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Politique : Issa Tiendrébeogo et le 15 Octobre

Publié le mercredi 28 mars 2012 à 04h13min

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Le président du Groupe des démocrates et patriotes (GDP), Issa Tiendrebéogo, décédé le 23 janvier dernier à Tunis, a été incontestablement un des hommes politiques les plus prolixes dans l’animation de la vie politique burkinabè depuis le retour au multipartisme intégral au début des années 90. Il a fait partie (s’il n’a pas été souvent un des inspirateurs) de presque tous les regroupements de l’opposition. De la Coordination des forces démocratiques (CFD) au chef de file de l’opposition politique (CFOP) en passant par le Groupe du 14 Février, la Coordination de l’opposition burkinabè (COB), le Cadre de concertation des partis politiques de l’opposition (CPO), Alternance 2005 ou encore la Coalition 37, Issa était de tous les combats, sans oublier la phase de la lutte du Collectif contre l’impunité suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998.

Il était connu pour son franc parler précédé souvent de ses accès de colère. Il crachait ses vérités à ses interlocuteurs quand il estimait la position qu’il défend juste. Un tel homme peut se tromper, mais avec le bénéfice de la bonne foi. Est-ce le cas par rapport à la crise politique de 1987 qui a emporté le président Thomas Sankara et une partie des acteurs de la révolution ? Nous avons voulu comprendre son positionnement par rapport à cet événement majeur, la lecture qu’il avait de la situation et les raisons qui ont motivé ses différentes postures.
Issa Tiendrebéogo a-t-il trempé dans le coup d’Etat du 15 Octobre 1987 ? Les avis sont très partagés sur la question.

D’abord, il y a ceux qui pensent qu’il a participé d’une manière ou d’une autre au coup. C’est surtout sa participation à la préparation psychologique du drame qu’on lui reproche. Issa a été évincé du gouvernement en 1986 après avoir occupé le poste de ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche pendant trois ans. Il a intégré la direction du CNR en 1986. Dans cette instance, ses rapports avec Sankara n’étaient pas faciles tout comme avec d’autres membres de l’instance décisionnelle du pouvoir révolutionnaire. Ancien militant du Mouvement de libération nationale (MLN) du Professeur Ki-Zerbo depuis sa jeunesse estudiantine jusqu’à la fin des années 70, Issa a opéré un coup de barre plus à gauche au début des années 80, ce qui va le rapprocher des groupes politiques qui oeuvraient en coulisse pour l’avènement de la révolution. Quand les jeunes militaires prirent le pouvoir dans la nuit du 4 Août 1983, il fait d’office partie des « conseillers » des nouveaux dirigeants. Il semble proche de Sankara et de Blaise qui le considèrent comme leur doyen. Sa femme Alice est également proche des deux hommes. Sous le CNR, elle occupe un poste de secrétariat d’Etat avant de devenir ministre de l’Alphabétisation après le 15 Octobre. Issa n’aurait pas apprécié son départ du gouvernement en septembre 1986 au profit de Valère Somé qui ne voulait pas non plus le poste.

Ce dernier affirme que c’est Blaise Compaoré qui aurait manigancé pour le placer à ce poste pour le mettre en difficulté avec les étudiants et les enseignants sur fond de lutte de fractions pour le contrôle des structures des CDR sur le campus. C’est Issa qui a fait les frais de ces calculs de neutralisation entre Blaise et l’ULC-R de Valère Somé. Sankara n’aurait fait qu’avaliser la proposition de Blaise en convainquant Valère d’accepter le portefeuille en question. Est-ce par méconnaissance ou par pur calcul qu’Issa a rallié le camp de Blaise dès cet instant ? Toujours est-il qu’à l’époque, pour les partisans de Thomas Sankara, il ne faisait aucun doute que Issa a rejoint l’autre camp, celui de Blaise Compaoré. Il ferait partie de ceux qui rédigeaient et propageaient les tracts orduriers sur le président Sankara.

Dans son livre « Sankara, un espoir assassiné », Valère Somé croit savoir qu’il serait l’un des inspirateurs du tract à caractère ethniciste contre Sankara. Ces tracts ont largement contribué au pourrissement extrême de la situation à l’intérieur du Conseil national de la révolution. Certes, après son retour d’exil (Congo puis France où il a écrit le livre), Valère est revenu sur certaines informations contenues dans son livre soit en les infirmant soit en les relativisant, mais nous n’avons pas noté qu’il soit revenu sur le rôle qu’il attribue à Issa les semaines avant le coup. Son acceptation comme conseiller à la présidence au lendemain du 15 Octobre conforte les tenants de la participation consciente d’Issa aux événements tragiques.

Ensuite, il y a ceux qui pensent en revanche qu’Issa n’a pas joué un rôle déterminant dans le coup. Avant le coup, il a peut-être pu se laisser entraîner par la rédaction d’un ou deux tracts sous la colère, mais il n’a pas pu faire partie de ceux qui ont décidé du sort de Sankara. Cela se lit par le rôle mineur qu’on lui a attribué après l’assassinat du leader de la révolution. Simple conseiller à la présidence, il devait « convaincre » les groupes civils de la volonté d’ouverture du nouveau pouvoir et recueillir leur adhésion au processus dit de rectification. Il s’est mis au travail, mais il va se rendre compte par la suite des intentions réelles qui ont sous-tendu la Rectification. Il s’en est voulu d’avoir été assez naïf pour se laisser utiliser de la sorte. Sa double proximité avec les principaux protagonistes de la situation explique-t-elle son attitude ? « J’avais de bons rapports aussi bien avec lui [Sankara, NDLR] qu’avec Blaise Compaoré. Si je vous dis que j’ai démissionné en 1986, c’est parce que l’atmosphère n’était plus sereine. Vous savez, j’ai toujours milité pour un changement qualitatif depuis les années 70.

Nous voyions donc à travers cette révolution, nos rêves en train de se réaliser. Lorsqu’à l’intérieur, on a vu se développer ces dissensions internes, il faut avouer que ce n’était pas de gaieté de cœur que nous nous sommes retirés du système, dans l’espoir que les choses s’arrangeraient pour qu’on aille de l’avant ». Cette réponse suggère qu’il était à équidistance entre les deux camps. Dans ce cas, il aurait pu jouer la médiation, étant proche des deux leaders, surtout qu’il avait l’avantage d’être leur doyen. Mais il n’en a rien été du tout. Vingt ans après les événements, il s’est livré à une auto-critique dans les colonnes de notre confrère L’Observateur Paalga qui l’a interrogé en septembre 2007 à l’occasion de la commémoration des 20 ans de l’assassinat de Sankara : « … la version qui m’a été donnée, c’était celle d’un accident. Nous nous sommes donc demandé si dans ce cas il était possible, en dehors du choc subi par la plupart, de sauver la révolution. C’est dans ce contexte que nous avons cru bon d’apporter notre contribution en tant que conseiller. J’ai entrepris en son temps de convaincre des sankaristes, certains peuvent encore en témoigner aujourd’hui, que ce qui s’est passé était un accident et qu’on pouvait ensemble continuer la révolution. Telle a donc été ma démarche jusqu’à ce que moi-même je me rende compte que je m’étais fourvoyé totalement. »

Il s’est laissé convaincre quelques années après que c’était loin d’être un problème de lignes à l’intérieur de la révolution entre Sankara et Blaise. « Il est évident qu’il y avait des gens qui, sous prétexte de lignes, souhaitaient l’arrêt de la révolution. Ceux qui voulaient la poursuite de la révolution étaient sans doute le camp de Thomas Sankara », avouait-il.
Après avoir quitté le Front populaire en 1989, Issa n’a plus jamais remis pieds dans le pouvoir de Blaise. Il est resté constant sur ses positions d’opposant, même si les mauvaises langues disent qu’il a délégué sa participation à sa femme qui a fait une décennie dans l’exécutif burkinabè. Elles ont du mal à comprendre qu’on soit vraiment opposant quand sa propre femme siège au gouvernement. Même dans les grandes démocraties, cela ne se voit pas. Issa a toujours répondu que son foyer n’est pas un lieu de dictature où les femmes doivent subir les choix politiques de leurs hommes.

On peut néanmoins penser que son « opposition » ne dérangeait pas beaucoup le pouvoir en place, sinon il n’oserait pas confier de si hautes responsabilités à sa femme. Autre fait qui lui a été reproché, c’est d’avoir laissé sa fille composer lors du BAC session 2000 quand le Collectif prônait le boycott de l’examen. Là aussi, il s’est justifié en affirmant qu’il n’avait pas à imposer son choix à sa fille. Son rôle se limitait juste à partager son point de vue avec elle sur les raisons du boycott. Cette explication, bien que cohérente et juste, n’avait pas été comprise par nombre de ses camarades de lutte. Qu’à cela ne tienne, Issa a continué de militer activement dans le mouvement. D’ailleurs, à sa mort, le plus bel hommage est venu du président du Collectif, Chrisogone Zougmoré, qui a été son élève au lycée Zinda. Il a souligné avec force les qualités intrinsèques de l’homme : rigueur, franchise et constance. En clair, il n’a pas été un « tube digestiviste ».

Abdoulaye Ly

MUTATIONS N. 7 de mars 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)

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Vos commentaires

  • Le 28 mars 2012 à 08:49, par Issa En réponse à : Politique : Issa Tiendrébeogo et le 15 Octobre

    Merci pour cet article sur Issa "la bagare". Il a été certe constant et logique dans ses actions et son combat en reconnaissant s’être trompé des fois. Mais sous le soleil burkinabè où 80% de la population est dite non-alphabetisée et ou le reste ne comprend rien á la politique, on attend donc d’un homme politique une ligne claire et constante et non des va-et-vient entre les les couloirs du pouvoir ou du gouvernemnt et l’opposition dans la rue ou dans les salons et autre journaux. C’est malhereusement le cas de presque 80% de nos opposants. Restez-constants cher opposants si vous voulez un changement

  • Le 28 mars 2012 à 12:36, par sore En réponse à : Politique : Issa Tiendrébeogo et le 15 Octobre

    SVP, laisser Tonton reposer en paix.

  • Le 28 mars 2012 à 13:25 En réponse à : Politique : Issa Tiendrébeogo et le 15 Octobre

    Belle analyse...C’est tout de même dommage que nul part dans l’article vous ne donniez la parole à l’interssé...ce qui aurait pou se faire logiquement avant sa mort ..car 15 octobre 87 et à 2012..vous aviez largement le temps de vérifier vos hypothèses ! Sinon là on peut vous accuser de tirer sur les corbilards !

  • Le 28 mars 2012 à 13:36, par TOE En réponse à : Politique : Issa Tiendrébeogo et le 15 Octobre

    Paix à ton âme mon prof,j’ai connu l’homme et il était trop rigide dans ses positions mais simple dans son âme.Souvent je disais à mes camarades que monsieur TIENDREBEOGO était beaucoup plus philosophe que mathématicien jusqu’à ce qu’il nous dise un jour en classe qu’il a beaucoup lu NIETZSCHE et KANT.Or ce sont des philosophes compliqués et difficiles.je retiens grossomodo de lui qu’il a été un incompri.
    mais il fallait vraiment le cotoyer pour savoir qu’il était sage et humaniste.Le BURKINA a encore perdu un de ses dignes fils.

  • Le 28 mars 2012 à 16:25, par Arthur En réponse à : Politique : Issa Tiendrébeogo et le 15 Octobre

    je n’ai pas eu besoin de lire le reste parce que vous n’avez semblé parler que son engagement dans l’opposition. un petit rappelle Issa Tiendrebeogo n’a jamais appartenu à la CFD puiqu’il était un des leaders de premiers plan de l’Alliance pour le respect et la défense de la Constitution (ARDC, Blaise Compaoré, avec Philippe Ouédraogo et autres et que les deux mouvements avaient été créé à la meme periode. merci de vous documenter avant !

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