QUESTION DE L’HABITAT AU BURKINA : « La cherté d’un bien résulte de sa rareté »
L’auteur du texte ci-dessous mène une analyse globale sur la problématique du logement au Burkina Faso où la pauvreté le dispute à la vie chère. Il s’insurge contre la politique nationale de logement qu’il trouve inopérante.
Ces derniers temps, notre pays est en proie à des mouvements sociaux récurrents et parfois violents contre la vie chère. A l’évidence, le coût du logement est l’une des composantes de cette cherté, car se nourrir et se loger sont incontestablement les besoins primaires de tout homme. A la suite des nombreuses réflexions sur la question du logement déjà parues dans la presse, nous proposons d’y apporter notre modeste contribution.
La situation de l’habitat urbain
La situation du logement dans notre pays se caractérise par le décalage entre l’accroissement plus rapide de la population vivant en ville et l’offre en matière de logement ; d’où un déficit croissant. L’apparition d’habitats spontanés et précaires dans les bidonvilles, en est une illustration. La demande de logements se compose de ménages déplacés (hors de leur lieu de résidence) ou à déplacer (devant quitter le nid parental), de différentes catégories socioprofessionnelles : travailleurs, commerçants, sans-emplois, étudiants, migrants de l’exode rural, etc.
L’offre en matière de logement quant à elle, se compose de tout standing et essentiellement de propriétaires individuels et de quelques sociétés immobilières. Il s’agit donc d’un « marché imparfait » de sorte que le jeu de l’offre et de la demande de logement (ou libre échange) fonctionne avec la même imperfection. Ce marché du logement, insuffisamment règlementé par l’Etat sinon par la fiscalité, est aussi manipulé par des agents immobiliers (intermédiaires ou démarcheurs) plus ou moins informellement structurés.
De la structure du coût de l’habitat
La cherté du logement est unanimement reconnue par tous et singulièrement par les Ouagalais. La cherté d’un bien résulte de sa rareté (pénurie ou insuffisance de l’offre) ou de son coût réel. Pour le cas du logement dans notre pays, la deuxième thèse est plus plausible et expliquerait aussi la première. En effet, la structure du coût du logement se compose d’éléments tous aussi prohibitifs. D’abord, pour l’acquisition d’un terrain à usage d’habitation à Ouagadougou, par exemple, le prix moyen au rabais est d’au moins 10 000 F CFA le m2, soit 3 millions de F CFA la parcelle de 300 m2. Cette surenchère s’expliquerait d’une part, par l’insuffisance de l’aménagement urbain et surtout de son accaparement par les ploutocrates des temps présents, et d’autre part, par la spéculation foncière qui s’en suit. Ensuite pour le transfert de propriété (la mutation), l’acquéreur se retrouve face à l’Administration domaniale avec toutes ses lourdeurs, sa paperasserie et sa fiscalité impitoyable dans un contexte de corruption active de certains agents publics et de démarcheurs avides d’argent, qui vont vous harceler, vous faire tourner, pour enfin vous presser et vous sucer jusqu’au dernier kopeck.
Pour ce qui est du permis de construire, nous recommandons le journal Le Pays du 27 février dernier (page 16), qui publie une lettre ouverte au SEM le Premier ministre sur la question. Dans notre pays, le principal mode de production de logement reste l’auto-construction sous contrainte de notre contexte de pauvreté et de bas salaires. Le marché intérieur des matériaux (définitifs) de construction est dominé par quelques gros importateurs. Dans une telle situation, ce sont ces derniers qui dictent leurs prix aux acheteurs. Et c’est pourquoi les cours mondiaux de certains matériaux (le fer par exemple) ne suffisent pas à justifier leurs prix parfois très prohibitifs sur le marché local. Pour ce qui est du ciment, le constat est l’incapacité de la cimenterie nationale à satisfaire la demande intérieure malgré son monopole de fait. A cette incapacité s’ajoute la spéculation dans le circuit de distribution de ce ciment. Par ailleurs, la cherté des agrégats et le coût de certaines prestations comme celles de la SONABEL ne sont pas négligeables dans la mise en valeur de nos terrains.
Enfin, pour la mise en exploitation des bâtisses, nous retrouvons ces intermédiaires informels (démarcheurs) entre propriétaires et locataires. En effet, beaucoup de grands propriétaires immobiliers, dans notre pays, ne le sont pas à visage découvert pour diverses raisons dont l’apparence ou l’appartenance. De ce fait, ces propriétaires dans l’ombre utilisent des démarcheurs (ou des prête-noms) pour trouver des locataires et percevoir leurs loyers. Ce faisant, il y a généralement donc un prix du propriétaire différent (inferieur) du prix du ou des intermédiaires. Ces derniers qui ne se contentent plus de la rémunération de leurs services sont devenus de véritables sous-bailleurs. Selon certaines estimations, le surplus de rémunération de cette chaîne d’intermédiaires atteint parfois 30% du loyer fixé par le propriétaire. Cette surenchère explique que beaucoup de maisons restent inoccupées pendant longtemps faute de preneurs.
De l’inconsistance des mesures publiques en matière de logement
Face à ces questions récurrentes du logement, les pouvoirs publics ont pris des mesures parmi lesquelles on peut retenir : le Guichet unique foncier (GUF) et le CEFAC, la Banque de l’habitat et la construction de logements sociaux dont ceux des fêtes de 11-Décembre. Qu’en est-il de l’efficacité de ces mesures à répondre aux attentes des populations en matière de logement ? L’objectif premier de la création du GUF est la simplification (facilitation) des formalités des actes de biens fonciers. Après quelques années d’existence et au regard du fonctionnement actuel de ce GUF, cet objectif semble bien fuyant, car l’on ne peut avoir la prétention d’avancer qu’il sera atteint à terme. En effet, au GUF les formalités ne sont ni facilitées ni simplifiées. Les lourdeurs administratives persistent et s’aggravent, avec comme corollaires le non-respect des délais, le favoritisme et la corruption.
La présence massive en ces lieux de démarcheurs, atteste bien nos affirmations. Si ce guichet est génialement parfait dans sa conception, son fonctionnement laisse intacts les préceptes qui ont prévalu à sa création. Un audit organisationnel du GUF est plus que nécessaire afin de le déparasiter et de le réorganiser dans l’espoir de parvenir à la célérité tant souhaitée. Après le GUF, le prétendant à l’auto-construction n’est pas au bout de ses peines car il doit aussi faire le même parcours du combattant au CEFAC. Le CEFAC traîne les mêmes tares que son binôme du guichet unique. En effet, si le CEFAC est un guichet unique, les différents prestataires (architectes et Cie, LNTP, sapeurs- pompiers, mairies, etc.) devant fournir les pièces constitutives de dossiers, sont eux dispersés et jouissent, pour certains, de monopole de fait. De ce fait, le coût d’un dossier au CEFAC reste, malgré les mesures de réduction prises par l’Etat, encore très élevé dans la structure du coût du logement ; et les délais annoncés par ce centre ne sont jamais respectés. L’une des questions importantes du logement reste, sans conteste, son financement. En effet, la plupart de nos institutions financières ne disposent d’aucun produit financier attractif et adapté aux questions de logement des Burkinabè.
En effet, beaucoup de ces institutions n’offrent, même cinq (5) ans la durée, d’un prêt « aux particuliers », ce qui est inadapté à l’investissement immobilier dans notre contexte de bas salaires. A cela s’ajoutent les taux d’intérêt prohibitifs de leurs prêts. Par ailleurs, il existerait un conflit d’intérêt entre institutions financières et sociétés immobilières du fait qu’il s’agisse des mêmes personnes qui s’y retrouvent comme actionnaires et/ou propriétaires. Les logements sociaux sont une autre solution de l’Etat à la question du logement dans notre pays. Depuis des décennies, la construction de logements sociaux est essentiellement faite par des structures étatiques (ou pour leur compte) et la période révolutionnaire a été plus productive. Les demandeurs de ces types de logement se caractérisent par la modestie de leur revenu et par l’urgence de se loger avec une famille plus ou moins nombreuse. On constate malheureusement que les conditions et les modalités d’accès à ces logements sont aujourd’hui inaccessibles à bon nombre de demandeurs potentiels.
En effet, pour en bénéficier, il faut un temps de service suffisant avant la retraite, disposer d’un apport personnel initial et d’une certaine quotité cessible. A titre comparatif, sous la période révolutionnaire, la souplesse des conditions d’octroi a permis à beaucoup de travailleurs au revenu modeste de bénéficier de logements sociaux (1 200 logements par exemple). Quant aux logements et aux infrastructures construits dans le cadre des célébrations du 11-Décembre, beaucoup de ces investissements sont économiquement irrationnels et ostentatoires (aérodromes). Par exemple, à Fada (certainement aussi à Ouahigouya et Bobo) où le fonctionnaire moyen a tous les problèmes pour se trouver un logement, la majestueuse cité du 11-Décembre cherche en vain des occupants (quelle ingénieuse politique de logement ?). Ne perdons pas de vue que c’est plutôt le développement (l’émergence) qui engendre les beaux immeubles et non l’inverse.
De l’indispensable intervention de l’Etat
La pertinence du jeu de rôles de nos pouvoirs publics en matière de logement est difficilement perceptible. A l’heure où le capitalisme « ancien » oscille sur ses propres bases, nos économies informelles ne doivent pas et ne peuvent pas se passer de l’interventionnisme étatique. En effet, selon les économistes, pour faire baisser le prix d’un bien sur un marché dans un contexte libéral, il suffit de tirer sur les leviers de la demande et ou de l’offre de ce bien. Pour ce faire, l’Etat dispose d’un puissant instrument : la fiscalité. Dans le cas du logement, s’il n’est pas acceptable que l’Etat fixe les prix des matériaux et des loyers, il importe nécessairement qu’il intervienne pour les réguler (ouvrir par exemple le marché du ciment à la concurrence de l’importation).
Par ailleurs, la présence de l’Etat sur le marché immobilier en tant que locataire d’immeubles pour son compte (beaucoup de services administratifs sont dans des bâtiments loués), crée nécessairement un effet pervers : l’effet d’éviction. L’Etat doit plutôt se donner les moyens de construire pour ses propres besoins, et de poursuivre les lotissements et autres aménagements urbains. Une politique du logement ne peut ignorer la fiscalité en la matière. Elle doit aussi prendre en compte une simplification des procédures de mutation qui est de nos jours un véritable casse-tête. En effet, un acquéreur de parcelle qui a aujourd’hui une Carte d’identité burkinabè (CIB) dans son dossier de mutation en cours, est bloqué. Et si d’aventure vous ne pouvez plus, pour une raison ou pour une autre, retrouver votre vendeur pour avoir sa Carte nationale d’identité burkinabè (CNIB), vous êtes foutu. Il importe que l’Etat se penche avec diligence sur ces nombreux cas particuliers et de façon générale sur la réduction de toute la paperasserie administrative qui entoure ces mutations. Pour ce faire, et avec une volonté politique, une autre procédure plus simplifiée des mutations et des actes de construire est possible.
Peut-être que l’efficacité du GUF et du CEFAC passe par là. L’Etat pourrait également être promoteur de logements collectifs (appartements) qui sont plus économiques et qui doivent aujourd’hui s’imposer dans nos habitudes citadines. Par ailleurs, Il n’existe pas encore d’instruments publics structurés d’aide au financement du logement. Qu’en est-il du projet LOCOMAT qui a suscité tant d’espoirs ? Quid de la création de l’agence de promotion du logement, de la défiscalisation des prêts immobiliers, etc. ? En somme, la question du logement dans notre pays tient à plusieurs facteurs dont les coûts de matériaux, l’inaccessibilité aux financements adaptés, les lourdeurs administratives, le jeu des acteurs du marché de l’immobilier, etc. Nous pouvons résumer cela autour de trois principales contraintes :
– la rareté des financements appropriés et moins chers accessibles à toutes les couches de la population ;
– la faiblesse du pouvoir d’achat de la population qui ne peut pas supporter les échéances des crédits immobiliers et leurs taux d’intérêts ;
– le coût de la construction qui continue à monter suivant les prix des intrants. Face à cette situation, quelques mesures prises jusque-là par les pouvoirs publics ont montré leurs limites. Le manque de volonté politique, du fait de conflits d’intérêts avec les richissimes promoteurs immobiliers, est le principal facteur limitant la formulation et surtout la mise œuvre effective d’une véritable politique du logement social dans notre pays. Le rôle de l’Etat n’est pas de s’approprier la construction de logements, mais il a l’obligation de faciliter l’accès au logement décent à tous.
L’ampleur de ce défi commande à toutes les parties (Etat et collectivités, institutions financières, bailleurs et sociétés immobilières, locataires, agences et démarcheurs immobiliers) d’apporter leur part de réponse.
Kaboré N. Eric
Le Pays