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Le président de la République de Côte d’Ivoire porté à la présidence de la Cédéao.

Publié le samedi 18 février 2012 à 22h03min

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Une page se tourne. Discrètement. Qui se souvient que trois « petits poucets » de la Cédéao s’étaient pris, en décembre 2010, pour des « rois mages » de l’Afrique de l’Ouest (cf. LDD Cédéao 007/Mardi 28 décembre 2011). Il y avait là le Béninois Thomas Boni Yayi, le Sierra-Leonais Ernest Bai Koroma et le Cap-Verdien Pedro Pires.

Trois « petits frères » récemment élus et qui représentaient les trois zones linguistiques de l’organisation régionale (francophone, lusophone, anglophone), trois « démocrates » qui, par ailleurs, étaient en bons rapports avec Laurent Gbagbo, qui venait de perdre la présidentielle mais s’entêtait à ne pas vouloir le reconnaître.

Alassane D. Ouattara l’avait emporté mais se trouvait réduit à ne présider que l’hôtel du Golf à Abidjan. Et beaucoup n’auraient pas parié cent francs CFA sur sa capacité à en sortir un jour en président de la République. Ce ne sont pas les « rois mages » de la Cédéao (que le quotidien privé burkinabè, L’Observateur Paalga, qualifiait alors de « Rambo de pacotille ») qui ont permis à Ouattara d’exercer un pouvoir que lui déniait Gbagbo et son clan, mais, ces jours-là, l’organisation régionale avait fait, une fois encore, la preuve de son inefficacité dans la gestion des crises.

Quinze mois se sont écoulés depuis. Et voilà ADO porté à la présidence de la Cédéao. Celui qui, pendant des années, n’aura été, en Afrique de l’Ouest, que « l’ex-premier ministre de Félix Houphouët-Boigny », va pouvoir mettre en œuvre son savoir-faire d’ancien directeur général adjoint du FMI. Après tout, la Cédéao est d’abord une communauté économique. Et pas des plus négligeables : elle se classerait au 25ème rang des puissances économiques dans le monde selon le… FMI. Mais, bien sûr, c’est le Nigeria (un des quinze membres de l’organisation) qui pèse de tout son poids dans la balance. Ce qui n’est pas un problème pour ADO : le président nigérian Jonathan Ebele Goodluck a été un des chefs d’Etat les plus en pointe pour pousser Gbagbo vers la sortie à défaut d’être en mesure de le balancer par la fenêtre*.

ADO est en charge de la reconstruction de la Côte d’Ivoire. Le voilà en charge de relancer une organisation régionale qui s’étend du Sénégal au Nigeria et qui a beaucoup souffert, au cours de la dernière décennie, de la « crise ivoiro-ivoirienne ». Trop de charges pour un seul homme dont on sait qu’il n’est plus un jeune homme et qu’il est, aussi, un hyper-président qui entend rester actif sur tous les grands dossiers ? On peut le penser. On peut penser aussi que la Côte d’Ivoire et la Cédéao marchent, économiquement, dans le même sens et d’un même pas. Hormis le Nigeria, pays pétrolier mais aussi puissance démographique et financière, la Côte d’Ivoire est l’autre « géant » - même s’il n’y a rien de comparable entre les deux pays – de l’Afrique de l’Ouest : pays producteur, pays exportateur, pays portuaire qui ambitionne d’être, désormais, un pays pétrolier significatif et retrouver sa place au sein de la communauté financière avec le retour à Abidjan du siège de la Banque africaine de développement (BAD).

Venant d’où il vient (le FMI), ADO est incontestablement le chef d’Etat d’Afrique de l’Ouest le mieux placé pour ré-impulser l’organisation régionale. Plus qu’un autre, il est conscient que la solution des problèmes politiques passe par la voie étroite de la croissance économique à deux chiffres seule capable – dit-on (mais encore faut-il le démontrer) - de créer des emplois et de mettre fin aux frustrations de la jeunesse africaine désormais bien formée à… chômer.

Le problème c’est qu’ADO, qui n’est pas fondamentalement un politique, va être confronté à une conjoncture régionale particulièrement volatile en cette « matière ». Et le sommet de la Cédéao, qui se tient actuellement (16-17 février 2012) à Abuja, a eu à connaître de la crise malienne et sans doute des tensions sénégalaises (Abdoulaye Wade n’a pas fait le déplacement au Nigeria) mais aussi de l’insécurité dans le golfe de Guinée. Comment, dans ces conditions, relancer la croissance économique alors que l’insécurité règne de plus en plus non seulement au Nigeria mais dans le corridor sahélo-saharien et dans un certain nombre de pays de la région : Côte d’Ivoire, Guinée et Guinée Bisssau… ? On va donc pouvoir suivre, avec un intérêt particulier, ce que va être le mode de production d’ADO sur une scène régionale dont il est, par ailleurs, le plus « jeune » acteur (plus pour très longtemps, il y a des élections présidentielles au Sénégal, au Mali – In Allah ! – en Guinée Bissau…). D’autant plus que, par certains aspects, « la crise malo-malienne » n’est pas sans rappeler « la crise ivoiro-ivoirienne ». On suivra aussi les « amitiés particulières » qu’ADO entretient dans la région, notamment dans son soutien sans faille à Wade (juste reconnaissance du soutien sans faille de Wade à ADO dans son combat contre Gbagbo). Jusqu’à quand ? Jusqu’où ?

ADO accède à la présidence de la Cédéao alors que Thomas Boni Yayi vient de se voir confier la présidence de l’Union africaine. Boni Yayi était, certes, un des « rois mages » de la Cédéao à la veille de Noël 2010 ; mais c’est aussi un chef d’un Etat francophone d’Afrique de l’Ouest, d’un pays membre de la Cédéao mais aussi de l’UEMOA et du Conseil de l’Entente (dont Boni Yayi est, par ailleurs, l’actuel président - cf. LDD Côte d’Ivoire 0355/Jeudi 8 décembre 2011), deux institutions régionales dont le tuteur n’est autre que la Côte d’Ivoire. On le voit, ADO entasse les institutions sous son contrôle comme autant de poupées russes : Conseil de l’Entente, UEMOA, Cédéao. Ce qui devrait lui permettre d’avoir une politique économique régionale plus cohérente. Boni Yayi est, par ailleurs, un président de la République avec lequel ADO est en adéquation ; ils ne jouent pas dans la même catégorie, ADO en Ligue 1 et Boni Yayi en Ligue 2, mais ils viennent du même « centre de formation » : la banque bien plus que la politique. Et ils ont accédé à la présidence par la voie des urnes. Tout roule ! L’accession de Boni Yayi à la présidence de l’UA ouvre par ailleurs la porte à la nomination de Kadré Désiré Ouédraogo au poste de président de la commission de la Cédéao (un poste convoité par le Bénin et le Sénégal, mais Dakar a obtenu, récemment, la commission de l’UEMOA - cf. LDD UEMOA 001/Mercredi 21 décembre 2011). Ouédraogo, ancien premier ministre du Burkina, actuellement ambassadeur à Bruxelles, était attendu à ce poste depuis une éternité. Mais il fallait que s’achève « le jeu des chaises musicales » pour que Ouédraogo puisse, enfin, s’asseoir. Ouf !

Abidjan retrouve donc sa primauté « houphouëtiste » au sein de l’Afrique de l’Ouest. Et peut compter, pour cette mission, sur son « partenaire » privilégié : Ouagadougou. La région ouest-africaine bascule à l’Est d’un axe Abidjan-Ouaga. A l’Ouest, Dakar se trouve être, du même coup, une capitale quelque peu marginalisée. Mais c’était déjà une démarche entamée par la résurrection du Conseil de l’Entente (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Togo ; la Guinée et le Mali pourraient adhérer prochainement). Et c’était, d’ailleurs, initialement, sous Félix Houphouët-Boigny, l’ambition du « Conseil ». Mais je l’ai dit : ce n’est pas pour autant qu’ADO ne reste pas au contact avec le « Vieux » : ils ont, l’un et l’autre, la même détestation pour la politique menée par Gbagbo autrefois. Une page « politique » qui est désormais tournée ; celle qui s’ouvre désormais est une « page de garde » et un nouveau livre est à écrire : celui de la croissance. « Emergence, émergence, émergence… » : tout le monde saute à pieds joints en hurlant ce seul mot. Reste à démontrer qu’ils ont la compétence pour provoquer l’émergence !

* On se rappelle les mots du ministre nigérian des Affaires étrangères, Odein Ajumogobia, avant que ne débute la mission des « rois mages » de la Cédéao en direction de Gbagbo : « La question du compromis n’est pas sur la table ». Il est vrai que la situation du Nigeria était alors, à la puissance dix, comparable – au niveau des risques – à celle de la Côte d’Ivoire : un vice-président qui venait d’accéder au pouvoir à la suite de la mort du président et un pays toujours tenté par les sécessions sur des bases ethniques et/ou religieuses.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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