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Sénégal : Wade appelle Dieu à la rescousse pour se faire élire dimanche prochain

Publié le jeudi 22 mars 2012 à 00h13min

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Ce n’est pas une surprise. Les confréries ont toujours joué un rôle significatif dans la vie politique et sociale du Sénégal, pays musulman à plus de 95 %. Etat laïc, selon sa Constitution, la République du Sénégal n’en demeure pas moins sous influence. Abdoulaye Wade n’a cessé, depuis son accession au pouvoir, de renforcer cette influence à tel point que lors de nos premiers entretiens il ne cessait de se défendre de favoriser une confrérie plus que l’autre.

Il est pourtant, aux yeux de l’opposition, « de loin, des trois présidents du Sénégal, celui qui a le plus médiatisé ses opinions religieuses » et celui qui a le plus « utilisé ses convictions pour tenter de séduire l’électorat mouride ». Le 9 janvier 2012, le chef de l’Etat a relancé la polémique à ce sujet après avoir déclaré, lors du pèlerinage du Magal, à Touba, haut lieu de la confrérie mouride : « J’aide toutes les confréries, mais à vrai dire je ne peux pas mettre Touba au même pied d’égalité que les autres ». Des déclarations qui n’avaient pas manqué de préoccuper la hiérarchie catholique alors que le pays célébrait le cinquantenaire de l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la République du Sénégal (cf. LDD Sénégal 0164/Mercredi 18 janvier 2012).

Une évolution qui préoccupe les pays de la région qui ne connaissent pas, pour l’instant, cet « entrisme » du religieux dans la sphère du politique. « En la matière, il y a de quoi se demander si Wade est un vrai démocrate, écrivait récemment (mardi 6 mars 2012) Mahorou Kanazoé dans le quotidien burkinabè privé Le Pays. C’est en effet sous son règne que l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques a atteint son paroxysme. Sans dénier aux guides religieux leur rôle de leaders d’opinion, il est temps que soit érigée une barrière entre politique et religion au Sénégal […] Un jour viendra où la minorité chrétienne commencera par se poser des questions sur son identité sénégalaise, face à la collusion entre le religieux et le politique. Pour le moment tel n’est pas le cas, ce qui est à l’honneur des minorités religieuses au Sénégal. Mais sait-on jamais. Il ne faut pas tenter le diable ».

Les événements qui viennent de se dérouler au Sénégal, de Mbour Ouest Ndigueul à Dakar, ne vont pas rassurer les tenants des Républiques laïques. C’est à Mbour, au domicile de Cheikh Béthio Thioune, leader des mourides, que Wade a débarqué en hélicoptère, voici quelques jours. « Nous ne nous limiterons pas à votre réélection, mais nous allons être à vos côtés pour vous accompagner », a affirmé le vieux chef religieux (il est plus que septuagénaire) au vieux leader politique. Le samedi 17 mars 2012, cet « accompagnement » a pris la forme d’une gigantesque marche des thiantacounes, ses disciples, du quartier Mermoz à la place de l’Obélisque, haut-lieu des réunions des opposants à Wade tout au long des mois passés, en passant par les quartiers Sacré-Cœur, Castors, HLM…

Du début de l’après-midi jusqu’à la nuit tombée, les talibés ont ainsi défilé pour célébrer la gloire de Cheikh Béthio Thioune et d’Abdoulaye Wade. Le chef des mourides a affirmé, ce soir-là, installé sur un fauteuil aux allures de trône au milieu de la place, qu’il entendait montrer qu’il est « à l’avant-garde pour ce qui concerne la réélection du président Wade ». « Nous sommes toujours la majorité ! a-t-il proclamé. Cela signifie quoi ? Que le président Abdoulaye Wade sera président de la République du Sénégal tant que nous le voudrons parce que tel est le désir du Seigneur ». On ne peut pas, hélas, être plus clair.

Autant dire que la République sénégalaise est en danger. En étant l’élu de Dieu, Wade n’est plus l’élu du suffrage universel. Simple déclaration sans fondement ? Sûrement pas. Béthio Thioune, cheikh des mourides depuis 1987, revendique 10 millions d’adeptes dans le monde. Qui, dit-on, seraient recensés et fichés. Autant dire une masse de manœuvre électorale considérable qui a fait dire à Pape Diop – président du Sénat et patron du PDS, le parti de Wade, dans la capitale – lors de la cérémonie de la place de l’Obélisque : « Vous offrez au candidat Abdoulaye Wade un électorat qu’il n’a jamais eu et qui, à coup sûr, va le réélire dimanche prochain ». Un tsunami des abstentionnistes du premier tour est donc, d’ores et déjà, annoncé, un ndiguël - une consigne de vote – ayant été donnée aux participants (ce qui n’avait pas été fait pour le premier tour).

Wade n’a pas manqué d’expliquer que la situation était parfaitement maîtrisée : un deuxième tour concédé car sa victoire dès le premier tour aurait été mal perçue par les Sénégalais. CQFD ! A Dakar, au lendemain de cette manifestation des mourides, la tension est maximale et au sein de la population on redoute effectivement une déferlante religieuse qui permettrait de justifier un basculement des données mathématiques. Ce qui entraînerait une réaction de la rue et un affrontement généralisé.

Ce matin, mardi 20 mars 2012, dans L’Observateur Paalga, quotidien privé burkinabè, Alain Saint Robespierre, dénonçait un « terrorisme politico-spirituel ». Il écrit : « En effet, armés de gourdins, de gros bras aux allures de lutteurs gréco-romains à la tête de tueurs et obéissant au doigt et à l’œil du sulfureux chef mouride, Cheikh Béthio Thioune, ont pris d’assaut la place de l’Obélisque. Répondant au ndiguël, consigne de vote, du guide religieux, ils se sont engagés à maintenir au soir du dimanche 25 mars, le président sortant au pouvoir. Et le message est on ne peut plus clair : quitte à jouer du biceps et du gourdin s’il en faut. Prémices d’un second tour où tous les coups seront permis ? Il faut le craindre ». Il faut effectivement craindre toutes les tentatives de « manipulation ». Y compris celles qui instrumentaliseront Dieu.

Il est vrai que Dieu revient en force dans le débat politique. Là où, justement, me semble-t-il, la politique a failli. C’est le cas au Sénégal. Ce serait aussi le cas en Côte d’Ivoire. Le samedi 17 mars 2012, alors que se déroulait la grande marche des mourides à Dakar, à Treichville, quartier populaire d’Abidjan, Charles Konan Banny, président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, lançait le mois du deuil et de la « purification ». « Au nom de Dieu et des ancêtres donc, les Ivoiriens veulent conjurer le mauvais sort qui a longtemps frappé leur pays, écrivait ce matin (mardi 20 mars 2012) l’éditorial du quotidien Le Pays. Certes, on l’imagine aisément : ce n’est pas un combat gagné d’avance. Un mois ne sera probablement pas suffisant pour faire le deuil et purifier le pays de tout ce sang innocent qui a coulé. Il ne faut pas se voiler la face : une chose est d’instaurer un mois de catharsis et une autre est de réussir à en faire une occasion d’effort sincère pour se réconcilier ». Il suffit de tourner la page du quotidien Le Pays de ce matin pour retrouver Dieu. Cette fois, il n’est plus au Sénégal ou en Côte d’Ivoire mais dans le Nord du Mali. Abdoulaye Tao évoque l’irruption du mouvement Ançar Dine qui « revendique l’instauration de la charia dans le Nord Mali. Elle pousse l’audace plus loin en annonçant la création future d’un Etat islamique. Ançar Dine, création de l’ancien chef rebelle touareg, Lyad Ag Ghaly, dit contrôler Tessalit et Aguelock, après les derniers combats au Nord ». Tao ajoute : « On ne peut malheureusement pas s’abstenir de faire un lien avec Boko Haram dans le Nord du Nigeria, comme si une international islamique se mettait progressivement en place ».

Les dérives de la religion au Nigeria préfigurent-elles les dérives de la religion au Sénégal ? La question mérite d’être posée. Et la réponse se trouve dans le papier de Mahorou Kanazoé dans Le Pays (cf. supra) : « A y voir de près, dans le jeu des ndiguels, ce sont les pouvoirs maraboutique et politique qui s’allient pour diriger le pays, au détriment du peuple, considéré comme du bétail électoral. Il est temps que les Sénégalais s’approprient leur démocratie, en ne laissant pas leur destin entre les mains d’une caste de privilégiés ». Rendez-vous à Dakar, au soir du dimanche 25 mars 2012.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 22 mars 2012 à 00:26, par lelibrepenseur En réponse à : Sénégal : Wade appelle Dieu à la rescousse pour se faire élire dimanche prochain

    Je l’avais dit dejà dans ce forum que si les marabouts ne se mellaient pas de cette éléction présidentielle au Senegal, il est certain que Wade va perdre. Et voilà ! Ces guides spirituels sont comme des "dieux" sur la terre de la Teranga. Il suffit de voir comment les sénégalais musulmans, de l’illétré à l’intellectuel le plus gradé, vouent un profond respect à leurs marabouts. Loin de moi l’idée de les juger car c’est une question de foi et de réligion. Mais lorsque des guides réligieux, tout comme nos chefs coutumiers (les nabas) au Burkina n’ont aucun scrupule face à l’argent se mêlent de politique, ils sont capables de tout pour leurs privilèges. C’est pourquoi nous les LOBI defendons de manière farouche notre liberté en tout, liberté qui fait dire par certains que nous sommes des "sauvages". Mais nous assumons cela avec fierté car ça tjrs bien payer pour nous.

  • Le 22 mars 2012 à 10:11, par Win En réponse à : Sénégal : Wade appelle Dieu à la rescousse pour se faire élire dimanche prochain

    Trop tard mon vieux. Dieu est empêché. Fatigué de te venir en aide à de multiples occasions. C’est le Diable en personne qui viendra.

  • Le 22 mars 2012 à 17:32, par trrrr En réponse à : Sénégal : Wade appelle Dieu à la rescousse pour se faire élire dimanche prochain

    Mr Jan,S.V.P., tu es un burkinabe ou sénégalai ?

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