoué le pays. J’ai déjà dit dans un journal de la place que l’essentiel, c’est de penser que cette crise est finie. Je ne dis pas que tout est ok, mais je dois quand même louer la vigilance du gouvernement, même si actuellement tout n’est pas parfait parce que le Burkina Faso n’est ni le paradis ni l’enfer.

L.P : Vous êtes un député de l’Assemblée nationale qui fête ses 20 ans. Du bilan que l’on en fait, on dit que l’institution n’existe que pour la forme.

M.M.T : Ce n’est pas vrai.

L.P : Mais, c’est le regard et l’analyse que nombre de citoyens font aujourd’hui de l’Assemblée nationale.

M.M.T : Oui, ceux qui le disent ne sont pas de l’Assemblée nationale. Sinon, les lois qui sont votées par les députés, ce sont ces lois qui permettent au Burkina d’être visiblement démocratique. Je crois qu’il faut juger l’Assemblée pour ce qu’elle fait. Des enquêtes parlementaires sont menées par l’Assemblée et c’est grâce à elle que le budget national est contrôlé. Autour de nous on considère que le Burkina Faso est le meilleur pays concernant l’examen du budget. La principale raison pour laquelle l’Assemblée existe, c’est légiférer. Généralement, les gouvernements africains ne sont pas habitués du tout à être contrôlés. Même ici, il a fallu du temps pour que le gouvernement accepte d’être contrôlé. Je me rappelle la route Boromo- Bobo-Dioulasso (route nationale n°1 reliant les deux capitales du pays, ndlr) qui, juste après son exécution, s’est dégradée. C’est une mission d’information de l’Assemblée nationale qui a mis à nu le problème.

Nous sommes actuellement dans un processus d’enquête sur les marchés publics, il y a quelques années, personne n’aurait admis une enquête parlementaire sur un sujet sensible comme celui-ci. Ce que je peux dire, c’est que l’Assemblée fait un travail formidable. Je ne dis pas que tout est parfait, mais il y a de quoi à féliciter l’institution. Souvenez-vous de l’histoire de Norbert Zongo(journaliste burkinabè, ancien directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant assassiné le 13 décembre 1998, ndlr). L’image du Burkina était malmenée à l’extérieur. Quel a été le premier grand événement diplomatique qui a projeté le Burkina sur la scène internationale ? C’est la 106 ème Conférence de l’Union interparlementaire où le monde entier était là. C’était dimanche soir, et mardi il y a eu le 11 septembre 20O1 (attentats suicides perpétrés contre les Etats-Unis via le World Trade Center, ndlr). Il fallait gérer les 1500 parlementaires sur notre sol.

L.P : Aujourd’hui, la question principale aussi c’est l’augmentation du nombre des députés. Votre avis ?

M.M.T : Non, il y a deux choses aujourd’hui. Il y a la création d’un Sénat qui sera une seconde chambre et l’autre idée, c’est l’augmentation du nombre de députés. Ce que je peux dire, et c’est à titre personnel, à écouter les gens au niveau des assises nationales, il ne sera pas facile de justifier l’augmentation du nombre de députés et celui de la création du Sénat car cela est coûteux. Je dis cela parce que j’entends çà et là ces raisons qui sont évoquées par la population.

Il ne sera pas facile de justifier l’augmentation
du nombre de députés et celui de la création du Sénat

L.P : Etes-vous pour la création d’un Sénat ?

M.M.T : Longtemps j’ai été opposé aux 2èmes Chambres, je le dis clairement. En août 2001, dans un organe international, j’avais déclaré qu’un pays comme le Burkina n’a pas besoin de deux chambres pour voter des lois. Mais ma position a évolué en grande partie grâce à mon cabinet de consultation. A force de sillonner les continents, je me suis aperçu dans un premier temps qu’il y a une tendance générale à la création des Sénats. Il y a plusieurs justifications à cela. L’une des justifications est la représentation des collectivités locales qui est différente de la représentation des populations, cette dernière passe directement par le suffrage universel direct (la chambre des représentants des Etats-Unis est l’exemple type).

Dans les Etats fédéraux, vous avez la représentation des Etats fédérés ou dans les cas où il y a une grande décentralisation, il y a la représentation des collectivités locales qui est assez différente de la représentation des populations. Il y a vraiment des intérêts soit des Etats fédérés soit des collectivités qui ne peuvent être assurés que par une chambre parlementaire. Vous avez ensuite comme argument qui est utilisé le perfectionnement législatif. On a observé un peu partout que la qualité des lois augmentait quand on a une seconde chambre qui peut reprendre les lois. Une Assemblée, malgré tout, ce sont des passions politiques et quand vous avez une chambre, elle apaise cela et c’est la raison pour laquelle une fois la loi votée, on l’envoie au Sénat. Généralement, le texte revient avec beaucoup plus de rationalisation.

A cela, s’ajoutent certains pouvoirs spécifiques qu’on préfère réserver au Sénat et comme dans beaucoup de pays, le Sénat est considéré comme la chambre des sages. Dans ce cas-là, vous avez des pouvoirs lourds qu’on donne au Sénat parce que c’est beaucoup plus posé. La révision de la constitution, le référendum sont par exemple réservés au Sénat. Si le parlement (Sénat), comme le souhaitent certains, doit contrôler les nominations aux hauts postes (dans nombre de pays, l’exécutif ne nomme plus comme ça), c’est un contrôle lourd de l’exécutif. Vous avez également des situations spécifiques qui sont liées au fait que le Sénat sert aussi de structure de médiation sociale, c’est-à-dire de temporisation des conflits. L’exemple typique que j’ai vu, et c’est pourquoi je pense que c’est important, il m’est arrivé d’aller au Mali il y a 3 ou 4 ans pour animer un séminaire à Mopti pour essayer d’apaiser les rapports entre les touaregs et les communautés. C’est le genre de compétences qui sont typiques d’un Sénat.

Il y a également le cas du Burundi et du Rwanda où il y a eu les génocides et les graves conflits que vous connaissez. Aujourd’hui, le Sénat au Rwanda qu’au Burundi ont été conçus pour cela. Au Burundi, les tensions sociales, les tensions politiques graves sont gérées par le Sénat. C’est pour cette raison que dans la constitution de ce pays, tous les anciens chefs d’Etat sont membres de cette chambre à vie. Curieusement, vous allez aujourd’hui à Bujumbura (capitale du Burundi, ndlr) vous êtes frappés parce que lorsqu’il y a des questions graves, qui vous trouvez en avant pour réfléchir là-dessus ? Ce sont Jean-Baptiste Bagaza, Président de la République du Burundi (1976-1987), ndlr), Pierre Bouyoya (homme politique et militaire burundais qui dirigea le pays deux fois de 1987 à 1993 puis de 1996 à 2003, ndlr) etc., qui se sont combattus à mort avant parce que les uns sont Tutsis et les autres sont Hutus. Tous les trois sont aujourd’hui au Sénat et quand vous partez les voir ensemble assis en train de discuter, vous êtes obligés d’admirer le système.

En contrepartie, c’est qu’il est interdit au Sénat burundais des groupes parlementaires pour qu’il n’y ait pas de confrontation. Le Sénat se justifie par là et avant j’ai été longtemps opposé à ça. Mais l’expérience m’a montré autre chose. Une chambre, quel que soit ce qu’elle est, coûte. Mais il y a beaucoup d’autres structures dans notre pays qui coûtent cher alors que personne ne les a élues !

L.P : Un exemple ?

M.M.T : Je ne vais pas les citer parce que les gens n’aiment pas ça au Burkina ! (Rires)
Vous avez des structures ou cadres qui se créent pour adopter des stratégies. On réunit des techniciens pour dire qu’on va valider ceci ou cela mais personne ne les a élus pour ça. Mais une fois ils ont donné leur ’’imprimentro’’ on dit c’est bon. Mais c’est grave ! Ce sont des choses qui reviennent normalement à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est pourquoi je dis que l’idée d’avoir un Sénat ici est bonne mais à condition que la composition de celui-ci soit bien étudiée et que l’effectif aussi ne soit pas très pléthorique et que les compétences qu’on lui donne soient vraiment claires. C’est gérable. Mais il ne sera pas raisonnable de créer un Sénat et d’augmenter de manière inconsidérée le nombre de députés.

L.P : En ce moment, le Conseil économique et social (CES) doit disparaître !

M.M.T : Non, je pense que ce n’est pas la même chose. Il y a des pays où le CES a disparu, ça je le reconnais. Le CES est considéré comme une structure de réflexion et de conseils à l’Assemblée nationale et à l’exécutif. C’est tout à fait autre chose et c’est baser sur les catégories sociales. C’est donc un forum de propositions, de réflexions et de conseils. Mais ce qui s’est passé chez nous, c’est que ce rôle a toujours été joué pour l’exécutif. Je me souviens bien que quand nous avons travaillé sur la révision constitutionnelle d’avril 2000, certains avaient exprimé l’idée que le CES soit aussi un conseil pour le Parlement. A mon avis, il faut élargir cette assiette, cette matrice à partir de laquelle agit le CES.

L.P : Vous êtes un consultant international dans le cadre de votre cabinet. Quels sont les domaines dans lesquels vous intervenez ?

M.M.T : Effectivement, mon cabinet de consultation international " Africa Consult et performance " intervient dans tout ce qui est politique publique (tout ce qui est intégration régionale) et tout ce qui concerne les institutions représentatives (la décentralisation, les parlements nationaux et communautaires, les constitutions). C’est vraiment centré, malgré tout, sur l’intégration qui est le secteur le plus important pour moi en ce sens que, pour moi, l’avenir c’est ça. Il y a des domaines sur lesquels j’interviens mais cela est plus lié à ma personne qu’à autre chose. C’est le fait par exemple qu’ayant été longtemps le patron du scoutisme et connaissant de ce fait les questions de jeunesse, on me consulte beaucoup également sur ces questions.

Et puis évidemment tout ce qu’il y a comme médiations parce que j’en ai beaucoup fait dans ce domaine également dans le cadre de certaines organisations internationales. En janvier 1998, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie avait envoyé au Burundi une équipe pour conciliation et qui était dirigée par moi-même. C’est dans ces missions que j’ai pris goût à ces questions de médiation. Sans oublier que j’écris beaucoup aussi pour des organismes internationaux sur des thèmes divers. Ce sont donc mes activités en dehors du parlement.

L.P : ça fait quand même trop ! Où est-ce que vous puisez toute cette énergie ?

M.M.T : Je vous ai dit que je suis un Sénoufo, non ! Ce n’est pas mieux comme cela ? Au fait, je garde ça de mes valeurs traditionnelles, pas autre chose. C’est comme vous ! Tous ceux qui sont nés au village ont des caractéristiques : ils travaillent beaucoup, énormément. Et il y a une boutade que je donne toujours : quand vous êtes le fils d’un pauvre, vous devez toujours vous couchez le dernier et vous réveiller le premier avec une seule caractéristique, travailler et toujours travailler. D’ailleurs, ce devrait être notre devise au Burkina. Nous n’avons pas de ressources. Donc c’est par notre travail que nous nous imposons ! Et aujourd’hui, ce pays avance grâce à quoi ? Au travail parce qu’on n’a pas de ressources ici mais quand tu y viens tu es quand même fier. D’autres pays sont immensément riches que nous en ressources mais quand tu t’y retrouves tu es découragé. Je le fais tout simplement parce que j’ai un tempérament de travailleur. Rien de spécial.

L’OTAN doit prendre ses responsabilités
et aider clairement le Mali politiquement
en réaffirmant l’intégrité du territoire malien

L.P : Le Mali est en train de vivre une situation difficile avec l’irruption d’un nouveau groupe qui ne se réclame pas séparatiste mais vient certainement alourdir l’atmosphère. Comment vivez-vous cette situation que vit la République sœur du Mali ?

M.M.T : La question touarègue est vieille. A l’époque coloniale, les Français n’avaient pas pu résoudre la question. Quand il y a eu l’indépendance en 1962, Modibo Keita était confronté à ce problème. La question touarègue n’a jamais été totalement résolue, ni au Mali ni au Niger. Vous savez qu’il y a également des Touaregs en Algérie, en Libye et un peu au Tchad et en Mauritanie ! Je pense que cette question montre la fragilité des Etats africains. Elle est plus grande à cause de la morphogenèse des Etats, des Etats qu’on a constitué à cheval sur le monde noir et le monde arabe (le monde blanc et le monde noir). Mais il y a également des raisons conjoncturelles qui sont liées à la façon dont les occidentaux ont géré la question libyenne. J’estime que la déstabilisation actuelle du Mali est le fait de l’OTAN (organisation politico-militaire qui rassemble de nombreux pays occidentaux, ndlr), personne ne peut me convaincre du contraire. Les occidentaux ont tenu coûte que coûte à faire partir Kadhafi et ils se sont tellement fixés sur ce départ qu’ils n’ont pas analysé les conséquences et les effets.

Or, l’un des principaux effets, c’est que la Libye qui n’était pas un Etat (depuis 1969 la Libye n’est pas un Etat, c’est un espace encadré par des frontières mais l’Etat qui doit fonctionner n’existait pas), l’Etat c’était la personne de Kadhafi. Mais ils n’ont pas analysé ce que ce départ allait créer, c’est-à-dire les nombreuses quantités d’armes (et la qualité d’armes également). Imaginez-vous, il y a des missiles dedans ! Ces armes se sont dispersées dans la sous-région là-bas. Le Mali n’a pas de frontières avec la Libye ! Comment les armes ont pu y arriver donc ? C’est que les armes ont été dissimulées (des journaux internationaux ont essayé de faire une carte de dispersion de ces armes et des différentes directions qu’elles ont prises) et c’est effrayant. Effrayant parce que l’armée malienne n’a pas la capacité de résister à ça, en ce sens que les gens qui sont venus sont des combattants en Libye et ils ont des armes tellement perfectionnées qu’il ne faut pas demander au Mali tout seul de régler cette question. Premièrement, l’OTAN doit prendre ses responsabilités, être engagée dedans aussi (je ne dis pas de venir combattre mais elle doit clairement aider le Mali politiquement en réaffirmant l’intégrité du territoire malien et l’aider aussi par des équipements si nécessaire).

Deuxièmement, il faut qu’on considère cette question comme étant celle de la CEDEAO parce que ce qui est en jeu, ce n’est pas l’avenir du Mali seul. L’Azawad (mot tamasheq signifiant "le territoire de transhumance) telle que la conçoivent les touaregs, c’est une bonne partie du Mali et du Niger avec quelques excroissances. Mais, vous savez très bien également que le nord du Burkina est concerné ! Donc, il faut que les gouvernements de la sous-région, de manière déterminée (et à condition bien sûr que le Mali le veuille bien parce que ce sont des domaines dans lesquels on ne peut intervenir si le gouvernement concerné n’est pas d’accord) pour régler cette affaire. Sinon ça peut aller loin. Il y a 5 ou 6 ans, il y avait eu une tentative de créer une république touarègue au Niger qu’ils avaient appelée la république et ils avaient fait un drapeau, une devise (tout était près) et c’est la même chose qu’on a affaire avec le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad). Donc au Mali, tout doit être fait de manière inclusive parce que les gens ne prennent jamais les armes au hasard.

Il faut donc examiner le pourquoi et essayer d’agir sur ces causes. Et en la matière quand une région est assez spécifique comme cela, on ne peut pas éviter la décentralisation. C’est donc un problème géopolitique énorme qui nous concerne tous.

L.P : Vous êtes en partance pour Dakar en qualité d’observateur de l’élection dont le second tour a lieu le 25 mars. Ayant vécu les différentes étapes du processus jusqu’à aujourd’hui, et avec les différents scénarii qui se laissent voir, quel est votre regard sur l’avenir politique de ce pays ?

M.M.T : Je n’ai pas d’inquiétude sur ça. C’est un pays qui a de l’avenir. Il a l’avantage d’avoir une très bonne élite. Et n’oubliez pas qu’on vote au Sénégal depuis 1848 ! Les Sénégalais ont des députés depuis le milieu du XIX ème siècle (même si Blaise Diagne était le 1er député noir, il n’était pas le 1er député sénégalais) ! Juste pour vous dire qu’ils sont habitués il y a très longtemps et ils ont une très bonne élite intellectuelle. J’ai été ébahi par les débats que j’ai vus là-bas sur les chaînes locales. Les élections (le 1er tour) se sont très bien déroulées quand bien même les campagnes ont été très difficiles. On est impressionné par l’organisation, la discipline des électeurs. Bien que le système électoral soit resté traditionnel, puisqu’ils n’ont pas de bulletin unique, c’est toujours l’ancien système de bulletin individualisé.

Il y avait 14 candidats et ils étaient obligés d’imprimer 6 millions 5 cent mille bulletins par candidats. Or, malgré tout cela, le Sénégal est arrivé à contenir dans les coûts de 20 milliards pour l’ensemble des élections présidentielle, législatives (en juin) et le Sénatorial (en septembre). C’est un exploit ! Ce moment est donc pour moi un temps fort de la vie politique du Sénégal et je n’ai aucune inquiétude pour l’avenir politique de ce pays. Ils sont à la hauteur.

L.P : Vous avez été, en tant que président de l’Assemblée nationale, un des collaborateurs du président Blaise Compaoré. Quelle image vous a-t-il laissé et comment jugez-vous ses actions ?

M.M.T : Je crois que c’est un président qui a réussi. Au moment où il a pris le pouvoir, dans les deux années qui ont suivi, personne ne savait qu’il sera au pouvoir pendant longtemps. Je veux dire par là que le régime a pu s’asseoir, se consolider et on a à son actif, une stabilité du pays qu’on n’avait jamais connue.

Aujourd’hui, si le Burkina peut avancer, c’est grâce aussi à la stabilité. On ne doit pas, à mon avis, négliger cet aspect. Tous les débats qu’on mène, c’est parce qu’on est stable. Mais l’époque où on était à un coup d’Etat chaque lundi, cette période-là, Dieu merci, est, j’espère, derrière nous. Je trouve donc, sincèrement, qu’il est un chef d’Etat performant. Laissons de côté tous les autres aspects, chacun peut avoir ses propres sentiments sur l’homme, mais en tant que chef d’Etat, je ne vois pas bien ce qu’on peut lui reprocher (et ce n’est pas parce que je suis de son camp !).

Même les opposants, quand vous discutez avec eux en privé, ils admettent qu’en tant que chef d’Etat, il est bon.

L.P : En guise de mots de fin ?

M.M.T : Le CDP doit continuer à jouer son rôle, la place qu’il tient dans le système politique. Pas seulement quantitativement en ayant beaucoup de députés mais nous devons aussi montrer la voie en ce qui concerne la réflexion qualitative. Et ça, ça dépend des cadres du parti, de l’élite. Nous regroupons une bonne partie de l’élite du pays, mais cette réalité ne marche que si on sait l’exploiter.

Le Progrès

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Vos commentaires

  • Le 4 avril 2012 à 19:46 En réponse à : Mélégué Maurice Traoré : Il faut toujours tenir compte des dinosaures

    "Moderateur", on vous a paye a combien ? Vous voulez dire que depuis 3 jours, personne n’a reagi ala fanfaronnade du monarque de Quinkeliba ? ca meme ? Ou alors, ca n’ allait dans le sens voulu ? Dans toutes les facons, sachez que les jeunes vont gerer la releve dans notre grand parti et on peut se passer des dinausaures. ces soit- disant dinosaures, ne sont pas nes dinosaures. Qu’ ils le tiennent pour dit. il fallait vraiment nettoyer la case CDP avec des grands- freres si complexes. Publie moi ou pas, ou djaba !!!

  • Le 17 avril 2012 à 17:04 En réponse à : Mélégué Maurice Traoré : Il faut toujours tenir compte des dinosaures

    Pendant qu’ il dit d’ eviter que la terre ne soit le point de depart de conflits, il accapare la terre des paysans. Faites comme je dis, ne faites pas comme je fais. On a compris, SEM, Maurice Traore.Mais on sait aussi que le comportementce n’est pas un mot, c’est un agissement.

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