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Quel journaliste à l’ère de la mondialisation ?

Publié le vendredi 20 avril 2012 à 10h32min

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Quel journaliste à l’ère de la mondialisation ?

Quel journaliste à l’heure de la mondialisation ? A cette question, l’on est un peu de tenté de répondre par une autre question quelque peu provocatrice à avoir : aura-t-on encore besoin du journaliste à l’ère de la mondialisation ? Car avec la mondialisation, les mutations du champ médiatique sont si profondes que l’on n’hésite pas parfois à dire que tout le monde va devenir journaliste et qu’on n’aura donc plus besoin de journaliste.
Bien sur, une telle conception des choses est excessive. Mais elle est aussi illustrative néanmoins des mutations en cours dans le secteur des médias à l’ère de la mondialisation. Quelles sont ces mutations, quelles sont les nouvelles exigences du métier de journaliste, quelles sont les nouvelles compétences que devra acquérir le professionnel des médias, bref, quels sont les nouveaux défis à relever ? Nous tenterons de donner quelques pistes de réponses à ces questions à travers une réflexion axée sur trois points :
1) Un bref état des lieux de l’évolution du journalisme à l’ère de la mondialisation
2) Les nouvelles mutations, les nouveaux défis
3) Les nouvelles compétences, les nouvelles formations.

Bien sur, une telle conception des choses est excessive. Mais elle est aussi illustrative néanmoins des mutations en cours dans le secteur des médias à l’ère de la mondialisation. Quelles sont ces mutations, quelles sont les nouvelles exigences du métier de journaliste, quelles sont les nouvelles compétences que devra acquérir le professionnel des médias, bref, quels sont les nouveaux défis à relever ? Nous tenterons de donner quelques pistes de réponses à ces questions à travers une réflexion axée sur trois points :
1) Un bref état des lieux de l’évolution du journalisme à l’ère de la mondialisation
2) Les nouvelles mutations, les nouveaux défis
3) Les nouvelles compétences, les nouvelles formations,

I. Bref état des lieux de l’évolution du journalisme à l’ère de la mondialisation

Nous pouvons décrire l’ère de la mondialisation comme étant l’ère de la société de l’information, portée par la révolution de l’information entraînée par l’intégration des télécommunications, de l’informatique et de l’audiovisuel et la numérisation généralisée des données.
Dans le domaine des médias, cette révolution créé un bouleversement des repères, avec la convergence de l’écrit, du son et de l’image, donnant naissance au multimédia qui, selon Ignacio Ramonet « modifie profondément la profession journalistique parce qu’il n’y a plus de dissemblances entre le système textuel, le système sonore et le système imagé” .
La convergence des supports médiatiques modifie donc les principes traditionnels d’exercice du métier de journaliste, qu’il s’agisse des techniques de recherche, de traitement et de diffusion de l’information ou encore des rapports qu’entretient le journaliste avec ses lecteurs. Parce qu’avec Internet, technologie emblématique des autoroutes de l’information, c’est une gigantesque banque de données à la disposition de tout internaute qui peut aller chercher directement l’information brute sans passer par le journaliste ou encore interpeller directement celui-ci sur ce qu’il a écrit, grâce à l’interactivité du courrier électronique ou des forums de discussions.

Au total, ce serait même à un changement de logique que l’on assiste dans le domaine des médias selon Joël de Rosnay. D’une logique de diffusion telle que pratiquée dans les médias traditionnels avec l’exemple typique de la télévision (articulée sur une pyramide où quelques-uns définissent les programmes et les diffusent à la majorité), nous serions serait en train de passer, sur les réseaux, à une logique de navigation. On navigue sur un océan d’informations et on fait des transactions.

Ce que l’on appelle désormais journalisme multimédia est la somme des progrès en matière de technologies de l’information et de la communication qui ont bouleversé les méthodes de travail des professionnels de médias. Avec les TIC, le journaliste traditionnel est obligé de se moderniser, de reconfigurer sa rédaction, de gérer autrement les différences entretenues jusqu’ici entre presse écrite, radio et télévision, d’entretenir de nouvelles relations avec son lectorat.

Le bilan tiré des premières expériences de mise en ligne des médias a été une déception partielle car les promoteurs se contentaient de transférer sur les réseaux électroniques une partie (très souvent) ou tout le contenu du journal imprimé ; ce qui est toujours le cas pour la plupart des médias en Afrique de l’ouest, et au Burkina, bien entendu. Sidwaya : près de 80%, L’Observateur et Le Pays : environ 60% des contenus éditoriaux . Alors que l’hypertexte (principal atout du Web), les contraintes de la lecture cathodique et la possibilité de mêler son, images et écrit, devraient ouvrir de nouvelles perspectives .

On peut retenir quelques atouts qu’apporte le multimédia au journalisme. Le journaliste a désormais devant lui un espace rédactionnel illimité. Il peut ainsi satisfaire divers niveaux d’intérêt : le lecteur pressé ou flâneur se contentera de l’information ramassée en surface, alors que le chercheur en quête d’une information précise creusera en profondeur, à travers les archives et les documents mis à sa disposition. C’est tout cela qui constitue le bénéfice de l’hypertexte, à savoir la possibilité de créer une véritable “toile” informationnelle, faisant appel à différents types d’approches, de sources et de médias, tous liés entre eux par un réseau de références, la possibilité de fournir au lecteur une information à plusieurs étages qu’il parcourra selon ses besoins. Avec l’hypertexte, le lecteur est libre d’opter pour une lecture linéaire classique ou d’effectuer un parcours individualisé selon ses besoins : il peut donc ne pas lire un article du début à la fin, et obliquer vers un autre document. Le journaliste habitué à rédiger selon la règle des “cinq W” ou de la pyramide renversée, doit tenir compte de ces nouvelles donnes.
Ces différentes expériences dessinent les contours d’un journalisme renouvelé qui prend forme sur les réseaux électroniques. D’aucuns parlent de journalisme assisté par ordinateur.

Dans la petite histoire du journalisme en ligne, les cas de quelques héros comme Tom Coch (qui a réalisé une enquête en ligne sur les cas d’accidents de chirurgie dentaire aux conséquences judiciaires explosives) ou un anti-héros comme Matt Drudge qui, avec son Druge Report a déclenché l’affaire Monica Lewinski, restent emblématiques.
Ces cas soulignent surtout les nouvelles compétences que le journaliste doit développer pour s’approprier les ressources et atouts des nouvelles technologies. En 1994, un colloque organisé par l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, à propos du “Journaliste en 2010” mettait déjà en exergue la nécessité de cette polyvalence : “aujourd’hui, la machine s’emballe, de nouveaux métiers sont à naître, et demain, le journaliste ne pourra plus être seulement journaliste. Il lui faudra maîtriser au moins deux compétences (…) : journaliste spécialisé en systèmes informatiques, journaliste spécialisé en systèmes documentaires, journaliste infographe, etc. » . De telles recommandations gardent toujours leur pesant de sagesse.

En 1999, une enquête dans un groupe de presse américain, dressait un portrait grandeur nature de ces nouveaux journalistes. Ce portrait qui conserve sa fraîcheur soulignait que les reporters ne font plus du journalisme, mais produisent des contenus, écrivent un même article pour le journal imprimé, l’adaptent pour la télévision et le mettent en ligne en y ajoutant des liens vers d’autres sources. Il y a 13 ans de cela et nous pouvons nous demander ce que nous sommes par rapport à un tel portrait.

Changements dans les méthodes de travail des journalistes, changements aussi dans les rapports entre le journaliste et ses lecteurs. « Un journal est bâti autour d’un groupe de professionnels de la presse qui recueillent des informations hors de la rédaction, dans la société, pour les mettre en forme et les publier. En revanche, une rédaction en ligne vit de façon constante comme un groupe producteur d’informations dans un environnement où la production des nouvelles est l’affaire d’une multiplicité d’autres groupes qui appartiennent ou non à la presse » résume l’universitaire Pablo Boczowski, que citent Fogel et Patino. « Plutôt que de naître pour l’essentiel d’échanges entre les journalistes et leurs sources, et de négociations entre les journalistes et les rédacteurs en chef, constate Pablo Boczowski, les nouvelles en ligne paraissent largement nourries par les relations entre les autres groupes qui peuplent de façon croissante le monde de l’information » . Pour ces auteurs, toute idée d’une compétence de la presse est battue en brèche par l’ampleur des intervenants de la ‘’blogosphère’’ où, quel que soit le sujet traité, il se trouve un spécialiste plus averti que le journaliste et qui ne manque pas de pointer ses faiblesses. En mettant le lecteur en contact direct avec les principales sources d’informations (dépêches d’agences, communiqués de presse, rapports, etc.), les réseaux électroniques ne vont certainement pas tuer les journaux et les journalistes, mais ils vont profondément modifier la manière de travailler en accentuant l’implication du lecteur.

Avec Internet, renchérissent Fogel et Patino, ce serait une erreur de croire que cette technologie se contente de dépouiller chaque média de ce qu’il possède d’unique, ôtant à l’écrit le monopole du texte, et aux médias audiovisuels le synchronisme de l’écoute pour privilégier son propre flux, multiple, réactif, interactif. “Le régime d’Internet est bien pire : il érode la concurrence entre les formes de journalisme, qu’il s’agisse d’écrit, audiovisuel et a fortiori de presse en ligne. Il balaie les définitions étroites : la radio annonce la nouvelle, la télévision la montre, le quotidien la met en perspective… D’un site à l’autre, tous les contenus défilent sur le même réseau, avec un label unique : disponible en ligne. Sur l’écran, les spécificités de chaque presse deviennent de simples variations d’une seule expérience, le journalisme diffusé par Internet” expliquent-ils .

Avec Internet, de nouvelles méthodes de captation et de traitement de l’information apparaissent qui, en retour, rejaillissent sur le statut du journaliste, sur son métier, sur l’économie de celui-ci, soulevant de nouveaux défis pour les médias en ligne. Quelques caractéristiques.

1. Un nouveau cycle de l’information : le flux continu pour tous

Si aucun des trois médias traditionnels n’est laissé à l’écart de la société de l’information, la presse écrite est sans doute celle qui tire un avantage évident de sa mise en ligne : elle peut désormais tenir la concurrence face aux autres médias grâce à l’instantanéité qui permet aux journaux de publier leurs scoops sans délai. Le journaliste qui travaillait selon un timing bien déterminé (livraison des articles, correction, mise en page, bouclage, distribution, etc.) se retrouve dans une autre logique. Il est confronté à un média fluide, mouvant, qui ne connaît pas de “deadline” : il produit une information qu’il doit réactualiser en permanence .

2. Identité : quand tout le monde devient journaliste, quel crédit accorder à l’information ?
Le schéma traditionnel de communication qui régit le travail du journaliste fait de celui-ci un médiateur, un filtre, entre la source et le consommateur d’informations. La relation entre le fournisseur d’informations journalistiques et le consommateur est de ce fait une relation quelque peu autoritaire, dans le sens où le journaliste “détient une sorte de monopole de la médiatisation, un lieu d’où il peut aussi bien rendre le service de rassembler et de diffuser l’information que remplir un rôle d’expert dans le tri, la présentation et l’explicitation du sens de ce qui est en train de se produire” affirment Christophe Deleu, François Demers et Mylène Paradis.

La logique du Web est contraire à ce schéma quasi unidirectionnel. Car le réseau a été conçu pour permettre à une personne d’entrer en contact avec d’autres aussi librement que si elle le faisait par téléphone. Internet fournit surtout à n’importe quel individu qui s’y connecte le moyen technique de parcourir des tonnes de documents (les bulletins d’informations des médias, leurs archives, les journaux scientifiques, les communiqués de presse des grandes entreprises privées ou publiques, les bases de données, les bibliothèques, etc.) à son rythme, dans l’ordre qui l’intéresse et aussi longtemps qu’il le souhaite. Grâce à cette accessibilité, l’internaute a, de ce fait, une part active dans la production de l’information qu’il consomme.

Nous avons sans doute atteint un stade irréversible où les journalistes n’ont plus le monopole de la production et de la diffusion de l’info. Petite consolation, on aura toujours besoin d’intermédiaire, pour filtrer, donner du sens, mettre en contexte les flots d’informations aussi facilement produites. C’est certainement dans ce sens que les professionnels des médias doivent se repositionner, entre autres stratégies. Car du moment où chacun peut fabriquer son propre journal grâce aux applications du Web, la crédibilité de l’information est discutable. Une crédibilité d’autant plus en jeu que le produit “information” risque de se retrouver, sur les réseaux, avec la portion congrue, à côté d’autres services beaucoup plus lucratifs.

Mais c’est au journaliste de défendre son identité, son métier en sachant faire face à ces mutations et aux nouveaux défis qu’elles posent.

II. Nouvelles mutations, nouveaux défis

La mondialisation de l’information créé un nouvel écosystème qui exige du journaliste de nouvelles compétences pour y évoluer à l’aise. Il ne suffit plus de produire et de publier, mais il faut rendre visible ce que l’on publie. Cela exige du journaliste une bonne maîtrise des techniques d’optimisation des contenus sur les moteurs de recherche. C’est ainsi que les experts en « SEO » (Search Engine optimization » vont devenir aussi importants que les rédacteurs en chef.

La popularisation d’expressions plus ou moins barbares comme tags, métatags ou métadonnées est illustrative de ces nouvelles tendances où l’enrichissement de l’information par l’optimisation de liens entre les contenus est plus important que la production même de l’information.

Quelques exemples de mutations

1. Le journaliste doit reconquérir son rôle d’intermédiation
On a coutume de dire que si avant Internet la censure se faisait par le manque, aujourd’hui, elle se fait par l’abondance. Ainsi, la meilleure manière de censurer une information, c’est de la démultiplier, c’est de la noyer dans un océan de données pour qu’elle échappe à la vigilance des lecteurs. Dans un tel contexte où le lecteur, pas toujours bien formé et parfois très pressé est inondé d’informations, le journaliste doit pourvoir jouer son rôle de filtre. Cela exige de lui une bonne formation et une bonne culture générale lui permettant de mettre en perspective l’information, de la contextualiser de lui donner du sens, d’aller au-delà des données factuelles, c dépêches pour relier les faits. Tout cela, avec une vitesse accélérée qui exige que le journaliste soit bien formé et bien informé.

Plus que jamais, le journaliste doit remplir sa fonction d’authentification, en aidant le public à distinguer le vrai du faux, par ses capacités à recouper, sourcer, confronter l’information.

2. La facilitation des débats

Le journaliste ne doit pas être un simple lecteur-spectateur des commentaires des internautes. Il doit les aider à mener des débats constructifs, respectueux des règles de bienséance. Cela implique un suivi étroit des forums de discussion, la fixation de règles d’intervention que malheureusement les médias sont très peu nombreux à respecter, surtout dans nos pays. Bien sûr, le manque de ressources financières pour financer un animateur Web reste encore valable.

3. Le retour au local

Dans un univers médiatique hypermondialisé, on observe de plus en plus un retour vers le local. Si le monde est devenu un village planétaire où ce qui se passe à Falagountou peut être rapidement connu de l’habitant de Oulan Bator, il n’en demeure pas moins que le lecteur en ligne reste attaché à son environnement d’origine, surtout quand il est déterritorialisé. On voit ainsi la naissance de sites ou de pages Facebook de tel village, de tel quartier, de tel groupe socio-professionnel se multiplier (Exemples de pages Facebook des Sanon, ou des Samo, etc. Les sujets à dimension hyperlocale (équipes de sport, thématique particulière, écoles, universités) apparaissent ainsi comme les niches qui généralement connaissent les meilleurs succès de rentabilité car abritant une clientèle captive pour certains produits de commerce.

4. La forme aussi importante que le fond

Pour attirer, garder et maintenir l’intérêt du lecteur en ligne, il ne suffira pas de vérifier, enrichir et contextualiser l’information ; il faudra aussi, bien l’emballer. Une autre manière d’ajouter de la valeur à l’information sera de prendre en compte le design, le packaging, ou la mise en scène. Michel P. Smith, chercheur américain, rapporte ainsi que beaucoup d’adolescents avouent ne pas faire d’effort particulier pour prendre connaissances des informations sur le Web mais cliquent sur les news si quelque chose les attire. Conclusion, il faut que les médias apprennent à les attirer avec des contenus intéressants comme des vidéos, des news humoristiques et insolites, de l’information incessamment renouvelée
Toutes ces mutations, bien entendu, exigent de nouvelles compétences de la part des professionnels des médias

III. Nouvelles compétences, nouvelles formations

L’expression journaliste « Shiva » d’Eric Scherer , qui fait référence à la déesse indoue Shiva aux multiples bras, capable de faire beaucoup de travaux à la fois, pourrait servir à merveille pour qualifier le journaliste à l’ère de la mondialisation. Car il se doit d’être polyvalent, multi-compétent dans presque tous les domaines de son métier, c’est-à-dire maîtriser la photographie, la vidéo, le son, la téléphonie mobile, les nouvelles techniques du Web (Web 2.0), les fondamentaux de l’économie des nouveaux médias. De ce fait, la formation aux nouvelles technologies est indispensable.

La maîtrise de l’Internet, des nouveaux outils de production et de diffusion de l’information n’est plus une question de passionnés des TIC, c’est une nécessité pour tous les professionnels des médias, quelle que soit la génération. Les TIC, ce n’est donc plus une affaire de jeunes, où ceux qui se considèrent comme trop vieux pour apprendre vont en être dispensés. Tout le monde doit s’y mettre et le plus tôt est le mieux. Vaincre les résistances prendra parfois beaucoup de temps mais tout professionnel des médias doit se convaincre le langage du Web n’est plus une option mais une nécessité.

En 2010, un patron de BBC exhortait ainsi ses journalistes à utiliser les réseaux sociaux ou à …quitter la maison. « Ce n’est pas quelque chose pour ceux qui aiment la technologie, c’est tout simplement obligatoire », disait-il.

Il revient aux responsables des médias de mettre en place des politiques de formation, de recyclage de leurs agents pour rapidement combler dans les rédactions le fossé numérique et éviter ainsi un clash générationnel. Contrairement à ce que l’on pense souvent, le fossé numérique dans les rédactions n’est pas propre à l’Afrique ; en effet, en 2010, plus des deux tiers des journalistes européens n’avaient toujours pas eu de formation Web selon une enquête du quotidien britannique The Guardian, rapportée par Eric Scherer.

La formation aux nouvelles aux nouvelles technologies, ce n’est pas seulement apprendre à ouvrir un compte e-mail, envoyer et recevoir des messages, naviguer sur le Net… C’est acquérir une vraie formation multimédia permettant de manipuler le texte, le son, la vidéo, et parfois même les logiciels de gestion de contenu et de publication en ligne (SPIP, Joombla) et bien sûr des rudiments de HTML.

On l’aura compris, la distinction entre techniciens et journalistes, section programme et section technique, comme on dit ici, devient de plus en plus mince. Depuis l’apparition des JRI (journalistes reporters d’images) capables de filmer, d’écrire le texte et de monter le reportage vidéo, les technologies réduisent de plus en plus les frontières entre les métiers, les compétences. Et remettent en cause la division traditionnelle du travail dans le secteur.

L’évolution technologique à laquelle nous assistons créé aussi de nouveaux métiers et de nouvelles opportunités d’insertion professionnelle qu’il faut savoir saisir. Une étude américaine (cf. Eric Scherer) note qu’entre 2007 et 2010, l’emploi dans le monde des journalistes a progressé de 19%. Mais dans le même temps, il a baissé de 26% dans les journaux, de 16% dans les magazines et de 11% dans les radios et télévisions. C’est donc sur le Net, que les nouveaux emplois ont été créés. De nouveaux emplois obéissant à de nouveaux profils. Désormais, on cherche des éditeurs de métadonnées, des éditeurs spécialisés en moteurs de recherche, des community managers, des éditeurs de réseaux sociaux, des agrégateurs, des facilitateurs, des certificateurs des producteurs Web, des producteurs numériques, de webmaster, de web-surfeur, de e-marketeur, de e-documentaliste, etc.

L’initiative personnelle est encouragée aussi et on incite les élèves en journalisme à faire preuve de créativité, à développer leur propre projet, à faire de leur signature, leur nom, une marque plutôt que de rêver d’être éditorialiste, grand reporter dans tel journal ou grand présentateur sur telle chaîne.

Autant de nouveaux métiers qui demandent de nouvelles compétences, de nouveaux profils, de nouvelles qualités que les professionnels des médias doivent acquérir.
En résumé, en référence aux prescriptions d’Eric Scherer qui parle désormais de « journalisme augmenté », le profil du nouveau journaliste pourrait être le suivant :
- Etre multitâche, savoir endosser des responsabilités et remplir des rôles nouveaux comme blogeurs, créateurs de sites Web, vidéaste, gestionnaire, marketeur ;
- être à l’aise avec les bases de la programmation informatique, des outils et de la culture Web ;
- savoir chercher l’information dans les banques de données
- être un narrateur multimédia, maîtrisant les principales plates-formes de diffusion de l’information en ligne
- être un bon gestionnaire de marque, sachant vendre son média grâce aux nouveaux outils (bouton « partager » de Facebook, You Tube, Twitter, etc.
- être un facilitateur d’échanges, un animateur, un bâtisseur de communautés
- être un filtre de confiance, pouvant rassurer les lecteurs

C’est à ce prix que le journaliste saura bien chercher sur Internet, ouvrir rapidement un blog, utiliser les bookmarks pour repérer et conserver l’information, utiliser les flux RSS pour que l’information lui arrive automatiquement, filtrer l’information, ajouter des liens dans un article, écrire un article facile à retrouver par un moteur de recherche, prendre des photos ou des vidéos avec un téléphone portable, les poster sur Flikr et You Tube, surveiller Twitter pour les breaking news, les sujets importants du jour, les buzz, engager et animer des communautés.

En filigrane, on voit poindre la place de plus en plus importante que va occuper la gestion de conversation (avec les internautes, entre les internautes) dans les médias à travers les réseaux sociaux. Car à l’ère de la mondialisation, avec la démultiplication des publics, avec des millions d’internautes capables de produire et de diffuser l’information, ce n’est plus la disponibilité de l’information qui est un challenge mais la gestion du lien social construit et entretenu autour de l’information.

Ces nouvelles compétences qui constituent autant de besoins en formation sont des défis pour les écoles de journalisme. En ont-elles conscience ? Sans doute. Ont-elles les moyens de suivre l’évolution ? Certainement pas toujours. Les écoles de formation, selon Eric Scherer sont souvent plus lentes à évoluer que les médias traditionnels. Quand on analyse les programmes d’enseignement, l’on note que les vielles divisions par plates-formes de distribution d’information (presse écrite, radio, TV, etc.) sont toujours de mise alors qu’elles sont de moins en moins pertinentes. On peut même aller plus loin et dire qu’à l’échelle des politiques nationales en matière de TIC, on peut se demander la pertinence de confier la gestion de l’Internet uniquement à des informaticiens ou de rattacher le ministère chargé des TIC à celui des Transports…

Revenons à notre sujet pour dire que les écoles de journalisme sont donc amenées à changer : elles vont de plus en plus s’ouvrir aux autres disciplines (technologie, informatique, économie des médias, etc.), elles vont jouer un rôle croissant dans l’expérimentation de nouvelles formes de collecte et de narration à l’aide des nouveaux outils. Elles vont aussi familiariser leurs élèves à l’art de la collaboration, au travail en groupe.

Pour conclure…

Voilà quelques réflexions pour introduire notre débat de ce matin sur une question qui nous préoccupe aujourd’hui. Une question qui, sans doute, paraîtra étrangement curieuse, totalement insensée dans quelques années car on se demandera alors comment, en 2012, on a pu penser un seul instant que l’on pouvait continuer à exercer le métier de journaliste sans ordinateur multimédia, sans Internet, avec toujours des machines analogiques, des bandes magnétiques, avec les techniciens d’un côté et les journalistes de l’autre ? Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil en arrière, à l’échelle d’une quinzaine d’année, l’adolescence d’une vie humaine : le téléphone portable était toujours un produit de luxe, signe de puissance et de pouvoir, réservé à une petite minorité. Mais aujourd’hui, en pensant à cela, on se demande comment on faisait avant, pour vivre sans portable…

Cyriaque PARE
INSS/CNRST

Bibligraphie

1. Ignacio Ramonet, La tyrannie de la Communication, Galilée, 1999, p 9
2. Cf. Cyriaque PARE, « Médias et société de l’information en Afrique de l’Ouest. Enjeux, discours et appropriations », Thèse de doctorat, Université de Bordeaux3, dec. 2007, 350 pages
3. Voir les conseils très avisés de « Redaction..be », www.redaction.be, qui se décrit comme « Le site des spécialistes de l’information en ligne », consulté le…..
4. Cf. Les cahiers de l’ESJ n°6, 1994, « Journaliste en 2010, Nouvelles technologies et nouveaux métiers dans la presse écrit »
5.Jean-François Fogel et Bruno Patino, Une presse sans Gutenberg, p 30
6. Fogel et Patino, op. cit. p 28
7. Bruno Guissani, « Révolution dans l’information », Le Monde Diplomatique, octobre 1997.
8. Christophe Deleu, François Demers et Mylène Paradis, « Internet, les médias et les journalistes. Les expériences nord-américaines » Cahier-Média n°4, Québec, Centre d’études sur les médias, Université Laval, 1998, 72 p.
9. Eric Sherer, A-t-on encore besoin des journalistes ? Manifeste pour un journalisme augmenté, PUF

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